Mercredi 1er juillet 2009, Saint-Agrève, quelque part dans la montagne.

 

            Vers onze heures du matin, les policiers ardéchois retrouvèrent le corps sans vie du jeune Grégoire, au pied de sa tente. Le corps fut aussitôt étudié, mais, en l’absence de traces visibles, il fut emmené à la morgue pour une expertise plus poussée. Les enquêteurs pensaient à un poison, car le tueur en avait déjà utilisé deux fois. En effet, pour Mademoiselle Gamber, les analyses avaient confirmé la présence de cyanure. L'hypothèse de la capsule de cyanure mélangée aux bonbons se révélait la bonne. Les enquêteurs se demandaient pour cette troisième victime comment le poison avait été administré à la victime, et surtout quel poison avait été utilisé. Il n'y avait pas de signes physiques, mais le légiste avait observé que le corps était disposé étrangement, comme si le jeune homme s'était débattu au sol.

Dans la poche avant de l'étui de la guitare du jeune homme, les enquêteurs trouvèrent un bout de papier, plié, découpés aux ciseaux crantés comme les trois premiers, avec la suite de la petite histoire, écrite au feutre vert :

 

« Les sept malins avaient décidé de se retrouver à la fin de la semaine.

 

Malheureusement, le quatrième malin se mit à jouer de la guitare et il

 

oublia que la musique ne mange pas... Il ne restait plus que trois malins. »

 

            La fin laissait les enquêteurs dubitatifs : « la musique ne se mange pas »... Ils pensaient que le tueur aurait pu voler les provisions du jeune qui n'aurait eu à manger que sa musique, mais ceci n'avait pas de sens et le jeune homme n'était parti que depuis le matin. Cette énigme restant insoluble, la guitare partit aussi en analyse.

            Le commissaire Galedron ayant organisé les recherches et étant déjà en contact avec le commissaire Noicas fut choisi pour représenter les équipes ardéchoises à Cahors. Il rejoint ses collègues en fin de journée. Les premiers arrivés, les commissaires Noicas et Brot avaient fait une déclaration commune à la presse depuis la préfecture du Lot. Ils avaient présenté les trois victimes, et n'avaient pas caché que d'autres victimes pouvaient être découvertes dans les jours à venir. Ils n'avaient pas établit le lien avec la cousinade, mais avaient parlé d’une piste sur laquelle ils étaient pour trouver le lien entre les personnes assassinées. Les descendants de Gustave Figet et de Thérèse Bustel étaient prévenus au fur et à mesure du potentiel danger qu'ils courraient, et face à cette annonce, les réactions étaient diverses : soit les gens paniquaient et demandaient une mise sous protection immédiate, soit ils imitaient l'organisateur de la cousinade et défiaient l'assassin de venir s'en prendre à eux.

            Il avait été dit que M. Cannel avait lui aussi participé à l’élaboration des cadeaux offerts aux personnes âgées lors de la dernière cousinade. Il avait écrit tous les poèmes qui avaient été dit par Thierry Gassepaz au moment de la remise des cadeaux par Aline et Grégoire. Ca devenait trop évident pour n'être qu'une simple coïncidence. Les personnes les plus suspectes furent interpellées, puis amenées en garde à vue au commissariat de Cahors. Et quels suspects ! Les deux premiers avaient été cités par les premiers témoins de l'enquête : un vieil homme de quatre-vingt-quatre ans qui avait fait des histoires lors de la dernière cousinade parce qu'il était trop jeune pour avoir un cadeau et Jacques Perlinois, un quinquagénaire au chômage, qui en avait voulu à M. Figet de lui avoir préféré Thierry Gassepaz à la présentation de la remise des cadeaux. Pour le vieil homme, tout ça était « bien mérité pour ces imbéciles qui n'avaient pas de respect pour les anciens combattants ». Pour M. Perlinois, cela était « bien triste, mais enfin bon... comme ça, comme je ressors d'ici quarante-huit heures au maximum, je pourrais peut-être présenter à nouveau la remise des cadeaux ».

La recherche d'autres suspects avait été compliquée car les vieilles rancunes de famille étaient ressorties. L'une accusait la cousine qui s'était moquée d'elle étant plus jeune, les jeunes accusaient les anciens qui les avaient élevés avec rigueur, les anciens accusaient les plus jeunes qui « ne respectent plus rien » ; et il fallait beaucoup de patience et de neutralité aux enquêteurs pour faire la part des choses et trouver les suspects qui l'étaient vraiment. Aux deux suspects en garde à vue, s'ajoutèrent trois autres, mais qui laissaient les enquêteurs dubitatifs. Il y avait une jeune femme de vingt-six ans dans les Landes qui avait dit à Aline Gamber « si tu dis ça, j'te tue », avant que cette dernière ne raconte à toute la tablée qu'elles occupaient cinq ans auparavant les choses honteuses qu'elle avait faites ou dites au cours de son enfance ; une femme de quarante-quatre ans à Paris qui avait été accusée plus jeune d'avoir tué son cousin, mais qui avait été innocentée par un non-lieu pour vice de procédure ; enfin, il y avait une vieille dame de quatre-vingt cinq ans dans le Jura qui avait pesté pendant toute la dernière cousinade notamment au moment des cadeaux, parce qu'elle avait été amenée par ses neveux et nièces, selon elle de force, à cette réunion « stupide» où elle ne voyait qu'une chose, c'est qu'elle devenait de plus en plus vieille et avait le sentiment d'être poussée vers la tombe par les nouvelles générations.

Chaque personne avait des raisons de tuer, mais est-ce pour autant qu'ils l'avaient fait ?

            Il restait dans la petite comptine trois « malins » qui devaient se retrouver à la fin de la semaine. Les équipes de police travaillèrent donc sur les personnes qui avaient aidé à la préparation des cadeaux : le problème était qu'il en restait cinq : Mesdemoiselles Emma Figet,  la fille de M. Figet, et Coralie Estangre qui avaient emballé les cadeaux ; Monsieur Georges Philippe, qui avait participé à l’achat des cadeaux avec madame Corinne Gallois et enfin, le superviseur de toute cette organisation, M. Marcel Figet.

Cinq personnes, mais trois victimes potentielles. Lesquels allaient être frappées, et surtout comment ? Les commissaires réunis à Cahors décidèrent d’un commun accord qu’il fallait trouver un profil commun aux victimes.

            Il y eut plusieurs hypothèses, les critères évoqués étant l’âge, le sexe, la répartition géographique, la situation socioprofessionnelle,… Bien entendu, les personnes identifiées comme faisant partie des victimes très probables étaient étroitement surveillées, consignées à leur domicile avec une présence policière importante, mais discrète pour essayer d’appréhender le tueur. Le commissaire Plantou, représentant des Deux-Sèvres, se mit en tête que le tueur essayait de réaliser un dessin sur la carte de France, et il mobilisa des membres de son équipe pour qu’ils trouvent les hypothétiques symboles que l’on pouvait trouver en reliant les différentes villes où quelqu’un avait été tué. Il trouva des explications sataniques et celtiques qui démontraient bien que le tueur avait eu raison d’étaler ses meurtres sur l’ensemble de la France ; il y avait peut-être plus de moyens, mais il y avait aussi plus de personnalités, d’orgueil, d’ambition et de perte de temps. Le mercredi s’acheva sur un ensemble de théories, des protections mises en place, des suspects en garde à vue, des procès verbaux à n’en plus finir, et avec un total de quatre victimes, mais aucune certitude quant au fait qu’il n’y en ait pas une autre de plus le lendemain. 

 

Chapitre 5