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Encore un tour….

 

Par Thomas Burnet.

 

ü

 

Hans était assez nerveux. Aujourd’hui, c’était la grande première : la mise en fonctionnement réel du LHC, le grand collisionneur d’hadrons, par l’équipe du CERN, à cent mètres de profondeur entre la Suisse et la France. Bien sûr, ces 27 kilomètres de couloirs circulaires avaient déjà vu circuler pas mal de particules lorsque le LEP, son prédécesseur, était en fonctionnement. Mais, le LHC n’avait rien à voir ; c’était un pas de géant pour la Science, une avancée historique. Et c’était lui, Hans Grüver, qui allait appuyer sur le bouton qui débuterait l’Expérience. Tout avait commencé dans les années 70 avec le projet du LEP. Tous ces scientifiques, ces chimistes, ces ingénieurs avaient fantasmé l’expérience ultime pour pourrait aboutir à une grande révélation. Pour le LHC, il s’agissait de permettre l’émergence du boson de Higgs, la particule manquante pour parfaire la théorie de la création de notre univers. Rien que ça ! Et c’était lui, l’ancienne tête d’ampoule de la classe, qui allait tout mettre en route. Il se sentait comme celui qui inaugure une cathédrale après un siècle et demi de construction, après la mort de l’architecte initial, du premier mécène, du premier tailleur de pierre. De l’histoire, on ne retiendra que ceux qui étaient là au départ et lui. Il serait sur la photo ; on ne mettrait peut-être pas son nom en légende dans les quotidiens mondiaux, mais peu lui importait, le visage qu’on verrait serait le sien.

En plus, la mise en route de l’expérience était un événement attendu, et on peut dire que le LHC avait déjà fait couler beaucoup d’encre : il y avait eu les journalistes et les scientifiques très enthousiastes, mais il y avait eu aussi les défaitistes et les alarmistes qui craignaient la fin du monde. Ils craignaient qu’un des micros trous noirs formés durant l’expérience ne grossisse suffisamment pour engloutir la Terre. Comme toujours, la presse et les journaux télévisés avaient pris un malin plaisir à mettre en avant ces théories farfelues. Il était vrai que des trous noirs allaient se former lors de la collision des protons, mais, compte tenu de leur masse, il était reconnu et admis que ceux-ci allaient s’évaporer dans la seconde, voire plus vite, car ils devraient être soumis au phénomène d’évaporation des trous noirs, phénomène prédit trente-huit ans plus tôt par Stephen Hawkin. Et puis, comme disait Kristof Blenko, un de ses collègues : « Si on arrive à le créer, on ne devrait avoir aucun mal à le dissoudre ».

Au final, Hans savait tout de même relativiser. Le bouton, les photos, c’était pour la frime. Le processus de mise en route du LHC était bien plus complexe que ça : il fallait appuyer sur plusieurs boutons, pas en même temps, ajuster le temps de démarrage en fonction des variables, mettre en route les électroaimants censés courber le faisceau de protons, vérifier le refroidissement par l’hélium, insérer le premier faisceau de protons, puis le second en sens inverse… On pourrait vraiment dire que l’expérience a commencé après le tour du premier faisceau… Mais pour une fois qu’ils étaient sous les projecteurs, les scientifiques avaient voulu se mettre à la portée des gens, et ils avaient mis en place cette supercherie.

Une supercherie qui d’ailleurs prenait définitivement forme. Les journalistes s’étaient fait une place dans la salle de contrôle principal du CERN, les caméras étaient braquées, soit sur un écran, soit sur un scientifique assez caricatural – blouse blanche et grosses lunettes. Les techniciens avaient même pensé à faire un gros plan sur Holga Brückner, une belle suisse-allemande à la poitrine généreuse et aux tenues toujours très sexy. Le faux gros bouton avait été installé. Pour duper le public, il suffirait d’attendre qu’Hans appuie sur le bouton pour brancher des micros installés dans une salle remplie de générateurs et qui feraient croire que tout venait soudainement de se mettre en fonctionnement. Les scientifiques applaudiraient, c’était si facile.

 

L’opération fut un succès. Tout se passa à merveille. Hans précisa aux journalistes qui l’interviewaient que le LHC atteindrait son fonctionnement optimal dans le courant du mois d’octobre. Les fatalistes reprirent ses propos pour annoncer le décalage de la fin du monde au mois d’octobre. Beaucoup de personnes plaisantaient sur le sujet mais personne ne pensait que cela pourrait se réaliser réellement.

En fait, l’avenir donna raison au plus grand nombre. Le LHC subit quelques avaries, et dû être arrêté jusqu’en novembre. Les défaitistes prédirent au redémarrage que le monde ne verrait jamais 2009. Au premier janvier, la date du 9 septembre 2009 fut retenue pour être la prochaine fin du monde, car elle était la corrélation du premier anniversaire de la mise en route de cet engin de destruction qu’était le LHC, avec une date qui une fois retournée dans les deux sens donnait le fameux « 666 ». Mais lors de l’annonce de cette nouvelle prédiction, une bonne partie de l’opinion rigola, puis reprit son activité quotidienne.

Le LHC, lui, véhiculait ses protons à une vitesse proche de celle de la lumière et à une température proche du zéro absolu. En octobre 2009, alors qu’aucun résultat vraiment étonnant ou concluant n’avait été trouvé, Hans se demanda si le LHC n’était peut-être pas seulement qu’une expérience proche d’être parfaite qui, comme le LED, laisserait la communauté scientifique sur sa faim et dans la frustration d’avoir été proche de LA révélation.

De nombreuses observations avaient bien sûr été réalisées sur les protons, leurs collisions révélant des choses intéressantes, mais rien de vraiment transcendantal. Et le fameux boson de Higgs ne restait qu’une hypothèse. Le modèle standard de la physique des particules semblait bien parti pour être remis en cause. Hans savait bien que les choses prenaient du temps, mais il ne voulait pas n’avoir été qu’un simple pion dans le cheminement du savoir. Il le savait : on connaissait le premier maillon et le dernier maillon d’une chaîne. Les maillons intermédiaires n’intéressaient que s’ils offraient une courbure dans la structure de la chaîne. Si cette expérience devait révéler quelque chose d’important, il voulait encore en être.

En mars 2012, Hans était encore à étudier des résultats de collisions lorsque quelque chose lui sauta aux yeux. C’était une masse de particules anormale détectée par ATLAS, un des 4 détecteurs du LHC. L’ordinateur n’avait pas su l’identifier, aucune particule de cette masse n’étant référencée. Le cœur d’Hans se mit à battre la chamade. Il l’avait trouvé, il en était sûr. Les autres scientifiques présents dans ce laboratoire ce soir-là commencèrent eux aussi à s’agiter ; et aucun n’osaient croire les résultats qui apparaissaient sur l’écran principal. Le boson de Higgs avait été là, sûrement disparu au moment même où il était apparu. Mais peu leur importait, ils avaient sa trace, ils détenaient la preuve de son existence.

Mais, alors qu’un collègue prévenait le président du CERN, Hans vit une autre chose tout aussi impressionnante que la trace du boson de Higgs, mais bien plus spectaculaire : un trou était en train de se former dans le LHC. Il devina immédiatement qu’il s’agissait d’un trou noir et maudit Hawking et ses collègues pour s’être trompés dans leurs prévisions. Le trou grandissait et Hans savait qu’il ne lui restait que quelques secondes. Il savait que l’aspiration de la Terre serait lente pendant les premières minutes, mais le trou noir, en attirant la matière à lui, s’en nourrirait et grandirait bien plus vite, augmentant son besoin en matière pour continuer à ne pas être.

Il pensa une dernière fois à Holga, qui depuis était devenue sa femme et la mère de son fils, eut une pensée pour eux, qui dormaient paisiblement à Genève, et ferma les yeux en espérant que sa fin ne serait pas douloureuse, et en se réjouissant à l’idée qu’il n’y aurait  aucun survivant. Le sol dans le coin gauche de la grande salle se fit aspirer, le béton craqua, il y eu beaucoup de bruit. Les ordinateurs volèrent avant que les scientifiques ne les suivent. En une heure, la Terre avait été engloutie dans le trou noir généré par une collision de protons dans le LHC. Les hommes avaient mis en place une drôle d’expérience : la mise en scène de leur propre mort avec un détonateur sans écran sur leur compte à rebours.

Ce trou noir avait ceci de spécial qu’il avait été créé artificiellement. Il continua de grandir de façon exponentielle et englouti l’ensemble de l’univers.

 

ü

 

Plus rien.

 

Vide.

 

Silence.

 

Yav’ essuya la buée qui s’était déposée sur la vitre, mais en vain ; son grand aquarium était vide, son monde avait été anéanti. Il sortit de sa chambre d’observation, et s’étendit dans l’herbe pour réfléchir un peu. Le « boson de Higgs ». Quel drôle de nom ! Il ne se souvenait plus du nom que le prof avait donné pour cette étrange pierre aux trois couleurs qui permettait de créer un univers et se demanda si c’était la même chose. M. Gossibb les avait prévenu de ce qui allait se passer, mais n’empêche, le jeune être restait perplexe devant ce qu’il avait vu. Un univers tout entier, des galaxies, des étoiles, des astéroïdes, des satellites, des planètes mortes… Tout ce qui faut pour que ses petits êtres soient heureux sur leur planète à eux… Et pourtant ! Ils avaient trouvé le moyen de se faire disparaître.

Il commença à s’ennuyer. C’est fou comme ça occupe un monde. Ce n’est pas qu’il y ait beaucoup à faire pour s’en occuper – il avait juste eu à mélanger son bout de pierre bleu, avec les bonnes proportions de terre, de feu, d’eau et d’air dans une boite et au bout de trois jours, à placer le tout dans l’aquarium à monde – non, c’est surtout que ça le distrayait. Ces petits bouts de vie qui se déplaçaient gaiement sur leur petite planète, qui se baignaient, qui se reproduisaient, qui s’amusaient, et surtout qui cherchaient à le voir. Un peu comme un dieu. Oui, mais être le dieu d’un univers mort, ça ne l’intéressait pas beaucoup.

Le prochain cours était prévu pour la semaine suivante… Une semaine ! Ca lui paraissait si long. Il venait de vivre presque un an comme s’il ne s’était écoulé qu’un jour, mais il n’était pas seul...

Il fouilla dans sa poche, et en sortit deux bouts de pierre, un rouge et un vert. Il se demanda lequel des deux lui servirait…

Une semaine… presque une éternité !

 

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15 mars 2012 : Hans Grüver marchait d’un pas lent. Il était perdu dans ses pensées.

« 27 kilomètres ! Qu’est-ce c’est long ! Heureusement, j’ai en charge qu’une partie de ce cercle gigantesque. Mais tout de même ! Ils sont marrants ces scientifiques à faire des trucs aussi grands, mais ils se soucient pas des personnes qui doivent nettoyer les couloirs, qui doivent faire en sorte que ça soit propre, qu’il n’y ait pas de toiles d’araignées plein les conduits le jour où les caméras viendront parce que leur truc aura réussi. Ah non ! Ils s’en moquent. En même temps, ça me fait un boulot et en plus, ils payent bien. Mais n’empêche ! Les gens feront des « Oh », et des « Ah », devant leur télévision parce que c’est nickel. Et grâce à qui ? Grâce à Bibi ! Et oui ! Je le sais bien moi que si vous présentez une machine, pleine de poussière et de saleté, et ben c’est moins impressionnant que si vous présentez la même machine belle et bien propre. On le voyait bien dans c’t’émission qui passait à la télé où les dames venaient nettoyer chez les gens. Avant, on ne voulait pas y vivre, et après, ça faisait envie. Heureusement qu’on est là pour faire le boulot chiant.

Ca fait combien de temps déjà qu’ils l’ont mis en route leur truc ? Quatre ans ? Ah oui ! Quatre ans ! Je me souviens bien, c’est l’année où j’ai acheté mes places pour le concert de Johnny au Parc des Princes ! Olala ! Le concert ! Inoubliable. Et Johnny ! Inégalable. Je suis content de l’avoir vu au moins une fois en vrai. Enfin, sur l’écran géant surtout, parce que de là où j’étais le jour du concert, ben le Johnny n’était pas plus épais qu’une fourmi ! J’me souviens que j’étais amusé pendant le concert à fermer un œil et à mesurer le Johnny, de loin, entre mon pouce et mon index. Pas plus grand qu’une fourmi ! Je l’avais répété à tout le monde au centre de nettoyage. Y’avait même une scientifique qui avait rigolé en entendant ça à la machine à café… une certaine Holga ! Oh qu’elle était belle celle-là. Pas seulement bien foutue (quelle paire de nibards !), mais aussi belle, avec un visage fin et de beaux yeux verts. Elle, elle avait regardé les photos quand j’en avais montré à Victor à la machine à café. Ils sont pas tous comme ça.

Oh ! Bien sûr, ils nous prennent un peu de haut ! Comme on doit nettoyer leur bidule, ben ils ont peur qu’on le leur casse. Mais bon, il suffit de dire où nettoyer. Je suis pas fou moi. Combien ils ont dit qu’il faisait là-dedans ? Presque – 270 °C ! Faut être fou pour toucher un truc aussi froid ! Moi, je me contente de nettoyer la poussière, de conduire ma lessiveuse de sol et de faire mes toiles d’araignées, c’est suffisant. Je ne touche pas les boutons, et je reste en vie. C’est très bien comme ça. »

 

Hans arriva au début de son secteur de nettoyage, dans le secteur 12, pas loin du détecteur nommé ALICE. Il croisa la scientifique prénommée Holga et lui adressa un clin d’œil assez grossier. Elle y répondit d’un petit sourire amusé, habituée à rencontrer l’homme de ménage plusieurs fois par semaine dans les couloirs du LHC. Elle le trouvait rigolo et se souvenait encore de l’année 2009 où il n’avait pas arrêté de parler à tout le monde du concert de Johnny Hallyday qu’il était allé voir. Elle devait vérifier les contrôles du détecteur ALICE, car ils avaient eu une donnée étrange sur l’ordinateur principal et avant toute conclusion hâtive, une vérification des paramètres du détecteur était indispensable. Elle ouvrit un boîtier de commande situé un peu en amont du détecteur, brancha un petit ordinateur portable et commença à consulter les données. Hans, de son côté, s’approcha d’un autre panneau de commande et commença à passer son chiffon à poussière.

 

 

15 mars 1424 : Baie du Mont St Michel. Les Anglais assiègent le Mont depuis plus d’un an et ils n’ont toujours pas réussi à pénétrer dans l’enceinte fortifiée de la ville. Installés sur le mont Tombelaine, au milieu de la baie, ils vont et viennent au gré des marées pour essayer, avec leurs lourds canons de percer les murailles. En ce jour du 15 mars, ils se sentent en veine. C’est une grande marée, et ils ont pu apporter un peu plus de canons que d’habitude. Le canonnier Harrington est d’ailleurs chargé d’un des canons qui doit mettre en pièces le seul pont levis français qui ne soit pas aux mains des anglais. Cela fait plusieurs heures que la bataille fait rage et le canonnier a bien remarqué que la marée ne va pas tarder à remonter. Mais le capitaine y croit. Il sait bien que le siège du village résistant dure trop longtemps au goût des politiques, qui voudraient un symbole fort. Et le Mont St Michel est un sacré symbole. Pourtant, au loin, le veilleur prévient que le mascaret arrive. Harrington sait que le canon restera à la porte du village, à moins que ce tir soit le bon. Les soldats ont placé le boulet, il allume la poudre, se bouche les oreilles, mais garde un œil ouvert pour surveiller le tir. Le boulet sort du canon, mais, dans une espèce d’éclair bleu, il disparaît, et n’atteint pas le pont levis. Harrington a du mal à en croire ses yeux, mais il lui semble bien que le boulet de canon s’est volatilisé dans les airs. Dépité, il esquive les flèches qui pleuvent des remparts des fortifications et se prépare à nager pour rejoindre la base anglaise.

 

 

Une détonation secoua le couloir où se trouvaient Hans et Holga. Par réflexe, Hans se jeta sur Holga pour la protéger. Dans le feu de l’action, il se retrouva la tête dans la poitrine de la scientifique, et il se dit que si son heure était venue, c’était peut-être la meilleure façon de mourir. A une centaine de mètres d’eux, la paroi de l’accélérateur de particules venait d’être trouée par un boulet de canon. Il ne comprit pas vraiment ce qui se passait dans la minute qui suivi : une nuée de lumières bleues s’échappèrent du conduit du LHC. Des objets apparaissaient dans le couloir, ils semblaient sortir de ces milliers de lumières bleues qui s’évaporaient par la suite. Holga se releva et jura. Devant le regard médusé de l’homme de ménage, elle hésita avant de lui déclarer : « trop compliqué pour entrer dans les détails, mais des milliers de trous de ver sont en train de se répandre. Ce sont des petits passages ouverts vers le passé ou le futur. Evitez-les sinon, vous disparaîtrez pour toujours. » Elle se mit à courir dans la direction opposée aux lumières bleues et prit la première porte de service qu’elle trouva. Hans la suivit, mais elle était déjà un ou deux étages plus haut lorsqu’il gagna les escaliers.  

 

15 mars 2010 : Les scientifiques iraniens étaient au comble du bonheur. Peut-être même plus que les hommes au pouvoir. Ils allaient enfin pouvoir faire un test de déclenchement de la bombe atomique. Une simple mise en route du compte à rebours pour vérifier l’allumage et surtout tester en conditions réelles la procédure d’annulation. La bombe était confinée dans un laboratoire secret situé à 800 mètres de la surface de la terre, dans un caisson à température régulée ; à l’abri des regards indiscrets des observateurs internationaux. Quarante caméras entouraient cette bombe H, la bombe atomique la plus destructrice au monde. Un scientifique appuya sur la commande d’allumage de la bombe. Le compte à rebours de dix minutes débuta. Il devait être arrêté après trois minutes de décompte, le temps prendre toutes les mesures nécessaires. Au bout de deux minutes, une lueur bleue apparue au milieu du laboratoire et sembla engloutir la bombe. Le contact avec le compte à rebours fut totalement rompu, un vent de panique s’empara alors de la salle de contrôle. Tous les paramètres furent testé, les informations prises sur la bombe pendant les deux minutes furent analysées avec précision : la bombe avait été mise en marche et, n’ayant pas été arrêtée avant la fin du compte à rebours, elle devait avoir explosé quelque part. Les autorités furent rassurées qu’aucun pays ne signale d’explosion nucléaire sur son territoire, mais interrogea intensivement les scientifiques présents ce 15 mars pour savoir ce qu’ils avaient fait de cette bombe. Certains furent accusés d’espionnage, d’autres de terrorisme. Mais pendant deux ans, cette bombe disparut de la surface de la Terre. Le 15 mars 2012, sortant d’un éclair bleu, la bombe réapparut. En plein cœur du noyau terrestre. Tous les volcans entrèrent en irruption et une immense détonation fit imploser la planète Terre.

            L’explosion de propagea de planète en planète pour gagner le soleil, qui transmit l’énergie de la détonation jusqu’aux confins de l’univers. Les hommes du passé et du futur venaient de combiner leurs efforts pour détruire l’univers.

 

ü

 

Yav’ fit un pas en arrière lorsque l’explosion se communiqua de planète en planète, et dû attendre plusieurs minutes que la poussière de son univers retombe. Il constata ce qu’il avait deviné : son aquarium était totalement vide. Une nouvelle fois.

Deuxième monde, deuxième extinction, deuxième disparition. Il fut surpris par le fait que ce monde-là ait duré autant de temps que l’autre, surpris que les créatures aient fait les mêmes erreurs. Il se demanda si c’était normal.

Il savait que, pour le premier univers, ses camarades avaient vécu la même expérience : les noms, les couleurs, les formes étaient différents, mais les situations étaient les mêmes ; une curiosité maladive pour les origines de l’univers, une machine d’un niveau trop élevé et la disparition de l’univers tout entier !

Yav’ était un peu déçu. Il avait imaginé que la création d’un monde était une activité qui apportait plus de satisfaction que cela. Il n’avait commencé que depuis presque deux ans et il avait déjà gâché deux mondes. Il avait l’impression de se faire un peu manipuler par son professeur, même s’il savait que c’était sa façon d’enseigner. Se tromper, pour comprendre ses erreurs et les corriger.

Il sortit dans l’herbe pour respirer un peu d’air frais. Il savait que la phase d’observation initiale n’était pas finie. Il observa la pierre qu’il venait de sortir de sa poche. Une belle pierre rouge. Il devinait que son troisième monde ne passerait pas le cap d’une année d’existence, mais se demanda quelle fin ses créatures allaient lui concocter !

Plus qu’une semaine…

 

 

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Hans Grüver regarda avec angoisse la pendule de son bureau. Il ne restait plus que quelques minutes. Tous les recours avaient été utilisés ; le judiciaire, les médias, le terrorisme, mais aucun essai n’avait été concluant. Ils avaient été, soit reboutés, soit ignorés, mais en tout état de cause, ils avaient échoués car le groupement était mal organisé et pas assez nombreux. Il était 10h25. Il restait trois minutes avant le début de la fin. Il le savait, il le sentait. Cette expérience, si grande, si dangereuse avec des hommes si sûrs d’eux quant aux potentiels risques de l’affaire. Il avait l’impression que l’homme, à force de ne pas avoir de preuve tangible de l’existence d’un possible Dieu, avait conclut qu’il n’y en avait pas et qu’il pouvait faire ce qu’il voulait. Sa volonté était toute puissante : s’il pouvait créer, il pouvait supprimer.

Mais Hans savait. Il savait que même Dieu, s’il existait, n’avait sûrement pas prévu d’avoir affaire à des créatures si orgueilleuses. Il savait qu’au moment où l’expérience tournerait mal, ce serait déjà trop tard. C’était déjà le cas avec le réchauffement de la planète par exemple. Il était convaincu que le mal était déjà fait et que tous les efforts, de toute façon bien trop faibles au regard de ce qui devait être fait, ne serviraient à rien. Au mieux à reculer, mais au final, le saut dans le vide se ferait. Pourquoi se battre dans de telles conditions ? Il s’était maintes fois posé la question. Pourquoi essayer de faire passer le message ? Pourquoi parler à des sourds qui ne savent pas qu’un train leur fonce dessus ? Lui-même ne le savait pas vraiment. Une espèce d’instinct de survie primal et désespéré ; essayer de mourir la tête haute ; et puis essayer de profiter des quelques moments de joie que la vie terrestre offrait : l’amour, l’amitié, ses deux enfants. Mais il sentait que, depuis quelques temps, ces bonheurs ne suffisaient plus à contrer le pessimisme qui l’envahissait au regard des avancées et des projets scientifiques.

Et voilà ! 10h28, le 10 septembre 2008 : le premier faisceau était lancé dans le LHC quelque part entre la France et la Suisse à cent mètres en dessous du niveau de la mer. Hans avait une boule dans la gorge et, en voyant sur son écran d’ordinateur les images du centre de contrôle du CERN, il ressentait un étrange malaise. Ces hommes et ces femmes qui se réjouissaient de mettre en route la fin du monde. Dans l’heure qui suivit, il remarqua que le web master du site n’utilisait en vérité que trois caméras : la première filmait l’ensemble de la salle de contrôle, la seconde filmait un bout des 27 kilomètres de conduit qui constituaient le collisionneur de particules, et la troisième présentait un panneau d’écrans où étaient affichées des informations incompréhensibles, mais où avait été placée une scientifique à forte poitrine et au décolleté plongeant. Encore une chose qui le révoltait : ils se prétendaient scientifiques et sérieux et essayaient de captiver le public en avilissant une femme. De colère, il jeta sa tasse de café contre son écran d’ordinateur et sortit de son appartement.

 

Il suiva avec passion tout ce qui se déroulait autour de cette machine infernale. Tous les arrêts, notamment celui qui intervint à peine deux semaines après le démarrage et qui dura six mois. A chaque fois, il espérait que cela décourage les scientifiques ou bien que le projet montre tant de faiblesses qu’il soit abandonné. Mais, à chaque fois, les hommes de sciences remettaient la machine d’aplomb, ils réparaient, trouvaient des parades et relançaient l’expérience. Au fil des mois, il apparut à Hans qu’il fallait marquer le coup, montrer au monde la dangerosité de l’appareil. Avec ses collaborateurs du groupement, il pensa à une action kamikaze au sein du LHC. Mais pas n’importe quelle action : pour que le projet soit perçu de façon négative, il fallait que le sang humain coule. Hans avait déjà bien vécu, et il se sentait prêt pour montrer la voie aux autres : il allait pénétrer au sein du centre du CERN, percer la paroi du LHC, pénétrer à l’intérieur pour y mourir. A chaque fois que le LHC serait réparé et remis en route, un autre homme irait s’y suicider, et ainsi de suite jusqu’à l’arrêt du projet. Hans était fier de son idée, mais il fallu trois années de préparation au groupement : trouver, en quantité suffisante, l’acide qui pourrait percer l’enveloppe du conduit du collisionneur, infiltrer le CERN pour obtenir les badges et les laisser passer qui permettraient au kamikaze de venir finir ses jours au milieu des protons dans un univers magnétique proche du zéro absolu. Hans se demanda plusieurs fois ce qui allait le tuer : le magnétisme à haute dose, le froid, l’électricité ou autre chose de plus inquiétant.

C’est en mars 2012 que tout fut prêt. Hans mit en ordre sa vie, fit des adieux masqués à ses enfants, écrivit une dernière lettre à ses parents qu’il n’avait pas vus depuis trop longtemps – s’excusant au passage de partir avant eux - et partit pour la Suisse. Il s’infiltra sans trop de problèmes dans la structure du CERN, et il arriva presque trop facilement jusqu’aux couloirs du LHC. Il était impossible d’assurer une sécurité optimale sur vingt-sept kilomètres. La section choisit pour le suicide était une section sans détecteur de collisions, donc une zone un peu plus banale, un bout de couloir sans trop d’intérêt. C’est pourquoi Hans fut surpris de croiser quelqu’un lorsqu’il se retrouva face au conduit du collisionneur. Il reconnut assez rapidement la scientifique qu’il avait vue le jour du lancement et qui arborait un décolleté toujours aussi plongeant. Selon son badge, elle se nommait Holga Brückner et expliqua qu’elle aimait parfois venir marcher dans les parties où il y avait moins de monde pour se poser un peu et réfléchir à des problèmes de physique. Hans raconta le mensonge qu’il avait appris par cœur et ils repartirent chacun dans leur direction. L’homme attendit que la scientifique soit hors de vue pour se rapprocher du conduit. Il ouvrit le sac qu’il avait pris avec lui et sortit le conteneur d’acide sulfurique. Il voulait agir vite pour ne pas avoir le temps d’avoir peur et pour éviter d’autres rencontres inopinées. Il versa l’acide sur la paroi en faisant attention aux projections – il voulait mourir vite, mais souffrir le moins possible. Le trou se forma de façon très rapide mais il n’eut jamais l’occasion de s’y glisser.

Au moment même où le trou s’agrandissait, de l’acide sulfurique tomba dans le collisionneur. L’hydrogène de l’acide entra en contact avec les deux faisceaux de protons qui se fracassaient à ce moment précis en cet endroit du conduit. Le choc des protons fut amplifié par la présence de l’hydrogène et une onde de choc puissante se dégagea du collisionneur.

L’onde de choc créée dans la drôle de machine se répandit sur l’ensemble de la planète. Cette onde sépara tous les quarks qui constituaient toute matière. Un peu comme si toutes les briques d’un jeu de lego se séparaient d’un coup. L’onde de dissociation se propagea et laissa derrière elle des quarks invisibles à l’œil nu. En moins de trente minutes, la Terre disparut. Deux heures après la collision des éléments, l’univers s’était évaporé par séparation de ses briques de lego.

Pour Hans et pour tous les hommes, la fin fut si soudaine qu’ils n’eurent pas conscience de mourir.  

 

ü

 

Yav’ n’en revenait pas : l’onde de choc parcourut l’univers. Avant son passage, il avait des galaxies, des planètes, des êtres sur l’une d’entre elles. Après son passage, l’aquarium à monde était plein de petits points. Sans vie.

C’est assez dépité qu’il prit le chemin de l’école la semaine suivante pour assister au cours annuel de M. Gossibb.

L’heure était maintenant au bilan des expériences. Les élèves de la classe avaient été fascinés par le fait de construire trois univers. Leurs trois premiers univers. Il leur tardait de renouveler l’expérience, mais ils avaient d’abord besoin de réponses à leurs questions.

 

- Monsieur, pourquoi nous avoir fait faire ces expériences si vous en connaissiez déjà le résultat ?

- J’ai choisi de commencer ce cours par l’importance des ingrédients. La « pierre de vie » que je vous ai donnée pour fabriquer votre univers comporte trois parties, de trois couleurs différentes. En dissociant les parties, vous allez mettre en avant une force qui ira à l’encontre de la vie dans votre planète de vie : pour l’un, ce sera la présence d’une force capable d’annihiler toute forme de matière, pour l’autre, ce sera la création d’un passage entre différents moments de la matière, et pour la dernière, ce sera la dissociation de toute matière. Vous aviez interdiction d’intervenir dans vos univers, et à chaque fois, cela s’est soldé par la destruction de la vie.

Je voulais vous faire prendre conscience du fait que tout peut se jouer au commencement. Dès la conception, l’univers a en lui-même la potentialité de sa destruction. Vous bâtissez patiemment un univers, mais une fois qu’il est créé, ce n’est pas vous qui l’habitez. Je voulais que vous compreniez que vos créatures peuvent elles aussi manipuler l’univers. Et parfois, à mauvais escient.

 

- Mais, monsieur, justement, peu importe la pierre que nous avons utilisée, nos créatures ont chaque fois créé leur propre perte. A quoi cela sert de faire attention aux ingrédients si de toute façon ces créatures bornées s’autodétruisent ? Pourquoi s’échinent-elles à chercher le secret de leur fabrication ? Pourquoi ne profitent-elles pas de leur court moment d’existence ?

- Voilà une question intéressante. Voilà pourquoi être créateur d’un univers, ce n’est pas simplement mettre les bons ingrédients. Il faut savoir aider les créatures que l’on crée. Il faut savoir les orienter, mais sans vous dévoiler. Si vous révélez à vos créatures qu’elles vivent dans un aquarium à mondes, elles n’auront de cesse de vouloir en sortir. Vous êtes créateurs d’univers ; ce n’est pas une chose aisée. Demandez-vous pourquoi vous avez ce besoin de créer des univers. Demandez-vous ce que vous attendez de vos créatures. 

 

- Monsieur, dans les trois univers que j’ai faits, à chaque fois, la planète habitée était une planète majoritairement aquatique, que ses habitants appelaient la Terre. Je me demande pourquoi les univers que nous créons ont tellement de ressemblances ?

- Oh ! C’est simple Yav’. C’est une simple question d’ingrédients. Comme je l’ai dit tout à l’heure, la seule chose que je vous ai demandé de changer dans vos mondes, c’est la Pierre de matière. Vous avez gardé les mêmes proportions d’éléments.

- Mais, nous avions tous les mêmes quantités ! Et pourtant, nos univers ne se ressemblaient pas.

- Bien sûr. Mais là, on touche à quelque chose qui nous dépasse : pour les mêmes quantités d’ingrédients, chaque personne va créer un univers différent. Toi, All’, tu vas créer un univers d’une sorte et Yav’, un univers d’une autre sorte. C’est ainsi. Boud’ en créera d’autres. C’est ainsi que va notre monde, c’est ainsi que notre créateur l’a décidé. 

 

- Monsieur, pourquoi ?

- Ca, personne ne le sait. Ca fait des millénaires que notre civilisation crée des mondes. Nous grandissons, puis, un jour, l’envie de faire des univers devient si pressante que nous en faisons. Mais nous avons un avantage sur nos créatures : nous savons que nous les avons créés. Et ce recul sur nous-mêmes nous permet d’être certains que nous sommes nous-mêmes les créatures d’autres Dieux, qui ont peut-être des réponses auxquelles nous n’avons pas accès. Nous avons cette sagesse sur nos créatures : nous savons que nous avons la chance de vivre, alors nous en profitons et nous vivons.

 

ü

 

FIN

 

« Et bien ! Originale cette nouvelle du mois d’octobre. Quelle drôle d’idée il a eu Thomas ! Bon, c’est sûr que ce n’est pas très plausible, et que les coïncidences sont un peu poussées, comme son histoire de voyage dans le temps, mais bon, c’était quand même distrayant.

Il est quelle heure ? 23h46 ! Houla ! Faudrait que je pense à me coucher moi, parce que demain, y’a du boulot ! Il ne faudra pas que j’oublie de laisser un message sur son livre d’or pour lui dire ce que j’ai pensé de la nouvelle, et puis lui dire qu’il est bien son nouveau site.

Zut, j’ai oublié de me brosser les dents. Bon, détour par la salle de bain. Ah oui, faudra aussi que je lui dise que j’ai trouvé une faute de conjugaison quand Hans est un terroriste ! Je lui mettrai un truc dans le style : « Dis donc, l’instituteur, il faudrait réviser tes passés simples ! » Ah oui, c’est rigolo comme ça !

Oh non ! J’ai plus de dentifrice. Ben tant pis, pour ce soir, on fera sans. Tiens, je regarderais bien aussi cette histoire de LHC, histoire de voir ce qui est vrai et ce qu’il a inventé.

Bon, les dents, c’est réglé, je peux aller me mettre en pyjama. Ah oui ! Sa nouvelle, je vais l’emmener au bureau pour la montrer au collègue du service informatique qui aime bien ces trucs-là. Je pourrais même la faire passer à tous les collègues. Et je leur donnerais même l’adresse du site pour qu’ils aillent voir.

Mais tout ça, demain ! Allez ! Au lit ! »

 

ü

 

Yav’ regarda cette petite créature aller se coucher, puis recula un peu pour prendre la mesure de son univers. « J’espère que celui-là tiendra le coup. J’espère ! »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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