Attention ! certains passages de cette nouvelle peuvent heurter la sensibilité des moins de 14 ans.

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Très  the mean hutte

Par Thomas Burnet.

Contrairement au jeu des mille euros, cette nouvelle n’est pas tout public ; certains passages peuvent heurter la sensibilité des enfants de moins de 14 ans.

« Le jeu des mille euros est un jeu radiophonique créé en 1958. Il consiste en une série de questions culturelles posées à deux candidats qui jouent ensemble et non pas l’un contre l’autre, afin de leur faire remporter jusqu'à 1000 euros. L’émission se déplace de ville en ville, et l’équipe enregistre jusqu’à trois émissions par soir. Le jeu se déroule en plusieurs étapes : tout d'abord, l'animateur annonce l'émission sous les applaudissements du public. Ensuite, il fait une présentation de la commune, de son histoire et des curiosités touristiques, avant de présenter les candidats. Puis, les candidats doivent répondre à six questions qu'ils ont tirées au sort : trois bleues, deux blanches, puis une rouge ; classées par ordre croissant de difficulté. Ils peuvent proposer plusieurs réponses à chaque question dans un temps limité à 30 secondes qu'un assistant sonorise en frappant sur un glockenspiel, un petit métallophone à quatre lames. Si les candidats ne répondent pas à toutes les questions, le meneur de jeu leur repose celles restées sans réponse pour lesquelles ils peuvent encore donner une réponse dans un temps limité à quinze secondes pour chaque question, en n'ayant droit cette fois qu'à une seule réponse. Une fois toutes les questions posées, si les candidats ont répondu à au moins cinq questions et s’ils le souhaitent, ils peuvent tenter le Banco. Les candidats n'ont alors droit qu'à une seule réponse pour cette question mais peuvent se concerter entre eux et ont le droit à un délai d'une minute. En cas de réponse correcte, ils gagnent la somme de 500 €. Ils peuvent alors tenter le Super Banco. Si les candidats répondent correctement, ils gagnent 1000 € à se partager. S’ils perdent, ils repartent avec une prime de sportivité de 100 € et des livres. »

 

 

Wikipedia (modifié)

 

 

Le jeu des mille euros est diffusé du lundi au vendredi, à partir de 12h45, sur France Inter.

 

 

Lors de sa diffusion quotidienne, le jeu des mille euros dure 13 minutes.

 

 

Philippe courait depuis deux minutes lorsqu’il franchit les portes de la gare. Il ne s’arrêta même pas devant le portillon et posa son Navigo sur la borne en poussant en même temps la barre pour la faire basculer. Il eut le souffle coupé lorsqu’il s’écrasa contre cette dernière. Il repassa son pass Navigo deux fois avant de se rendre compte que le portillon qu’il essayait de passer ne comportait pas de lecteur de Navigo. Il se décala sur sa gauche, posa son pass doucement sur le lecteur et reprit sa course. Un coup d’œil à l’horloge de la gare – 14h21 – un autre au tableau d’affichage – prochain train pour Paris Montparnasse à 14h21 – et il redoubla d’efforts. Ca faisait longtemps qu’il n’avait pas fait une telle course mais il ne voulait pas rater ce train. Il n’avait pas de rendez-vous particulier, mais il détestait manquer un train. Il détestait encore plus devoir attendre le train suivant, surtout quand il avait oublié de prendre un livre avec lui pour passer le temps. C’était là son pire défaut : Philippe n’aimait pas attendre à ne rien faire. Il arriva devant le dernier effort, mais le plus dur : les escaliers qui menaient au quai 1B. En levant les yeux, il aperçut le train au bord du quai, mais, alors qu’il venait de bondir sur la seconde marche, il entendit le signal sonore qui signifiait la fermeture des portes. Il tenta une ultime accélération, mais ses cuisses lui refusèrent cet effort. Il monta aussi vite qu’il put, mais c’est sur des portes closes qu’il posa la main, plein de dépit. Raté. Il tourna la tête pour savoir le temps qu’il aurait à attendre avant le prochain train : treize minutes. Il soupira en allant s’asseoir sur un des bancs. Le train démarra et Philippe se demanda ce qu’il pourrait bien faire pendant treize minutes…

Il est 12h45 et nous rejoignons, à Gallargues le Montueux, Nicolas Stoufflet, assisté de Yann Pailleret, pour le jeu des mille euros.

- Chers amis,

- Bonjour !

- Nous sommes toujours en Languedoc Roussillon, à Gallargues le Montueux, dans le département du Gard. Cette commune d’un peu plus de 3000 habitants…

Henri regarda sa montre, il était alors 18h33. Il se rappela la dernière fois qu’il l’avait regardé. C’était treize minutes plus tôt, il était alors 18h20. Il aimait bien sa vie de 18h20. Bien plus que sa vie de 18h33. A 18h20, il avait tout ; à 18h33, il avait l’impression qu’il n’avait plus rien. A 18h20, il avait regardé l’heure pour voir s’il avait le temps d’écouter la dernière chanson du Cd de F.M. avant d’arriver chez lui. Il était donc dans sa voiture, et écoutait une de ses dernières découvertes musicales. Il revenait plus tôt que prévu de chez son meilleur ami, Pierre, qui venait de lui annoncer que Maryse était enceinte. Deux minutes après que la douzième chanson ait débutée, son téléphone avait sonné. Il s’était garé sur le parking de l’église avant de décrocher ; c’était l’excellent traiteur sur lequel Elsa avait jeté son dévolu pour leur mariage qui l’informait qu’il s’était arrangé pour être libre le 14 juin. Après avoir raccroché, il avait lancé un « YES ! » satisfait. Il avait levé les yeux vers le ciel et avait coupé le contact de la voiture : il faisait beau, il allait finir le trajet à pied, ça ne lui prendrait que cinq minutes au maximum. Il était sorti, avait attrapé sa sacoche, et avait marché le nez au vent. C’était encore sa vie de 18h20, celle qu’il aimait bien : fiancé à Elsa, il était cadre dans le secteur Ouest chez Venelle avec un très bon salaire et des bonus généreux. Après le mariage, il était prévu un voyage de noces au Kenya, et le début des visites pour l’achat de leur première maison. En changeant de trottoir, il avait salué une de ses voisines, qui, comme à son habitude, discutait avec ses copines sur le muret devant sa maison et avait caressé un des chats du quartier qui passait par là. Il était arrivé devant le portail de la maison qu’il louait dans le bourg de Saint-Mars d’Egrène et était entré dans le jardin. Il avait monté les quelques marches qui menaient jusqu’à la porte d’entrée et avait baissé la poignée. La porte était verrouillée ; il s’y attendait car Elsa avait très peur des voleurs et laissait rarement une porte sans la fermer à clé. Il s’était dit qu’elle était sûrement en train de jouer à la console et n’avait pas voulut pas la déranger. Il avait donc cherché son trousseau dans sa sacoche et avait ouvert la porte.

Dès qu’il était entré, il avait entendu des bruits venir de la chambre ; il savait que lorsque sa future femme était prise dans une course de voiture, elle avait du mal à se retenir d’insulter l’écran de télé ou de le narguer. Il avait posé ses affaires au porte-manteau et s’était dirigé vers la chambre, curieux de voir si elle avait battu son record de la veille : il avait traversé le couloir, avait passé le salon et son sourire s’était aussitôt effacé. Il avait reconnu la voix de sa fiancée ; enfin, il avait surtout reconnu ses cris. Ces petits cris qu’elle poussait lors de leurs ébats amoureux. Il aurait éventuellement pensé qu’elle s’offrait un petit plaisir solitaire s’il n’avait pas entendu des cris rauques qui accompagnaient ceux d’Elsa. Le pire avait commencé à se dessiner dans son esprit ; il avait continué jusqu’à se retrouver face à la porte de leur chambre. Ces cris étaient une véritable torture, mais il avait tout de même poussé la porte de la chambre. Ils étaient là, tous les deux, sur le lit, mais ne le voyaient pas. Elsa était à quatre pattes et une espèce de beau gosse brun et musclé se tenait derrière elle. Il resta bête pendant quelques secondes à assister à cette scène surréaliste, entendant sa fiancée prendre apparemment bien plus de plaisir qu’elle n’en prenait avec lui.

Puis, il avait claqué la porte et avait couru hors de la maison. Il s’était accoudé au portail et avait pleuré. Adieu mariage, adieu voyage de noces au Pérou, adieu la vie à deux tant de fois rêvée avec son Elsa. Alors qu’il pleurait toutes les larmes de son corps, son portable avait vibré dans sa poche ; c’était la sonnerie du téléphone de ses parents. Il avait passé sa main sur le visage, expiré lentement et avait décroché.

- Allo, Henri ? Oui ? C’est … c’est maman… Sa mère était elle aussi en larmes. Comment te dire ? C’est ton … ton… c’est ton père. Il a fait un accident vasculaire-cérébral.

- Quoi ?!

- Je faisais mes sudokus dans la chambre et quand je suis revenue, je croyais qu’il faisait une sieste,… mais… et sa mère s’était  remise à pleurer. Elle avait finalement réussi à contrôler ses sanglots, puis avait repris : il est au CHU d’Alençon, viens vite. Elle avait aussitôt raccroché.

Les yeux d’Henri s’étaient remplis à nouveau de larmes. Il était rentré en coup de vent dans la maison pour prendre sa sacoche – alors qu’Elsa semblait être au bord de l’orgasme – et était ressorti aussitôt, dégouté. Il avait couru jusqu’à la voiture et l’avait atteinte en deux minutes. Au moment il y était entré, son portable avait vibré, c’était un message. Il venait de Phil, le responsable syndical de Venelle. Le texto était clair et laissait peu de place au doute : « Venelle dégraisse. Décision unilatérale. Secteur Ouest ferme, tout le monde licencié. Annonce publique demain. On se battra pour les primes. Phil.»

                Il avait jeté son portable sur le siège passager dans un cri de désespoir et avait de nouveau pleuré, la tête dans le volant. Il avait repensé à tout ce qu’il venait de perdre : sa vie à deux, Elsa, son boulot et peut-être son père. Il avait tourné la clé.

Avant de démarrer, Henri avait regardé le tableau de bord : il était 18h33. Il se souvint de la dernière fois qu’il l’avait regardé, il était alors 18h20 ; mais c’était déjà dans une autre vie.  

… et enfin, le domaine de Thomas Burnet. Cet ancien négociant écossais qui fut maire de la commune à la fin du XVIIIème siècle et nous a laissé cette superbe bastide qui conserve les caractéristiques des constructions de l’époque et que vous aurez plaisir à visiter. Mais avant cela, c’est maintenant le jeu des mille euros, avec, aujourd’hui, deux concurrentes, Anaïs Grenois et Thays Lauth !

                Maurice regarda la mer au loin. Le torse bombé, les mains sur les hanches, il adoptait la posture que sa cousine Agnès lui avait préconisée pour séduire les filles. Et il voulait justement en séduire une de fille. Elle s’appelait Isabelle, et elle était terriblement belle : cheveux bruns et yeux verts, un sourire à vous arracher le cœur, une silhouette très fine et des seins déjà bien formés. Maurice en était tombé amoureux dès qu’il l’avait vue, le vendredi de son arrivée. Pendant que le jeune garçon prenait la pose, espérant qu’elle le remarque, la jeune fille jouait au Jungle Speed avec une autre fille, peut-être sa cousine, ou une copine de plage, et par conséquent, semblait ne pas l’avoir vu. L’autre jeune fille n’intéressait pas du tout Maurice. Non pas qu’elle n’était pas belle – elle avait elle aussi une silhouette très bien dessinée – mais elle n’avait pas le sourire ravageur d’Isabelle.

                Maurice ne leur avait jamais parlé, mais il les avait longuement observées quand elles jouaient ensemble aux raquettes ou au volley de plage. Il avait retenu leurs prénoms : Isabelle et Paula. Il regarda sa montre : 17h32. Sa mère lui avait dit qu’ils devaient partir à six heures moins le quart, pour éviter d’être bloqués par le pont à circulation alternée qui basculait toutes les heures pour faire place aux bateaux, ce qui provoquait une interruption du trafic pendant près d’un quart d’heure et de nombreux embouteillages quand le pont était ré-ouvert aux usagers. De même qu’il fallait à un moment se décider pour rentrer dans une eau glaciale, il savait qu’il devait se lancer s’il voulait séduire Isabelle. Il s’assit dans le sable pour y réfléchir.

Il se demanda comment l’aborder. Chaque nuit, avant de se coucher, il se posait cette question ; il imaginait différents scénarii où l’adolescente finissait toujours, comme par hasard, dans ses bras. Il pensa d’abord à venir lui demander s’il pouvait jouer au Jungle Speed ; mais le problème était qu’il était nul à ce jeu et qu’il ne voulait pas passer pour un naze. Il repensa à ses mises en scènes imaginaires et envisagea celle de son ballon qu’il lançait pour qu’il arrive juste à leurs pieds ou encore mieux celle où elle arrivait devant lui pour lui proposer d’aller faire une promenade. Il déroula alors son fantasme et assista, les yeux fermés, à la rencontre idéale qui s’achevait par un baiser, au bord de la mer.

Il fut sorti de sa rêverie par une carte qui lui arriva sur le front. Il la rattrapa et découvrit avec stupeur un des sigles du Jungle Speed. Son cœur se mit à battre la chamade. Il leva les yeux vers Isabelle et Paula qui le regardaient de loin. Il ne savait pas trop quoi faire. En fait, non, il savait exactement quoi faire : il devait aller là-bas, se montrer sous son meilleur jour et devenir le petit copain officiel d’Isabelle. Il se releva, chassa le sable de son short – qui, heureusement, n’était pas trop ringard – regarda une dernière fois la carte dans sa main, et se mit en route vers les serviettes des jeunes filles. Elles le regardèrent s’avancer. Avec beaucoup de courage, il prit la parole en premier :

- J’ai reçu cette carte sur le front, elle est à vous ?

- Oui, merci. Il y a eu un coup de vent et elle s’est envolée.

Il tendit la carte à Isabelle. Son cœur se serra lorsqu’il réalisa qu’il la tenait presque par la main. Lorsqu’il lâcha la carte, son cœur s’emballa encore plus. Il savait que c’était l’instant très précis où il ne fallait pas rater sa réplique, l’instant précis où il fallait avoir de la répartie. Maurice prit une inspiration, mais Paula relança avant lui :

- C’est un Jungle Speed, tu connais ?

La réponse qui lui éviterait de passer pour un nul lui apparut soudain évidente :

- Non, c’est comme le Tarot ? (Il ne savait pas jouer au Tarot, mais ses parents, si ; et il savait que cette référence à un jeu d’adulte était un atout)

- Non, pas du tout, répondit Isabelle. C’est un jeu de rapidité, un peu comme le Tas de Merde.

Ils se mirent tous les trois à rigoler.

La jeune brune continua : tu veux qu’on t’apprenne ?

Il sembla à Maurice que son cœur allait littéralement exploser dans sa poitrine. Il avait réussi, il avait une porte d’entrée vers le cœur d’Isabelle. Trop heureux, il ouvrit la bouche pour répondre Oui, mais alors qu’il prononçait ce sésame vers l’amour, il entendit sa mère déclarer :

- Maurice !  Viens ! On y va ! Et dépêche-toi, le pont va bientôt tourner.

Le jeune garçon regarda avec désarroi sa montre. Il était 17h45.

- Et je tiens aussi une collection de tortues.

- De tortues ?

- Oui, de tortues. Tous les genres, toutes les tailles, toutes les couleurs… et je les place ensuite dans une pièce de la maison que j’ai logiquement nommé « Le jardin des tortues ». J’en ai plus de cent cinquante !

- Et bien ! C’est très impressionnant. Très bien, maintenant, Thays Lauth, avec Anaïs Grenois, voici les questions du jeu des mille euros ! Et nous commençons par  une question bleue, qui nous vient de Josette Gambelin, à Lyon dans le Rhône : de quel clou l’eugénol est-il un élément fondamental ?

Albert posa un pied dans l’eau et un frisson le parcourut. Qu’elle est froide, dit-il pour lui même. Albert avait bien sûr une vision bien personnelle de la chose, car déclarer qu’une eau à 28° est froide n’est pas une chose convenue. Il descendit la seconde marche en se raidissant, puis attrapa le matelas gonflable qu’il avait posé sur le bord de la piscine. Il le positionna devant lui et monta dessus en essayant de ne pas mouiller les parties sèches de son corps. Une fois ce périlleux exercice accompli, il s’allongea complètement et commença à se détendre.

Il aimait beaucoup la maison de ses cousins. Ceux-ci avaient investi dans un ancien corps de ferme en Ardèche qu’ils avaient retapé pendant cinq ans avant d’en célébrer l’ouverture officielle l’été dernier. Albert avait participé aux travaux de rénovation et c’est donc naturellement qu’il avait demandé s’il pouvait passer la première semaine de septembre dans cette maison. Elle était alors inoccupée, et Albert avait pour lui tout seul une propriété avec sept chambres, deux cuisines, trois salles de bain, quatre toilettes, deux salons, une bibliothèque, une grande piscine et un énorme jardin. Cette vieille ferme avait été refaite avec goût, patience et soin ; il s’y sentait bien.

Il faisait très chaud ce jour-là, mais un petit vent venait de se lever. Albert regardait le ciel en se disant que la vie était quand même bien faite. Il toucha du bout du pied gauche le petit rebord de la piscine avant que la brise ne l’en éloigne, il se laissa porter. Il était alors 17h34.

**************************

A 17h47, Albert sortit de sa somnolence quand son matelas rencontra un obstacle. Tiens, se dit-il, je suis arrivé de l’autre côté de la piscine.  

- La Bastille !

- C’est ça ! Bravo, vous avez répondu aux trois questions bleues, nous passons maintenant aux questions blanches. Deux questions blanches. La première nous vient de Charles Mouzelle, de Charleville-Mézières dans les Ardennes : quel film a reçu la palme d’or du festival de Cannes en 1968 ?

[Ding Ding Ding]

- Attention, il y a un piège…

[Ding Ding Ding]

Roger ferma les yeux. Il faisait assez frais, mais une goutte de sueur lui coula le long du front. Il était dans une pièce triste et vide. Presque vide. Il y avait une chaise de dentiste sur laquelle il était assis, une desserte en inox et, au mur, une pendule ; au plafond, un néon sale donnait une lumière pâle à l’ensemble. Roger savait très bien pourquoi il était là. Il savait pourquoi il était ligoté à cette chaise, et il savait aussi très bien à quoi servait les instruments soigneusement rangés sur la desserte. Soudain, un bruit de clé brisa le silence de la pièce. La porte s’ouvrit tout doucement dans un grincement lugubre, qui n’était pas sans lui rappeler celui de la chanson Thriller de Mickael Jackson qui lui donnait tant de frissons étant petit. Dans l’entrebâillement de la porte, il découvrit une femme. Elle était très élégante, mais aussi très belle : de très beaux cheveux bruns lui descendaient jusqu’au bas du dos, il devinait une poitrine généreuse sous ce tailleur strict, et ses yeux bleus le regardaient intensément. Elle le fixait avec une telle intensité qu’il dut baisser le regard. Elle s’approcha doucement, caressa son entrejambe jusqu’à ce qu’elle obtienne une réaction et sourit : Alors Roger, je te fais bander ? Profites-en bien, car c’est la dernière fois que tu vas ressentir quelque chose d’aussi agréable avant très longtemps. Puis, elle serra très fort sa main et la bascula sur le côté. Roger poussa un cri qui rebondit sur les parois de la pièce.

- Bonjour Roger, je m’appelle Claire et je suis là pour obtenir des renseignements de ta part. Nous allons donc fixer les règles : tu me dis ce que je veux savoir, tu rentres chez toi ; ta bite tordue, ça sera un souvenir agréable par rapport à ce que je te réserve si jamais tu décides de ne pas répondre à mes questions. Tu as compris ?

- J’ai bien compris.

- Alors tu vas parler.

- Non, je vais te dire d’aller te faire foutre Claire.

- Je vois, noble chevalier qui fait fi de la douleur. Je te propose un pari : tu vois cette horloge, dans quelques secondes, il sera dix-neuf heures. Je te parie que d’ici treize minutes, je t’aurai fait parler. Si à dix-neuf heures treize, je n’ai pas réussi à te faire parler, je te ferai un petit cadeau. Mais je doute que tu tiennes jusque là, le treize est mon nombre porte-bonheur. Elle esquissa un sourire malveillant avant de se détourner et de se diriger vers la desserte. Alors, nous allons commencer par…… te poser la première question : quel est le code de reconnaissance du groupement ?

- …

- Merci. J’avais un peu peur que tu parles trop vite et que je ne puisse pas m’amuser. Bien, pour débuter, je propose une petite mise en bouche : je vais t’arracher les cils de l’œil droit. On n’y pense pas souvent, mais ça a l’avantage de mettre dans le bain. Ca fait en plus horriblement mal.

Claire s’approcha de Roger alors que celui-ci respirait le plus calmement possible ; Ne pas parler, se disait-il, ne pas parler. Respirer, fermer les yeux et penser à un endroit agréable. L’endroit que je préfère au monde : la maison de mes grands-parents. Il sentit que Claire positionnait sa pince, mais il était totalement à sa merci. Il continua de se concentrer : cette vieille maison dans un village haut perché de la Provence, loin de l’agitation des touristes. La maison de Sault, ma chambre, les bandes dessinées que je lisais à l’heure de la sies… AAAAAAÏÏÏÏÏÏÏÏEEEEEE ! Claire venait de tirer sur les cils d’un coup sec. La lumière du néon apparut à son œil droit. Il avait beau essayer de fermer sa paupière, celle-ci semblait ne plus répondre. Il voulut porter la main gauche sur son œil, mais se trouva bloqué par les liens. Il avait l’impression que quelqu’un venait de lui donner un coup de couteau dans la paupière et du sang lui coula dans l’œil.

- Oh, excuse-moi, j’ai arraché un bout de paupière avec… Quelle maladroite je fais !

- Ca ne fait rien beauté.

- On se fait charmeur avec ça !!!

Il savait très bien qu’on pense toujours mieux résister à la douleur quand on ne la ressent pas et se mit à douter qu’il put tenir aussi longtemps qu’il l’aurait souhaité. Il se fixa un premier objectif, comme lors des marathons. Pour cette course, il se dit qu’il fallait tenir au moins treize minutes sans avouer. De son autre œil, il regarda en direction de l’horloge : dix-neuf heures deux. Encore onze minutes d’enfer. Claire s’affaira à la desserte, puis revint avec une pince plus grosse.

- Oh, mon pauvre biquet. Tu as des larmes aux yeux. Et puis tu as une sale gueule avec ta paupière abîmée ! Donne-moi le code et tu pourras peut-être draguer des filles à nouveau.

- …

- Très bien, alors passons à l’entrée du menu.

Elle défit les chaussures de Roger et ôta ses chaussettes. La maison des grands-parents défila dans l’esprit de Roger, l’odeur des croissants chauds qui sortaient du four, les couleurs des confitures faites maisons… Claire disposa sa pince devant l’ongle du gros orteil gauche, la serra et tira tout doucement... L’odeur de la cave, la collection de coquillages, les balades en bateau, et … AAAAAAAAH ! La douleur, intolérable, qui finit par l’empêcher de trouver des pensées agréables. Cette douleur qu’il ressentait n’avait pas de description possible, c’était un calvaire. Il hurlait alors qu’elle prenait son temps. Elle jouait avec ses nerfs et savait doser l’intensité de la douleur. Lorsqu’elle eut fini, elle se releva et lui montra, fière d’elle-même, l’ongle ensanglanté. La douleur se calmait, en passant de l’insupportable à la limite du supportable. Elle recommença avec les quatre autres ongles de son pied gauche.

Claire se dirigea vers la porte et appuya sur un petit bouton qu’il n’avait jusqu’alors pas remarqué. Son œil gauche se tourna vers l’horloge : dix-neuf heures quatre. Le temps passait si lentement ! La trotteuse eut le temps de faire le tour complet du cadran avant que quelqu’un n’ouvre la porte et apporte une seconde desserte.

- Le plat de résistance mon cher Roger !

La desserte n’en était pas une, elle ressemblait plutôt à un barbecue, avec une fumée inquiétante qui s’en échappait lentement. Elle tira une tige de métal, dont la petite plaque du bout était chauffée à blanc. Cette plaque rougeoyait et Roger savait par avance quel supplice lui réservait le plat de résistance.

Il avait toujours été un peu douillet. Ce qu’il vivait ce jour-là dépassait de beaucoup tout ce qu’il avait vécu auparavant, mais l’enjeu lui donnait des raisons de résister. Il avait entendu dire que, dans des situations exceptionnelles, les gens pouvaient réagir de façon inhabituelle : les peureux devenaient braves, les courageux se changeaient en couards. Il savait de quelle catégorie il faisait partie, restait à savoir s’il pouvait se surpasser ; ses larmes ne cessaient pas de couler, ses mâchoires ne se détendaient plus, mais, de rage, il se taisait. Il avait envie qu’elle cesse, que ça s’arrête. Ca paraissait si simple, quelques mots à dire et elle le laisserait tranquille… Mais combien de gens mourraient et souffriraient s’il survivait ? Il avait lu, dans un livre écrit par un ancien tortionnaire, que tout le monde parle sous la torture, il suffit de trouver le bon supplice…

Claire approcha la plaque de métal de sa joue et se mit à jouer la comédie :

- Oh non Claire, je t’en supplie, pas la brûlure, je vais tout te dire : le code c’est Mauviettes Torturées. Puis elle partit dans un rire cynique. Elle se tut soudain et reprit : Allons Roger, fais un effort. Tu parles, j’arrête. Tu te tais et je t’assure qu’avec ça, tu vas douiller.

- Tu peux rêver.

- Ah bon, monsieur se croit plus fort que la douleur ? Alors, déclaration officielle de notre cher Roger : à dix-neuf heures six, il déclare qu’il est insensible aux brûlures ! Bravo ! Elle posa la tige dans les braises et applaudit avant de continuer : dis donc, six minutes ! Tu y tiens à ce cadeau, n’est-ce pas ?

- …

- Je n’aime pas quand tu boudes mon Roger. Allez, je vais te faire chanter.

Elle reprit la tige, se recula un peu et appliqua la plaque de métal sur la plante de son pied droit. Roger tenta de réprimer le hurlement qui lui vint, mais la douleur était trop forte. Son pied était en feu. Il aurait pensé que cette nouvelle douleur lui aurait fait oublier celle à l’œil, mais ce n’était pas si facile ; au contraire, les douleurs se rajoutaient les unes aux autres et son corps entier semblait arraché et brûlé. Tandis qu’il se tortillait en hurlant, Claire s’amusait à remuer le métal et à l’enfoncer dans le pied du jeune homme. Il repensa à ce que disait l’homme du livre : tout le monde parle.

- Allez, Roger, détends-toi ! Parle et j’arrête tout. Si tu ne parles pas, je vais être obligé de faire ça. Elle joignit le geste à la parole en soulevant son T-shirt et posa la plaque sur son ventre. Elle lui arracha un nouveau hurlement de douleur.

- Dis donc Roger ! Tu tiens le coup, mais tu sais qu’il n’est que dix-neuf heures sept. Tu te sens capable de tenir combien de minutes comme ça ? Tu te souviens que dans une minute, il y a soixante secondes ? Je vais te rappeler ce que sont cinq secondes « tranquilles ». Elle se tut et observa l’horloge pendant cinq secondes. Roger souffrait le martyr, mais il savait que les secondes suivantes seraient bien pires. Claire lui donna raison : Et maintenant, je vais te montrer ce que sont cinq secondes douloureuses. Elle posa sa plaque de métal sur l’épaule de l’homme qui hurla de toutes ses forces.

- Lâche prise Roger, lâche prise. Car sinon, la prochaine minute sera très pénible.

                Mais Roger ne voulait pas lâcher prise. Ce qui le faisait tenir, c’était de penser aux autres. Ces autres qui ne dépendaient que de sa force de résistance. Il voulait aussi la toucher, cette Claire qui  jouait avec lui, qu’elle se souvienne de lui comme de celui qui avait gagné le pari, qui avait supporté son menu Torture Express en treize minutes. Treize minutes ! Il eut un sourire qui étonna sa tortionnaire. Il avait l’impression de souffrir depuis au moins quatre heures. Il avait l’impression que ça ne s’arrêterait jamais. En effet, ça ne s’arrêterait jamais, sauf si… Il chassa cette pensée aussi vite qu’elle avait failli apparaître. La minute devait être passée, car elle reposa la tige, et partit chercher un nouvel instrument sur la desserte en inox. Il regarda ailleurs, il avait besoin de ne plus la voir. Mais, elle revint dans son champ de vision. Il sut qu’il allait encore avoir plus mal, mais il ne voulait pas lui offrir le plaisir de le voir quémander et lui sourit franchement. Elle hocha les épaules, et, après avoir annoncé le fromage, elle démarra sa perceuse et l’enfonça dans la cheville gauche de Roger.

************************

                Dix-neuf heures douze. La trotteuse, impassible, continuait ses tours de cadran. Roger n’avait plus de pensée cohérente. Ses deux chevilles étaient maintenant trouées, ses pieds ne semblaient n’être plus que des lambeaux. Il savait pourtant qu’il n’allait pas parler, car il ne s’autoriserait pas à le faire ; il ne réfléchissait plus que de façon binaire : trop mal / très mal. Il voulait qu’elle l’achève, mais avait l’honneur de ne pas le lui demander. Une phrase raisonnait à ses oreilles : « donne-moi ce foutu code Roger ! », tandis qu’une autre raisonnait dans sa tête : « Ne parle pas Roger ! ».

                - Nous achevons ce menu de torture par le dessert. Elle avait appuyé sur le bouton près de la porte et on lui avait apporté une boite. Elle s’en saisit et la posa devant la chaise de dentiste où était allongé Roger. Elle détacha un des deux pieds. Roger n’avait pas la force d’essayer quoique ce soit, ses bras étant de toute façon attachés dans son dos et ses chevilles trouées ne lui permettaient plus de remuer les pieds. Il se laissa faire telle une marionnette et hurla une nouvelle fois lorsque Claire plongea son pied dans l’eau glacée. Dans un premier temps, c’est l’eau qui s’insinua dans ses blessures qui lui arracha le hurlement, mais au bout de quelques secondes, c’est la température de l’eau qui le fit souffrir. Elle s’amusa avec lui, pour qu’il ne s’habitue pas à la douleur – pour peu qu’on puisse s’habituer à une telle douleur. Elle sortait le pied, le remettait un peu, le sécha même – en insistant sur les trous aux chevilles et les brûlures – pour le replonger dans l’eau gelée ensuite. Roger voulait que ça s’arrête, par n’importe quel moyen. Juste que ça s’arrête. Mais son esprit ne cessait de répéter : « Ne parle pas ! ». Alors, ça ne s’arrêtait pas.

                Et soudain, son pied fut reposé sur la chaise et reficelé. Claire s’était remise debout et applaudissait. Avec un mauvais sourire, elle le félicita :

- Bravo mon cher Roger. J’ignore comment tu as fait, mais tu as tenu treize minutes. Je tiens ma promesse : tu as le droit à un cadeau. Et quel cadeau ! Je me suis pas mal acharnée sur tes pauvres pieds, alors je vais faire en sorte de les laisser tranquille ; parce que tu sais mon chéri, après ce petit cadeau, nous passons au menu gastronomique, celui avec au moins dix plats et qui dure très longtemps.  Elle se tourna en rigolant vers la desserte, et y prit quelque chose. Elle revint devant Roger et exhiba sa scie à main : Tu as de la chance ! Après ça, je ne pourrais plus rien faire à tes pieds, parce que tu n’auras plus de pieds !

Merci qui ?

 [Ding Ding Ding Ding Ding Ding Ding Ding Dang Dong]

Nous reviendrons à cette question tout à l’heure. Et maintenant, nous passons à la question rouge. Cette question rouge nous vient de Gisèle Longer de Lussac les Châteaux dans la Vienne. Gisèle vous demande la raison pour laquelle Alain Poher a occupé la fonction de Président de la République par deux fois sans avoir jamais été élu par les Français ?

[Ding Ding Ding]

- Il a remplacé quelqu’un qui était mort ?

- Oui, mais pourquoi lui plutôt que quelqu’un d’autre ?

- Il était premier ministre ?

- Non, mais vous vous rapprochez.

- Ministre de la Défense ?

- Vous n’y êtes pas !

- Président du sénat ? 

-Il était Président du Sénat exactement ! Alors Alain Poher a été Président du Sénat à partir de 1969, il a donc fait l’intérim quand Charles de Gaulle a démissionné, et il occupait encore cette fonction lorsque le président Pompidou est mort ; donc il a été deux fois Président de la République sans jamais avoir été élu. Bravo !

15h13. Lucien était affalé dans son canapé. Il avait son ordinateur portable sur les genoux et bougeait fébrilement le doigt sur le pad qui lui servait de souris.

Tuer les poulettes ! Il faut tuer toutes les petites poulettes !

Il avait trouvé quelques heures plus tôt dans une grande surface un jeu d’ordinateur à 1 €. Il était friand de ce genre de jeux pas forcément très intelligents, mais qui permettaient de passer un bon moment. Le jeu qu’il avait trouvé ce jour-là s’appelait « Chicken Attack 4». Le but était simple : il avait un viseur qu’il déplaçait avec sa souris pour essayer de tuer les différentes poules – ou poulettes comme il aimait les appeler. Il tirait en cliquant sur le bouton gauche de son pad. Le jeu gardait en mémoire les dix meilleurs scores que Lucien eut vite fait de réaliser, avant de parader devant son colocataire qui, en cinq minutes, l’avait battu en doublant son meilleur score. Lucien n’en était pas revenu et voulait absolument lui repasser devant.

*****************

                15h26. Lucien était affalé dans son canapé. Il avait son ordinateur portable sur les genoux et bougeait fébrilement le doigt sur le pad qui lui servait de souris.

Tuer les poulettes ! Il faut tuer toutes les petites poulettes !

Alors, nous revenons à cette question blanche qui vous a posé problème. Attention, vous n’avez plus que quinze secondes et une seule réponse possible. Je vous repose la question de Michel Vallier qui habite à Valence-sur-Baïse dans le Gers : quel est le nom du département qui correspondait au numéro 78  avant le 1er janvier 1968 ? [Ding ding] Alors, on ne s’en souvient pas toujours, mais [Ding] de la disparition de ce département sont nés trois départements [Ding] le 1er janvier 1968, les Yvelines, l’Essonne et le Val d’Oise. [Ding Ding] Est-ce que vous pouvez nous donner le nom [Ding] de ce département disparu ?

Louise regardait le plafond. Allongée sur son lit, nue, elle s’ennuyait. Elle voyait bien que Yann faisait tout ce qu’il pouvait, mais rien n’y faisait, elle s’ennuyait terriblement. Là, il essayait de lui procurer du plaisir en caressant ses seins… enfin, en les malaxant plutôt. Elle avait l’impression d’avoir affaire à un mauvais médecin qui ratait sa palpation mammaire. Son œil se tourna vers l’horloge : 22h36. Pfff. Que c’était long. Elle n’était pas tombée sur un si mauvais coup depuis très longtemps. Elle ne savait même pas comment le lui annoncer. Il était si gentil, il avait été si romantique et le restaurant dans lequel il l’avait emmenée avait été tellement bon. Pour le coup, il avait alors réussi à lui faire atteindre un orgasme. C’était déjà ça, même si ce n’était pas le même que celui qu’il s’échinait avec tant de concentration à lui procurer à cet instant. Elle se dit qu’un repas divin méritait bien qu’elle lui laisse sa chance. Elle cessa tout de même ses petits gémissements dans l’espoir qu’il change d’activité. Cela fonctionna : il commença par embrasser son ventre, il essaya de lui aspirer son nombril – ce qui la chatouilla – avant d’atteindre son pubis. Elle contrôla l’horloge : 22h38. Mon Dieu ! C’est interminable, pensa-t-elle. Elle sentit qu’il déployait l’étendue de ses connaissances en matière de préliminaires. Le problème est qu’il avait du sûrement sécher les cours d’SVT traitants du corps humain, car il s’acharnait à au moins deux centimètres de là où il aurait pu enfin faire mouche. A défaut de le trouver excitant, Louise le trouvait attendrissant. Mais le temps passait toujours aussi lentement – il n’était que 22h40 – et elle décida de prendre les choses en main : elle simula la montée d’orgasme qu’il attendait tant et, lorsqu’il remonta le lit pour l’embrasser, lui chuchota : « Et maintenant, vengeance ! ». Elle descendit doucement le long de son torse musclé, et se saisit de son pénis. Mais alors qu’elle n’avait fait que le prendre dans sa main, il releva la tête et l’arrêta : « Attends, attends, je vais littéralement exploser si tu continues ça ».

                Si je continue quoi ??? J’ai même pas commencé…, pensa-t-elle.

                Je pense qu’on peut passer à la suite du programme, dit-il en ramenant Louise à son niveau. Il se tourna pour essayer d’attraper un préservatif, mais sa table de chevet, pour une raison que Louise ne comprenait pas, était trop loin du lit, et il tomba par terre.  La jeune femme ne put contenir un éclat de rire. A 22h45, il remonta sur le lit avec le préservatif déballé qu’il mit au moins deux minutes à enfiler, car sa chute avait un peu calmé son excitation. Comme la nature avait été généreuse avec son amant maladroit, Louise pensa qu’elle pourrait enfin trouver son compte dans cette affaire et être récompensée de ses efforts de tolérance. Quand il réussit à venir en elle – ce qui prit tout de même une bonne minute, au cours de laquelle Louise se demanda s’il avait besoin d’un GPS – elle sentit que la chance tournait enfin. Une sensation de bien-être envahit son corps, sensation qui ne demandait qu’à s’amplifier pour attendre l’orgasme. Le cri qu’elle poussa alors n’était pas feint. Il débuta un mouvement de va-et-vient, mais s’interrompit au bout de quelques secondes et se crispa en hurlant : OOOOH ! JE VIENS !!! Elle sentit en effet qu’il atteignait l’orgasme et n’eut même pas le temps de faire semblant. Il se dégagea d’elle, défit le préservatif qu’il noua consciencieusement avant de le poser par terre, à côté du lit, puis s’allongea à côté d’elle en soupirant de bonheur. Il déclara, satisfait : « Tu fais l’amour comme une déesse, je crois qu’on est sexuellement connectés. » Louise mordit l’intérieur de la joue pour ne pas rire, sourit poliment, puis tourna la tête de l’autre côté, pleine de frustration. L’horloge indiquait 22h49.

- Seine et Oise, c’est ça ! Alors, Anaïs Grenois et Thays Lauth, vous venez de gagner 150 €. Mais vous pouvez tenter, si vous le souhaitez – et croyez-moi, personne ne vous en voudra si vous voulez vous arrêter maintenant – les 500 € du…

Ban-Co ! Ban-Co ! Ban-Co ! Ban-Co ! Ban-Co ! Ban-Co !   

- Nous tentons le Banco, Nicolas.

- Bravo ! Voici donc la question Banco que vous avez tirée au sort. Une question d’histoire envoyée par Marc Dumar de Menton, dans les Alpes Maritimes : … Alors là ! C’est une question Banco que vous venez de tirer au sort, le public de Gallargues le Montueux en est témoin, et je ne pense pas qu’elle va vous poser de problème, vous allez tout de suite comprendre pourquoi. Je vous lis donc cette question Banco : nous connaissons le serment d’Hippocrate pour les médecins, mais pouvez-vous me donner le nom du serment que les jeunes vétérinaires prononcent lors de leur entrée dans la vie active ?

 [Ding]

 Je rappelle qu’Anaïs Grenois est vétérinaire…

Yves venait de quitter l’aire d’autoroute en direction de Lille lorsque Nicolas grimaça. Il analysa rapidement la situation et commença à se faire des reproches : pourquoi n’avait-il pas été plus attentif à la station service ? Avait-il vraiment besoin de passer aux toilettes avant qu’ils ne redémarrent alors qu’il y était allé lorsqu’ils étaient arrivés ? Il se pencha pour regarder l’heure sur le tableau de bord : 21h13. Ils venaient de repartir et il ne voyait pas très bien comment il pourrait faire accepter aux parents de Laetitia de s’arrêter de nouveau… surtout pour ça.

Le problème de Nicolas est un problème que chaque homme rencontre un jour dans sa vie : il n’était pas bien installé dans son caleçon. Chacun à ses petites habitudes dans ses sous-vêtements – plutôt à gauche, totalement à droite, bien en équilibre au milieu – mais ce n’est pas d’un simple problème de placement que nous parlons maintenant ; c’était un problème plus douloureux : la couture de son caleçon lui écrasait un testicule. Cet écrasement se produit généralement en position assise car alors, la couture du caleçon se tend et si un petit bout de peau – ou pire – se trouve coincé en dessous, ça fait mal.

Chacun a son moyen de régler le problème : on met négligemment la main dans la poche pour attraper la couture du caleçon, on se trémousse pour que tout revienne à sa place, on essaye de tirer sur son pantalon dans l’espoir d’un effet boule de neige ou on y va franco, avec la main. Mais présentement, Nicolas se trouvait dans la voiture des parents de sa fiancée, Yves et Marie-Pierre et voyait mal comment il pourrait se tripoter alors que sa fiancée était installée à l’avant pour éviter de vomir et que sa belle mère faisait le trajet à l’arrière, à ses côtés.

Alors, Nicolas mélangea les différentes options : il tenta, en bougeant son bassin et en tirant subtilement sur son jean, de dégager son testicule de la couture. Le tout, bien sûr, le plus discrètement possible pour éviter les questions de Marie-Pierre. A 21h16, il n’avait toujours pas réussi à se dégager et subissait, en silence, la douleur. Il regrettait d’avoir mis un jean aussi serré, ce qui, bien sûr, n’aidait en rien pour résoudre ce problème. Il tenta un changement de position. Il croisa les jambes dans un sens sans succès, puis dans l’autre, mais ce fut encore pire, et ce n’est qu’à 21h18 qu’il réussit, en réorientant son bassin d’une façon étrange, à détendre son élastique, et donc réduire l’écrasement.

Il ne restait plus qu’à rester immobile pendant les deux heures à venir. Mais c’était bien là tout le problème : à partir du moment où il ne dut plus bouger, Nicolas n’eut plus qu’une seule idée en tête : bouger. Il tint trois minutes avant de bouger à nouveau, créant à nouveau la douleur testiculaire. Il tenta de retrouver la position, mais il n’arrivait plus à détendre l’élastique de son caleçon. Si bien qu’à 21h22, il était toujours dans la même situation.

Marie-Pierre profita de cet instant pour lui porter le coup de grâce avec sa perfide question : vous avez un problème Nicolas ? Je vous vois vous trémousser depuis dix minutes sur votre siège... Et Laetitia de reprendre en râlant contre son fiancé qui était incapable de se tenir tranquille cinq minutes sans bouger. Cette mise en avant de son impossibilité de tenir en place restreignait encore plus son champ d’action. Il envisagea pendant quelques secondes le coup du « Oh ! Regardez là-bas, un OVNI ! », mais douta que cela puisse marcher. Il pensa aussi un peu plus sérieusement au coup de la main dans la poche ; cette attitude n’étant pas très naturelle dans un véhicule, il l’abandonna définitivement. Alors il souffrit en silence, en espérant que cet écrasement prolongé ne serait pas dommageable quand il voudrait plus tard avoir des enfants.

21h23.

21h24.

21h25, il essayait de penser à autre chose, de se plonger dans la musique que diffusait l’autoradio, mais en vain, il était toujours rappelé à l’ordre par la douleur.

21H26.

C’est alors que Laetitia apporta la solution sans le savoir : à 21h27, elle s’exclama : Regardez comme c’est joli, le soleil couchant. Et, pendant que sa future belle-mère était plongée dans la contemplation de l’astre rougeoyant, Nicolas glissa la main dans son caleçon et remit son testicule en place. Le soulagement qu’il ressentit lui fit pousser un WOW qu’il fit passer pour un émerveillement face au soleil couchant.   

- C’est le serment de Bourgelat.

- Bien entendu, Bourgelat ! C’est ça, le hasard du tirage au sort dans le jeu des mille euros. Parfois en votre faveur, parfois en votre défaveur. Quoi qu’il en soit, Thays Lauth et Anaïs Grenois, vous venez de remporter les 500 € du Banco. Est-ce que nous nous embrassons pour nous dire au revoir ou voulez-vous tenter le…

Su-Per ! Su-Per ! Su-Per ! Su-Per ! Su-Per ! Su-Per !

- N’oubliez pas que vous n’avez aucune obligation et que gagner 500 €, c’est déjà pas mal. D’autant plus que le tirage au sort ne vous sourira peut-être pas deux fois. Mais, en tentant le Super Banco, vous pouvez tout de même gagner 1000 €. Anaïs et Thays, que décidez-vous ?

- Nous tentons le Super Banco, Nicolas.

- Super Banco ! Alors, vous venez de tirer au sort une question Super Banco. Cette question Super Banco nous vient de Francis Blanchard à Mulhouse, en Alsace. Voici sa question : quel est le nom du fleuve qui sépare le département français de la Guyane d’avec le Brésil ?

Michel jeta un œil inquiet à son portable : 23h32. Il avait la permission de minuit, mais cette permission-là était un peu spéciale. Il avait déjà dépassé par deux fois les permissions accordées par ses parents, en étant rentré une première fois à deux heures du matin au lieu de minuit et la fois suivante à quatre heures du matin au lieu de vingt-trois heures. La sanction avait été l’interruption immédiate de toute participation à une soirée. A quinze ans, Michel trouvait ça assez embarrassant d’être bloqué à la maison les soirs de week-end, surtout quand toute la bande se réunissait chez celui dont les parents étaient de sortie et qu’un des garçons de la bande, Thomas, pouvait alors draguer sans problèmes sa copine Laurence. Il avait donc fallu à l’adolescent parlementer pendant deux semaines et effectuer de nombreux travaux exceptionnels pour regagner le droit de sortir le soir, avec obligation de respecter l’heure qui lui était donnée.

Ce samedi-là, tous les amis s’étaient réunis chez Caroline – ses parents étant partis en week-end à Deauville – et Laurence et Michel s’étaient bécotés avec passion dans le canapé du salon, avant de passer dans la chambre d’amis de la maison. Delphine les avait interrompus en frappant à la porte et en demandant à Laurence de venir l’aider à voir un truc concernant le machin à propos de qui elle savait, et c’est alors que Michel avait vérifié l’heure et avait commencé les calculs pour le retour. Il habitait à vingt minutes à pied de chez Caroline, dix en courant vite. Mais il lui faudrait au moins cinq minutes pour récupérer ses affaires, dire au revoir à ses potes et se mettre en route. Il fallait donc qu’il stoppe les bécotages avec Laurence dans treize minutes. De toute façon, même si c’était de loin son activité favorite du moment, ces bécotages n’avaient jamais été très poussés : ils s’embrassaient goulûment, elle le laissait toucher ses seins, elle embrassait et léchait son torse, mais ils n’avaient jamais encore eu de rapports sexuels ; souvent, quand il lui disait qu’il avait envie d’elle, elle lui répondait qu’elle aussi, mais qu’elle n’était pas encore prête pour le grand saut. Il pourrait donc stopper dans précisément treize minutes la séance de bécotage du samedi soir et repartir avec une frustration toute modérée.

La situation lui apparut soudain bien moins facile lorsque Laurence revint de sa discussion d’avec Delphine : elle apparut dans l’entrebâillement de la porte, uniquement vêtue de sous-vêtements qui lui coupèrent le souffle. Elle verrouilla la porte, approcha du lit, sortit de son dos une boite de préservatifs et, avant qu’il ait pu dire quoi que ce soit, lui murmura : je suis prête. Cela changea complètement la donne : il avait la possibilité de LE faire, de dire adieu à son statut de puceau et de prendre son pied. Face à ça, il avait son père et sa mère, à qui il avait promis, juré et presque craché qu’il serait à l’heure, sous peine d’être puni pendant deux mois. Mais servez à un adolescent son dépucelage sur un plateau et il oubliera tout le reste ! Alors il attira à lui sa petite amie et l’embrassa avec fougue.

*************************

01h27 : il commença à courir en dehors de la maison de Caroline. Il était plus qu’en retard, mais le jeu en avait largement valu la chandelle : Laurence semblait avoir suivi un cours intensif sur les préliminaires et ce n’était que vers 01h15 qu’ils avaient vraiment commencé à faire l’amour. Lorsqu’ils eurent fini, vers 01h20, il fallu quelques minutes à Michel pour se souvenir de cette histoire d’heure limite. Il avait alors juré en ramassant son portable par terre – il pensait qu’il était plutôt quelque chose comme 00h15 ou 00h30 – s’était rhabillé, avait récupéré toutes ses affaires, avait salué ses potes qui l’avaient félicité d’être devenu un homme et avait commencé sa course.

- Nous ne savons pas Nicolas.

- Même pas une toute petite idée.

- Attendez !

- Oui Thays ?

- L’Oyopock !

- C’est presque ça…

- L’Oyapock !

- Allez, nous allons le considérer comme correct, c’est l’Oyapock ! Le fleuve, à l’est de la Guyane qui sert de frontières avec le Brésil. A ne pas confondre avec le Maroni qui est le fleuve qui se trouve à l’Ouest de notre si charmant département d’outre-mer et qui le sépare du Suriname.

Et bien Anaïs Grenois et Thays Lauth, vous repartez avec les 1000 € du Super Banco ainsi que le superbe ouvrage «50 ans d’aventure spatiales», édité par le CNES.

Mes amis je vous remercie et je vous dis à lundi, douze heures quarante-cinq ; je compte sur vous !

A lundi Nicolas ! Et Nicolas Stoufflet vous retrouve ce dimanche 26 juillet à Dangy dans le département dans la Manche. Sélections et enregistrements à partir de 18 heures à la salle des fêtes. Et à douze heures cinquante-huit, nous rejoignons, à la Bourse de Paris, Cédric Decoeur.

Philippe regarda d’un œil impatient l’aiguille de l’horloge qui surplombait le quai avec cette trotteuse qui avançait si lentement.

Non, il ne voyait vraiment pas ce qu’il pouvait faire pendant ces treize minutes.  

FIN

 

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===>  Livre d'or  <====