Vendredi 17 juillet 2009, Paris, studio 307 de la télévision publique française.

 

 

L'entretien commença à dix heures du matin. Maurice Gloiriot savait qu'il réalisait une interview historique, mais restait partagé entre l'excitation professionnelle de cet entretien et l'impression désagréable de répondre au caprice d'une vieille dame folle.

Maurice débuta en abordant le premier meurtre, celui de Thierry Gassepaz. Il résuma la situation, et questionna surtout Mamée Josette sur ce qui restait mystérieux, le moyen qu'elle avait utilisée pour empoisonner cet homme :

«- Ils ont cherché partout je suppose : le pain, le lait, le café, le sucre, les tasses, et peut-être même dans la farine !!! Ah ah ah ! Ont-ils seulement regardé dans le grille pain ? De l'aconine sur les grilles de cet engin et en trois minutes, voilà un joli toast empoisonné !

- Comment pouviez-vous être sûre que M. Gassepaz allait se faire griller du pain ?

- Vous n'avez pas connu Thierry ! S'il y avait bien un homme qui n'aimait pas le changement, c'était bien lui ! Et son petit déjeuner est comme une institution ! Il ne fallait surtout pas y toucher, surtout pas changer une chose dans ce rituel bien huilé.

- Vous avez joué sur les petites habitudes de ces gens en somme ?

- Vous pensez à Emma, c'est ça ? Ah ! La petite Emma, je l'aimais bien, c'est dommage qu'elle se soit crue si maligne...

- Comment ça si maligne ?

- Vous voulez déjà casser le suspens M.Gloiriot ? Attendez. Nous avons le temps... Vous savez bien que l'émission dure toujours une heure et quart. Gardez le grand mystère pour le dernier quart d'heure. » Elle ajouta un petit clin d'œil à la caméra. Maurice sentait son impression d'être utilisé comme une marionnette grandir peu à peu.

- Justement, pour Emma Figet, vous connaissiez aussi ses petites manies.

- Bien sûr. Je venais régulièrement visiter la petite. Vous savez, quand on est vieux, les gens vous parlent assez facilement. De toute façon, ils pensent qu'on aura soit oublié dans le quart d'heure qui suit, soit qu'on ne sera bientôt plus là. Alors pourquoi s'en faire ? Emma avait un petit rituel étrange lorsqu'elle était un peu angoissée. Les morts, le danger, c'était essentiel pour pouvoir la mettre en conditions pour avoir une bonne dose de stress. Je devais donc attendre avant de lui régler son compte. Et puis, je devais travailler mon entrée en scène...

- Votre entrée en scène ?

- Cette bonne vieille Germaine Grovert... Vous ne pensez pas qu'elle a pu attraper cette gastro dans la rue tout de même ? Il a fallu déposer un petit échantillon de sécrétions infectée, et hop ! Me voilà une excuse toute trouvée pour entrer dans l'immeuble. Alors, je dois dire aussi que la police m'a facilité les choses ! Ce jeune officier de police ! Quel nigaud ! Quand on a le physique, on peut tous vous berner. Un peu de gémissement, le dos voûté, les rhumatismes,... C'est tellement simple !

- Et pour repartir de l'immeuble, vous aviez bloqué l'ascenseur ?

- Bien sûr ! Le plus dur étant de savoir précisément à quelle heure quelqu'un crierait... J'avais maintenu l'ascenseur au cinquième ou au quatrième suivant les personnes qui traînaient à l’étage.

- Toute la nuit ?

- Je suis insomniaque ! C'est bien pratique d'ailleurs. Si vous saviez ce que les gens disent tout haut quand ils pensent que vous dormez ! Et puis cet officier nigaud qui tombe dans le panneau ! Un vrai régal !

Un peu plus tard, ils abordèrent le second meurtre :

- Pour Aline Gamber, vous vous êtes aussi servie de ses manies...

- De ses tocs vous voulez dire ! Une vraie folle celle-là ! Avec ses boites bien ordonnées, tout bien rangé ! Il y a deux ans que j'ai trouvé comment lui régler son compte. J'ai pris le temps de faire des tests. Je lui ai d'abord mis un laxatif, et ensuite, je lui ai donné un échantillon de mononucléose ! Je me suis tant amusée... J'en aurais bien profité encore un peu si ça avait été possible.

- Comment avez-vous pu assassiner ces membres de votre famille sans l'once d'un remord ?

- Vous essayez encore d'aller trop vite M. Gloiriot ! Laissez couler. Vous ne voulez pas savoir comment j'ai pu assassiner ce jeune scout dans la nature, loin de tout...

- Grâce à ce polish enduit de cigüe. Mais vous y étiez ?

- Pas du tout. Je lui ai juste envoyé un petit colis, avec un petit mot. Vous avez, du genre : mon grand garçon ! Comme tu as changé, tu es presque devenu un homme maintenant. Pour toi, voici deux petits cadeaux qui te serviront quand tu camperas au cours de ton camp scout de cet été. Fais-moi plaisir, attends d'être dans ta tente pour les ouvrir. Je t'embrasse fort mon beau jeune homme. Mamée Josette. » Comment voulez-vous qu'il résiste à un mot si charmant de sa mamée ? Ah ah ah ! Je pense qu'il a apprécié la lampe de poche et le polish qu'il m'avait demandée quand je l'avais questionné sur le cadeau qu'il souhaitait pour son anniversaire. Dommage qu'il n'en ai pas plus profité...

Le rire était sadique et M. Gloiriot n'en revenait pas de voir dans le corps de cette petite mamie un esprit aussi vicié.

Par la suite, ils arrivèrent au troisième meurtre, celui du vieil homme de soixante-treize ans :

- Pour M. Cannel, vous avez tout de même poussé le vice jusqu’à être celle qui a signalé à la police que quelque chose clochait…

- Je me suis tant amusée à feindre l’évanouissement !

- Concernant cet assassinat, tout le monde se demande comment vous avez fait, malgré votre gabarit, pour l'égorger.

- Jules ?! Ce sale pervers n'avait eu qu'une seule envie au cours de toute sa vie : me sauter.

- Vous l'avez donc tué pour cette raison ?

- Oh que non. Si ça avait été ce motif qui avait guidé mes gestes, j'aurais eu bien plus de sept personnes à assassiner... Non, je l'ai tué pour la même raison que les autres. Seulement, comme pour cette fois, je ne l'ai pas repoussé, il a eu le malheur de vouloir m'entraîner au plus vite dans son appartement, et il m'a tourné le dos. Ah, les hommes ! Si vous arriviez à penser avec autre chose qu'avec votre queue !

- Madame, je vous en prie !

- Vous préférez un mot plus grossier peut-être ?

 

Ils finirent en abordant les deux derniers meurtres : ceux de madame Gallois et de monsieur Figet. Maurice Gloiriot s'étonna que ces meurtres aient eus lieu, dans le bon ordre, alors que Mamée Josette était en gare à vue.

- Vous n'avez rien écouté ! J'ai observé ces personnes pendant cinq ans, je connaissais tout de leurs vies. On a l'habitude de dire que les vieux ont des manies agaçantes, mais si vous voyiez les vôtres ! Il m'a suffit de régler les horloges, elles ont sonné toutes seules. Corinne Gallois changeait de chaussures tous les jours. Elle avait un beau meuble à chaussures qu'elle ouvrait au moins une fois par jour, systématiquement. Vous savez qu'il faut cinq milligrammes de somnifère pour endormir une vipère pendant six jours. Il m'a suffit de l'endormir, de la laisser dans une chaussure d'hiver lors de ma visite de dimanche dernier à cette prétentieuse, et de laisser les choses se passer. D'après mes expériences, une vipère enfermée dans une chaussure et endormie pendant six jours aura forcément le réflexe d'attaquer la première chose qu'elle voit bouger. La première chose qu'elle vit bouger fut Corinne, la seconde le malheureux officier de police. Dommage pour lui, il n'était pas au programme...

- Pour M. Figet, vous vous êtes encore servie d'un petit rituel, mais comment savoir qu'il ne commencerait la nouvelle bouteille que samedi 4 juillet ??

- M. Figet a vu son frère emporté par une cirrhose du foie, à cause de ses accès d'alcool. Il s'était donc dicté comme ligne de conduite de ne jamais dépasser cinq centilitres de calvados chaque soir. C'était sa réserve personnelle, il n'en offrait jamais. Il m'a suffit de calculer et de laisser la quantité nécessaire. En cinq ans, je vous le répète, on apprend énormément de choses sur les gens. Même après avoir perdu sa mère, il n'avait pas changé ses habitudes, il avait trop peur de ressembler à son frère. Je savais que la perte de sa fille ne changerait pas mes plans.

- Deux autres questions avant d'arriver aux raisons de vos actes...

- Vous avez raison, l'heure tourne...

- Pourquoi avoir épargné deux des personnes qui avaient aidé à la préparation de cadeaux ? Et pourquoi avoir dessiné un arc-en-ciel avec les couleurs de vos messages ?

- Vous n'êtes pas très futé ! Une personne de chaque génération. Grégoire, 16 ans, Aline, 23 ans, Emma, 32 ans, Thierry, 46 ans, Corinne, 54 ans, Marcel, 68 ans et Jules, 73 ans. Il faut vraiment tout vous dire à vous ! Pour les couleurs, je m'expliquerai après...

- Justement, nous avons reparlé des différents assassinats que vous avez commis en une semaine. Nous avons vu comment vous vous y étiez pris. Maintenant, je pense qu'il est temps d'éclairer notre lanterne sur la raison de ces actes.

- Oh ! C'est bien trop simple : cette bande de petits prétentieux m’avait offert un cadeau lors de la cousinade de 2004 ! Un dernier cadeau, comme si j’allais mourir dans les cinq ans à venir. Ils ne se sont pas regardés. Tous tombés comme des mouches. Un par un. C’était si facile ! Moi, je suis une vieille dame, je suis si gentille, et puis usée, malade, pleine de courbatures aussi. Alors, il faut me ménager, il faut faire ce que je demande, il faut manger mes gâteaux immangeables, il faut boire ma citronnade imbuvable, il faut me pardonner mes excès de colère et mes prises de position extrémistes ; il faut aussi répéter plus fort parce que je suis forcément sourde. Mais qu’est-ce qu’ils pensaient ces bouffons ?! Je vais très bien. J’ai une plus grande pêche qu’eux, ça c’est sûr ! Ah, ça non ! Elle n’est pas morte la Josette Frigolet. Ah ah ah ! Pour les couleurs des messages, c'est un petit clin d'œil pour cette bande d'imbécile : ils avaient choisi un papier cadeau aux couleurs de l'arc-en-ciel ridicule au possible. Je suis peut-être vieille, mais je ne suis tout de même pas gâteuse...

- Vous avez fait ça pour un cadeau ? Pour une marque de gentillesse et de respect ?

- Du respect mes fesses oui ! J'ai de l'orgueil et je ne suis pas encore prête à me laisser enterrer vivan...

 

            Mamée Josette se raidit sur sa chaise avant de tomber sur la table. Elle ne respirait plus, ne bougeait plus. Les cameramen firent un gros plan, M. Gloiriot ne bougea pas un cil. Les policiers qui étaient là pour prévenir toute tentative de fuite accoururent, accompagnés par une équipe médicale. Le massage cardiaque fut inutile. Rupture d'anévrisme, mort subite, instantanée.

 

 

 

            Finalement, les « sept malins » avaient eu raison d'offrir un cadeau à Mamée Josette de peur qu'elle ne meure avant la prochaine cousinade ; elle n'a pas survécu. La cousinade eu lieu l'année suivante à Cahors pour commémorer l'esprit familial du clan Figet-Bustel.

A la semaine prochaine, pour une nouvelle émission de « Revivez les grands affaires criminelles ». Bonsoir.

 

 

FIN