Chapitre 2

 

 

C’était bien trop significatif pour ce soit autre chose. Alexandra expliqua comment elle avait ordonné les nombres pour trouver : si on considérait l’énigme comme des coordonnées GPS, il fallait deux séries de trois nombres. Elle était partie du principe que les trois derniers chiffres étaient une date et s’était concentrée sur les six premiers. Ce qui donnait 48°51’30’’ et 2°17’40’’, soit les coordonnées indiquant la Tour Eiffel. Ayant l’impression d’avoir déchiffré une énigme de grec ancien, les amis s’applaudirent et trinquèrent à leur trouvaille.

         Mais à la joie d’avoir découvert le sens de l’énigme succéda à nouveau le questionnement : quoi la Tour Eiffel ? Oui, ils avaient trouvé, mais c’était un des endroits où ils étaient à peu près sûrs de ne pas trouver de trésor car, à peine déposé, quelqu’un l’aurait déjà pris ou la police aurait fait sauter le coffre avec le magot.

         Lucie leur rappela la fin de l’énigme, la partie qu’Alexandra avait mise de côté. Il leur fallait se trouver le 23 novembre 2009 à Paris. Il ne restait plus qu’à savoir si c’était au pied de la Tour Eiffel ou à un des trois étages, et à quelle heure. 

 

 

         Carmen et Cédric avaient passé la fin du mois d’août et le mois de septembre à se tourner autour. Au mois d’octobre, ils développèrent leur relation naissante pour envisager au mois de novembre d’habiter ensemble. Cédric avait prévu de gagner Paris pour le 23 novembre et, comme Carmen s’était invitée dans la chasse au trésor en l’aidant à découvrir le lieu indiqué par les coordonnées GPS, il lui avait proposé de l’accompagner. Ils avaient pensé qu’en l’absence d’heure précise, l’invitation valait pour la journée entière et qu’arriver à midi était un bon compromis. Ils réservèrent donc leurs billets d’ascenseur pour treize heures. Ils partirent le samedi 21 novembre, afin de profiter de la capitale pendant le week-end avant de retrouver la dame de fer le lundi. Ils étaient descendus dans une chambre d’hôte du quinzième arrondissement. Les deux tourtereaux partagèrent leur samedi après-midi entre la recherche d’une nouvelle basse pour Carmen au cœur du quartier Pigalle et une ballade un peu plus haut, sur la butte Montmartre. Ils se firent croquer par un jeune dessinateur et finirent la journée dans un restaurant japonais que leur avait conseillé le parisien qui leur louait la chambre. Le dimanche, ils partirent de la place de l’étoile, et descendirent les Champs Elysées pour rejoindre la place de la Concorde. Ils s’arrêtèrent manger au Hard Rock Café avant de finir leur ballade par un tour de grande Roue. Ils se promenèrent dans le jardin des Tuileries et dinèrent dans un restaurant antillais du quinzième arrondissement, toujours sur les conseils de leur hôte parisien. Avoir sympathisé avec ce dernier leur permis de laisser, le lundi matin, leurs sacs de voyage dans un coin de l’appartement. Cela leur permettrait de visiter en toute quiétude la Tour Eiffel, puis de passer reprendre les sacs et la nouvelle basse de Carmen avant de rejoindre la gare de Lyon pour le train de dix-huit heures trente. Ils arrivèrent un peu plus qu’ils ne l’avaient prévu, et c’est vers onze heures quinze que Cédric s’avança sous l’impressionnante réalisation du quai Branly. Il y avait beaucoup de monde, mais Cédric était captivé par ce qu’il voyait. C’était la première fois qu’il se rendait à Paris et donc la première fois qu’il voyait la Tour Eiffel. A ne pas regarder où il allait, il bouscula même une femme enceinte.

 

 

         Le jeune homme s’excusa, et le petit groupe continua à avancer, Alexandra toujours en tête. La future maman avait retrouvé une nouvelle énergie depuis la fin du quatrième mois. Toute cette histoire de coffrets secrets et de chasse au trésor à travers le pays, accompagnée d’une bonne dose d’hormones, la rendait euphorique. Ses amis la suivaient, en rigolant. Les six lillois s’étaient organisés pour prendre une semaine de congés fin novembre, provoquant ainsi l’étonnement de leurs hiérarchies respectives. Depuis samedi midi, ils avaient envahis la maison de l’oncle et de la tante de Julien, à Sèvres, dans l’ouest francilien. Ils n’avaient pas vraiment tiré profit du week-end pour visiter Paris, mais avaient préféré passer du temps entre eux, se promener dans la forêt, jouer avec les trois labradors de la maison et se livrer à un tournoi d’Uno sans merci. Le lundi matin, les amis étaient partis assez tôt pour la Tour Eiffel : ils ne voulaient pas manquer le rendez-vous avec l’organisateur de la chasse aux trésors, Mais surtout avoir le temps de fouiller partout pour trouver l’indice qui leur permettrait sûrement d’ouvrir le petit coffret. Ils avaient réparti leur journée de la façon suivante : le matin : enquête au sol et déjeuner, puis, à treize heures trente, ils prenaient l’ascenseur côté sud pour continuer leur investigation aux étages. Ils avaient réservé leurs billets pour l’ascenseur sur internet, avec le nouveau système mis en place depuis le mois d’octobre. Ils avaient pensé à prendre avec eux les deux coffrets que Lucie avait gardés ; celle-ci avait d’ailleurs eu le temps de regretter de ne pas avoir parlé plus tôt des coffrets à ses amis et d’avoir laissé dans la montagne le premier. Ils sortirent de la bouche de métro vers dix heures et investirent les lieux. Ils commencèrent par chercher au sol un autre coffret, allant jusqu’à fouiller le moindre buisson dans les parcs de chaque côté de la place ou s’approcher des gens qui avaient un comportement un peu étrange. Vers onze heures, ils se retrouvèrent sous la tour pour un point ; tous étaient là, sauf Mary, qui était partie dans le parc de gauche. Cinq minutes plus tard, elle arriva, mais n’avait rien trouvé d’autre qu’un graffiti gravé sur un tronc d’arbre. Elle avait essayé de déchiffrer le message qui n’était qu’une annonce salace. C’est lorsque les amis repartirent chercher vers le Champ de Mars qu’Alexandra fut bousculée par Cédric.

 

         Ils ne trouvèrent rien au sol. Cédric et Carmen n’avaient pas eu le temps de réaliser des investigations aussi poussées que celles des nordistes, mais il était midi quarante-cinq et ils avaient un ascenseur à prendre. Le nouveau système de réservation horaire n’en était encore qu’à ses débuts et il y avait encore une queue importante devant l’ascenseur est. En fouillant dans le sac à dos de Cédric pour vérifier la réservation, Carmen poussa un cri qui fit se retourner plusieurs touristes autour d’elle.

- Le coffret !

- Quoi le coffret ?

- Il est ouvert !

- Le petit ?

- Oui, celui en forme de livre ! Il est ouvert !

         Ils sortirent de la queue et se dirigèrent vers le parc juste à côté de la file d’attente. Ils trouvèrent un banc et Carmen sortit le coffret. Celui-ci s’était débloqué dans le sac, mais le contenu n’en était pas sorti. Ils l’ouvrirent avec précaution et furent surpris de ce qu’ils y trouvèrent : un petit hippopotame sorti d’un œuf kinder, et un calepin à la couverture bleue claire. Cédric ouvrit le calepin qui ne contenait que six pages. Sur la première page, ils découvrirent une nouvelle série de nombres, elle ressemblait à celle qui les avait amenés à Paris, sauf que qu’il y avait deux lettres et que la date était remplacée par une série de trois chiffres. Cédric tourna la page et découvrit une autre série de nombre. Ils furent surpris de voir que celle-ci se finissait par 06.07.2011. Cela signifiait qu’ils ne pourraient se rendre dans cet endroit que dans un an et demi. Ils furent encore plus surpris par les trois dates suivantes. Celles-ci s’échelonnaient entre 2014 et 2021. 2021 ! C’était si loin !

 

         Ce fut au tour de Lucie et de ses amis de découvrir que le coffret s’était ouvert dans le sac alors qu’ils se dirigeaient vers l’ascenseur sud. Même étonnement, même cri de surprise, même mise à l’écart pour une expertise plus poussée. Avant même de regarder le contenu, Marc prit le coffret pour comprendre pourquoi et comment il s’était ouvert. Il découvrit une serrure très fine, sans mécanisme. Sa formation d’informaticien lui permit de penser que c’était une serrure électronique, qui s’ouvrait à distance, sûrement grâce à un portable ou à une télécommande. Les amis scrutèrent les alentours pour voir si quelqu’un les espionnait. Ils étaient assez mal à l’aise de savoir que quelqu’un les avait attendu, les avait sûrement observés, et avait activé le signal d’ouverture du coffret. Mais leur curiosité avait été piquée au vif, et ils avaient envie de savoir le fin mot de cette étrange histoire. Lucie fouilla dans son sac à dos et retrouva le contenu renversé. Elle sortit un calepin jaune poussin et une tortue en plastique, issue d’un œuf surprise. Elle ouvrit le calepin et explora avec ses amis le contenu des six pages, laissant Alexandra s’extasier sur le jouet qui lui rappelait son enfance. Ils s’étonnèrent des chiffres 7.4.5 qui remplaçaient la date sur la première page et de l’apparition des lettres N et O précisées pour les coordonnées GPS. Au fur et à mesure des pages, ils découvrirent des dates, qui les emmenaient de plus en plus loin dans le temps. La troisième page les confronta à une nouvelle énigme : à la place du premier nombre de la longitude, il y avait un astérisque qui renvoyait à une note en bas de page. Cette note disait : « Ce nombre correspond au nombre de pétales de la fleur qui pose une question ». Quand ils arrivèrent à la dernière page, ils découvrirent une autre énigme à résoudre : il y avait six traits, puis une date : 14.10.2031. Il leur faudrait sûrement trouver les coordonnées manquantes, mais ils ignoraient encore comment. En même temps, plaisanta Mary, d’ici 2031, ils auraient le temps ! Marc calcula rapidement qu’il aurait cinquante-deux ans lorsqu’il serait temps de s’occuper de cette dernière énigme.

- Qui peut donc être suffisamment barré pour organiser ça ? pensa Julien à haute voix.

- Un milliardaire qui s’ennuie, proposa Mary.

- Oui, et il va nous faire tourner en bourrique pendant plus de vingt ans pour qu’on ait quoi comme récompense ? Une super collection de tortues Kinder ! S’emporta Clarisse.

- C’est vrai qu’elles sont mignonnes ces tortues, mais on ne va pas pouvoir en faire grand-chose, ajouta Alexandra.

- Bon, ça veut dire qu’on a trouvé ? Tout ça pour ça ? Continua Clarisse. On a fait tout ça pour un pauvre calepin plein de coordonnées GPS, d’énigmes bizarres et de jouets ridicules.

- Calme-toi ma chérie. Mary prit sa compagne par la main. On s’est bien amusés tout de même.

- Et puis la chasse n’est pas finie, renchérit Lucie.

- Ouais. Mais je suis déçue, j’espérais trouver quelque chose. Je ne pensais pas qu’on nous renverrait vers une nouvelle énigme, répondit Clarisse.

- C’est pas grave, grâce à notre amie la tortue Kinder, nous allons pouvoir résoudre toutes les énigmes ! S’exclama Alexandra. Bon petite tortue, continua-t-elle en l’observant attentivement, dis-nous à quoi ressemble le trésor que nous cherchons.

- Et qui nous permettra de financer notre future maison de retraite ! Ajouta Lucie.

- Y’a un numéro sous la tortue, reprit Alexandra. 44.

- C’est le numéro du jouet, affirma Julien. Y’a toujours un numéro sous les jouets, c’est comme pour les verres de cantine.

- Que tu crois mon amour, continua la future maman. Moi, je parie que c’est le premier numéro des coordonnées de la dernière page.

- C’est pas bête ça, dit Clarisse.

- Hé ! Ca aide d’avoir un demi-cerveau supplémentaire !

Il y eut un petit instant de silence où chacun se passa le petit calepin et la tortue en plastique.

- Bon, reprit Lucie, on va se prendre un truc à manger dans une brasserie en réfléchissant à la suite.

- Et les billets pour le premier étage ? Demanda Mary.

- Tu as vu la queue ? C’est nul leur nouveau système de réservation horaire ! De toute façon, c’est juste une réservation, je n’ai rien payé.

- Et puis je commence à avoir très faim, ajouta Alexandra.

La proposition fut finalement acceptée à l’unanimité et les amis se dirigèrent vers le RER pour gagner le cinquième arrondissement, où le cousin de Julien lui avait recommandé une brasserie qui se nommait le Café le Petit-Pont. Une fois installés au chaud, leurs salades commandées,  les amis se penchèrent sur la première énigme notée dans le petit calepin : 48°38'37.11"N / 1°25'33.02"O. Clarisse avait pris avec elle son GPS, elle inscrit la suite de nombres et consulta le lieu d’arrivée.

- Courtils, déclara-t-elle, d’un air dubitatif. Enfin, c’est le nom du dernier patelin qu’on traverse en y allant. Apparemment, c’est en Normandie.

- Près de Rouen ? demanda Marc. J’y ai de la famille, on pourrait loger chez eux.

- Non, c’est près du Mont St-Michel, répondit Clarisse.

- Je n’ai jamais été par là-bas, déclara Alexandra.

- Nous non plus, ajouta Mary.

- Et ces chiffres, après les coordonnées, c’est quoi ?

- C’est peut-être une autre façon de noter la date : le sept avril de l’année 5, répondit Marc.

- Et l’année 5, c’est ? demanda Lucie.

- Tu es vraiment une fille toi ou pas ? C’est de la numérologie, il y en a dans tous les horoscopes des magazines féminins !

Tous se mirent à regarder le jeune homme d’un air étrange.

- Ben j’ai eu quatre grandes sœurs, alors les magazines féminins, ça me connaît ! Bref, il faut trouver l’année dont la somme des chiffres donne cinq. Ce qui nous donne…

- 2012, coupa Julien.

- Exactement, 2012 !

- Ce qui n’est pas logique, objecta Lucie, c’est qu’il ne marque jamais les autres dates de cette façon. Ca peut très bien être aussi une heure : sept heures quarante-cinq.

- Je veux bien, continua Clarisse, mais quel jour ? Si je me pointe à l’autre bout du pays, à huit heures moins le quart du matin, pour ne rien trouver, je sens que je vais laisser tomber cette chasse au trésor très vite !

- Clarisse a raison, approuva Lucie. Et pour ce qui est de l’hypothèse de la date, la seconde énigme se déroule en 2011. Pourquoi le second lieu serait avant le premier ?

- Alors ? On fait quoi ? S’impatienta Clarisse.

- Pour le moment, on reprend des forces, reprit Marc, les salades arrivent. Ensuite, on profite de notre après-midi à Paris, et on avisera. On a une semaine de vacances, et on peut partir quand on veut de chez Claude et Claude.

 

         Cédric et Carmen ne savaient pas vraiment quoi faire. Ils devaient repartir pour Lyon dans quelques heures, mais il y avait ces coordonnées GPS, sans date, et une figurine en plastique avec un 46 sous le pied. Ils présumaient donc qu’ils pouvaient y aller dès maintenant et craignaient que ce qu’ils devaient y trouver ne soit plus là s’ils trainaient trop. Et puis il y avait ces trois chiffres : 7.4.8 ! Ils trouvèrent un cybercafé en revenant vers le quinzième arrondissement, consultèrent Google Earth et découvrirent que le lieu de ce second rendez-vous était près du Mont St-Michel, à côté d’un village qui s’appelait Bas-Courtils. Ils décidèrent de s’y rendre dès qu’ils seraient en week-end, c’est-à-dire le week-end suivant, et commencèrent à chercher un hébergement. Ils trouvèrent une chambre d’hôte dans le village qui ne nommait Courtils et, devant la desserte ferroviaire dans le secteur, ils convinrent de s’y rendre en voiture, en coupant à travers la France, sans passer par Paris. C’était un peu plus long, mais au moins, ils seraient libres de leurs mouvements. Il ne leur restait que quelques jours à attendre, quelques jours de patience. Ca paraissait infime par rapport au temps qu’ils devraient attendre avant de résoudre la dernière énigme, en 2031.

 

         La décision fut jouée à pile ou face : ils partirent le mardi, assez tôt, de la maison de l’oncle et de la tante de Julien pour rejoindre la Basse-Normandie. Ils prirent l’A 13 puis l’A 84 pour bifurquer, trois heures plus tard, à la sortie 34, en direction du Mont Saint-Michel. Ils arrivèrent à onze heures à l’endroit qui se nommait « La Grève », qui était désert. Ils descendirent de voiture et contemplèrent le paysage devant lequel ils se trouvaient. Le Mont St-Michel se dressait au loin, un rayon de soleil perçait les nuages, juste au-dessus de lui, comme si quelqu’un l’éclairait pour le mettre en valeur. Après la route, derrière la rangée de poteaux en bois mangés par l’humidité, il y avait des herbus à perte de vue et la plage de sable humide. Ils ne savaient pas très bien où chercher. Les deux garçons partirent sur la petite montée qui menait aux propriétés privées derrière eux, fouillant à l’aide de bâtons dans les buissons. Mary et Alexandra avancèrent dans les herbus, tandis que Lucie et Clarisse partirent sur le chemin de randonnée. Ils se retrouvèrent vers midi devant le Multipla, tous bredouilles. Clarisse commençait de nouveau à s’énerver contre ce manipulateur et contre les imbéciles qui se laissaient manipuler. Elle donna un coup de pied contre un des poteaux qui bordaient la route. Elle cria car celui-ci était plus dur qu’il n’y paraissait et elle sautilla en se tenant le pied. Les autres rigolèrent à la voir s’énerver ainsi. Elle se calma et s’assit sur le poteau voisin de celui qu’elle avait injustement tapé. Au moment où elle s’assit, elle bascula en arrière. Mary vint l’aider à se relever pendant que Marc creusait le sol avec son bâton pour remettre le poteau en place.

- Oh putain !

- Non, chéri, tu ne me paies pas pour ça, répondit Lucie.

- Non… je veux dire…Venez voir !

Les cinq amis s’approchèrent et découvrir le petit coffret que Marc exhuma de la terre. Il passa la main dessus pour essayer de dégager la terre et le sable qui s’était collé au bois. Après ce nettoyage sommaire, il apparut que ce petit coffret semblait être fait dans le même bois que les autres. Il n’avait pas de cadenas et Marc se dépêcha de faire jouer le crochet. Ils trouvèrent dans le coffret un petit hippopotame en plastique. Alexandra cria de plaisir lorsqu’elle l’aperçut, rejouant la scène de la petite tortue. Il n’y avait rien d’autre dans le coffret que ce petit jouet. Ils trouvèrent un 50 gravé sous un des pieds de l’animal, qu’ils notèrent au crayon à papier à la dernière page du calepin.

- Mais, commença Julien, comment était-on censé penser à regarder sous ce poteau ?

- Ce n’est pas le 745ème ? demanda Alexandra, toujours plongée dans la contemplation de la figurine.

-  Non, répondit Lucie. Mais souvenez-vous ! Ce n’était pas un nombre à trois chiffres, mais trois chiffres séparés par des points ! Elle se mit à courir, allant dans la direction d’où ils étaient venus. Elle réapparut du coin de la butte, absorbée dans ses comptes.

- Trois, quatre et cinq. Non, ça ne colle pas ! J’ai pensé que c’était une façon de compter les poteaux ! Sept poteaux, puis quatre, puis cinq. Mais j’arrive à ce poteau, et nous avons trouvé le coffret trois poteaux plus loin, ça ne va pas. Et elle accompagna ces derniers mots en appuyant de son pied droit sur le poteau qui, à sa grande surprise, tomba comme l’avait fait celui sur lequel Clarisse s’était appuyée. Ils s’approchèrent d’elle alors qu’elle sortit, elle aussi, un coffret de dessous le poteau. Le coffret ressemblait en tout point à celui qu’avait trouvé Marc, sauf que le jouet qu’elle découvrit était une tortue, avec un numéro différent sous le pied. Sous ce jouet, il y avait un 42. Ils se regardèrent avec étonnement : ils n’étaient pas les seuls à faire cette chasse au trésor.

 

         Avec les pauses et le déjeuner, Cédric et Carmen mirent près de dix heures à rejoindre Courtils, au lieu des huit heures quarante-cinq annoncées initialement par le GPS de Carmen. Ils arrivèrent vers dix-neuf heures à Courtils, alors que la nuit était déjà tombée depuis presque deux heures. Ils gagnèrent directement la chambre d’hôte qu’ils avaient réservée. Là, ils posèrent leurs valises, mirent un pull supplémentaire, sortirent écharpes et gants et prirent la direction du Mont St-Michel pour visiter le site de nuit et déguster un bon repas normand. Ils avaient abandonné l’hypothèse que les chiffres écrits après les coordonnées GPS signifiaient sept heures quarante-huit et avaient décidé de profiter un peu de la chambre. Ils prirent donc leur petit déjeuner vers dix heures. Il faisait heureusement beau, ils pourraient donc mener leurs investigations sans se mouiller. Ils prirent le petit chemin de campagne en direction de la grève. Ils découvrirent la baie du Mont St-Michel de jour, et passèrent quelques minutes à profiter des lieux.

- Bon, commença Cédric, 7.4.8. Qu’est-ce que ça veut bien vouloir dire ?

- Il faut peut-être partir de l’endroit précis indiqué par les coordonnées et compter les pas.

Ils s’exécutèrent donc chacun de leur côté, à compter les pas à partir du bout de la butte, dans différentes directions. Alors que Cédric fouillait dans la pente qui montait vers les propriétés privées, Carmen se mit à compter non pas ses pas, mais les poteaux qui bordaient la route. Elle arriva au dix-neuvième poteau et essaya de le soulever. Elle y parvint sans mal et appela Cédric. Le jeune homme la rejoint rapidement et découvrit son raisonnement. Carmen se mit à genoux et fouilla la terre.

- Yes ! Elle sortit de la terre un petit coffret qui semblait être fait dans le même bois que les coffrets précédents. Elle l’ouvrit…

 

         - Nous ne sommes pas seuls sur cette chasse au trésor, déclara Lucie.

- Ben merde alors ! s’exclama Clarisse.

- Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Mary.

- Ben c’est simple, répondit Clarisse, on prend le coffret et comme ça, on sera sûr d’être les seuls à trouver le trésor.

- Ou bien… commença Alexandra.

- Ou bien quoi ?! Coupa Clarisse. On leur laisse leur beau coffret, on met nos deux tortues dedans, et on leur souhaite bonne chance pour la suite.

- Ou bien, reprit Alexandra en ignorant la remarque de Clarisse, on les laisse continuer comme nous.

- Pour qu’ils raflent la mise ?! S’enflamma Clarisse. Non merci ! On va pas se taper des allers-et-venues dans toute la France pour échouer au dernier moment. S’ils voulaient leur coffret et leur jouet, il n’avait qu’à venir plus vite !

- On va se calmer les filles, tempéra Julien.

- Oui, affirma Lucie. Je suis celle qui a trouvé ce coffret, je suis celle qui décide. Il y a d’autres personnes qui courent après le même objectif que nous, et ce ne sont pas forcément des ennemis.

- Mais pas forcément des amis, bougonna Clarisse.

- Je pense que c’est à moi que revient cette décision, continua Lucie. Nous pouvons peut-être leur laisser une chance. Nous aurons peut-être besoin d’eux.

- Je ne sais pas… nuança Julien.

- Ben on va faire ce qu’on fait toujours dans ces cas-là, conclut Mary.

- Oh non ! Encore ton truc débile ! Râla Clarisse.

- J’ai lu ça dans une nouvelle sur internet et c’est très bien pour laisser faire le destin. On ne connait jamais la portée de nos actes. Imagine que nous soyons plus de deux équipes… On éliminera peut-être les plus sympas.

- Bla bla bla bla bla ! dit Clarisse.

- Tu es vraiment chiante mon amour quand tu t’y mets, lui répondit Mary, sur un ton cassant. Bon… elle fouilla dans sa poche et en sortit une pièce de deux euros. Elle énonça la règle du jeu : Pile, on leur laisse tout, face, on leur laisse un coffret vide. Elle lança la pièce la rattrapa dans sa main droite, puis la bascula sur son avant-bras gauche.

 

         … et ne découvrit à l’intérieur qu’un petit hippopotame. Alors que le premier hippopotame pratiquait la boxe, celui-ci faisait du houla-hop. Carmen rigola en le voyant, mais le retourna assez vite pour chercher le numéro indiqué en dessous. Cédric reporta le 50 dans son petit calepin. Il était seulement onze heures quinze et ils étaient satisfaits d’avoir trouvé si vite et d’avoir réussi à déchiffrer l’énigme. Cette chasse au trésor était vraiment une bonne façon d’occuper leurs week-ends ; c’était aussi leur truc à eux, leur secret, leur occupation de couple. Ils s’éclipsèrent de Courtils pour remonter la côte jusqu’à la plage de Carolles où Cédric réussit à entrer dans une eau glaciale, et Carmen entreprit d’écrire un poème de Baudelaire sur le sable. 2010 passa sans énigme, mais elle fut pleine de projets, réalisés et planifiés. Ils concrétisèrent la possibilité de vivre ensemble en prenant un appartement à Lyon, Cédric s’impliqua dans la vie d’Hormonal Explosion en jouant le rôle de secrétaire et trouva pour le groupe plusieurs concerts et tremplins sur les scènes lyonnaises et parisiennes. Ils ne quittaient pourtant pas les énigmes des yeux et profitèrent de trois semaines de vacances en été pour explorer la région de la seconde page du calepin : 41°44'3.40" – 8°47’5.57’’. Les coordonnées indiquaient une plage de Corse, au sud d’Ajaccio. Ils avaient voyagés par ferry, avec la voiture de Cédric, chargée du matériel nécessaire et s’étaient baladés entre les différents campings de l’île, dont celui proche de la Baie de Cupabia. Cédric avait investi dans un petit récepteur GPS de poche, qui lui permettait de connaître avec précision les coordonnées du lieu où il se trouvait ; celles de la seconde page indiquaient le sud de la plage de cupabia. Ils y passèrent l’après-midi, profitant de l’eau bleue turquoise, du soleil et de la vue sur Capu Neru. Ils partirent ensuite continuer leur tour de l’île, et ne remirent le pied sur le sable fin de la plage de cupabia que le six juillet 2011.

 

 

         Il se passe beaucoup de choses en un an et demi. Des amitiés se font et se défont, l’amour va et vient, des hommes naissent et s’éteignent… Nos six lyonnais n’étaient plus que cinq lorsqu’ils embarquèrent sur le navire à grande vitesse en direction de l’île de beauté. A l’appel des chasseurs de trésor, il manquait Mary et Marc. La première avait quitté Clarisse en juin 2010, et le second avait été remercié en décembre de la même année par Lucie qui avait observé un manque manifeste de motivation et d’implication chez cet homme. Une nouvelle exploratrice s’était invitée dans la course au trésor ; c’était Anaëlle, la fille d’Alexandra et de Julien, née en le 19 mars 2010. Elle avait donc près de seize mois lorsque ses parents firent d’elle une authentique chasseuse de trésor. Lucie avait préparé leur excursion corse avec soin. La présence d’Anaëlle ne les avait pas encouragés à pratiquer le camping. Ils avaient donc décidé de loger à Propriano, au sud de la plage où ils devaient se rendre, dans un appartement pour six personnes. Ils partirent à la fin du mois de juin, le temps visiter les lieux et de profiter un peu de la Corse avant l’invasion des vacanciers estivaux. Clarisse râlait toujours autant sur l’instigateur de cette chasse, mais Lucie, qui était son amie depuis le collège, savait que c’était un moyen de manifester son impatience de trouver le trésor final, et d’une certaine façon, de montrer son excitation. Alexandra était un peu moins euphorique depuis son accouchement, mais elle était toujours en extase devant les deux tortues déjà trouvées. Julien et Lucie gardaient la tête froide et essayaient de faire avancer le groupe. Ils s’étaient revus à plusieurs reprises pour discuter des énigmes. Celle de 2011 était relativement aisée à découvrir, mais c’était celle de 2014 qui leur posait problème. L’énigme faisait référence à une fleur qui posait une question. Le nombre qui manquait était bien sûr important pour déterminer le lieu où se trouvait le quatrième coffret. Lucie s’était souvenue d’un détail qui avait toute son importance : sur le premier coffret, au dessus de la question gravée dans le bois – serez-vous suffisamment curieux ? – il y avait une petite gravure, et cette gravure représentait une fleur. Mais elle ne parvenait pas à se souvenir du nombre précis de pétales que comprenait cette fleur. Le problème était qu’elle avait laissé ce coffret dans la montagne. Elle était revenue dans la station au cours de l’été 2010 avec Marc, lui avait montré  le ruisseau et le mur de pierre où elle avait trouvé le coffret. Elle avait constaté avec désarroi que la cachette était vide, et revint à Lille bredouille. Ils avaient donc mûrement réfléchi, Clarisse avait partagé avec ses amis l’étendue de sa connaissance des injures et jurons français et allemands, et ils étaient arrivés à la conclusion suivante : la seconde énigme du coffret comprenait une date. Il y avait une chance pour que l’autre – ou les autres – équipe ait la même date sur son calepin. Il suffisait de se passer la journée sur la plage de cupabia pour les rencontrer et négocier une entraide. Clarisse avait pesté en disant que s’ils l’avaient écoutée et avaient pris le contenu du coffret, ils auraient eu une monnaie d’échange pour obtenir le renseignement désiré. Il y avait beaucoup d’inconnues et de présupposés, mais Lucie croyait en leur plan.

 

 

Chapitre 3