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Dans les étoiles

 

Pierre Burnet


    « Et alors, tu as pu lui parler ?

    

- Non, il s'est enfermé !

    

- Comment ça, enfermé ? C'est une plaisanterie !

    

- Eh bien non, il boude.

    

- Mais ce n'est pas possible, c'est une catastrophe... »

 

Le plan « Universal meeting » avait mis plus de 50 ans à se mettre en œuvre. Les plus vieux d'entre nous se souviennent de l'idée saugrenue d'une poignée d'illuminés dans les années 1980. Persuadés d'une vie extraterrestre, ils ont vainement caressé l'espoir de prendre contact avec des sortes de E.T. Petit à petit la flamme s'est réduite. Toutes leurs tentatives se sont arrêtées, il ne restait plus qu'un seul émetteur qui inlassablement envoyait jour après jour le même message : « Si vous nous recevez, répondez. »

 

Mais même ce dérisoire moyen d'action a perdu ses derniers fanatiques et il a été décidé de mettre un terme à cette ultime chance de joindre une vie extraterrestre. L'émetteur serait coupé définitivement le 31 décembre 2013. Les derniers fidèles ont passé le réveillon de fin d'année sur l'observatoire radioastronomique d'Arecibo installé à Puerto Rico. A onze heures cinquante, ils se sont tous réunis autour de l'appareil et l'un d'entre eux a tendu un doigt vers l'interrupteur. Au moment où il allait l'actionner, l'engin s'est subitement mis à crépiter. Incrédules, ils se sont tous ensemble penchés sur l'émetteur avec une telle hâte que leurs têtes s'entrechoquèrent. Le message tournait en boucle. Les linguistes ont planché pour décrypter et avec l'aide des puissants ordinateurs mis à leur disposition par Bill Gates, ils ont abouti à une traduction qui disait en gros : « Terriens, il faut qu'on parle... »

 

Bien sûr, la nouvelle a révolutionné le monde. Il n'y avait plus qu'un seul sujet de préoccupation : les extraterrestres et le futur rendez-vous. Les guerres se sont arrêtées, les crimes ont disparu. Les gens n'avaient plus d'envie, plus de besoin. Du soir au matin, on écoutait la radio, on regardait les journaux télé, on épluchait les feuilles de choux. Une seule chose comptait : Avait-on des nouvelles des extraterrestres ? Chacun allait de ses suppositions : des martiens, des vénusiens, des saturniens, des plutoniens... Plus loin ? Plus près ? Des journalistes affabulaient, des romanciers inventaient. Dans les bistrots, à l'heure de l'apéro, des piliers de bars exprimaient leurs certitudes : « Pour moi, ces gens viennent d'une autre galaxie, ils ont un œil derrière la tête et ils ont un corps comme une pieuvre. Scientifiquement, c'est prouvé ! »

 

Lentement, la communication entre les deux mondes s'organisait. Le message provenait effectivement, d'une autre galaxie, située à plus d'une centaine d'années-lumière. Le rendez-vous allait mettre un certain temps à se concrétiser. Les extraterrestres réussirent à transmettre les secrets d'une machine volante capable de voler plus vite que la vitesse de la lumière. Les savants se réjouirent. Il s'agissait d'un monde plus avancé que le nôtre en matière de technologie et notre civilisation allait faire des pas de géant. Une équipe internationale se mit à plancher sur le vaisseau de l'espace, mais très vite, elle mit en évidence que la construction de cet appareil représenterait une somme phénoménale, pratiquement le budget de la totalité des pays du monde pendant plus d'une année. Une réunion de chefs d'états prit à l'unanimité la décision de consacrer un quart de tous les revenus de la planète au projet « Universal meeting ». Ce challenge suscita un engouement au-delà de toutes les espérances.

 

Les extraterrestres proposèrent que chacun fasse la moitié du chemin. Pendant que la Terre procéderait à la mise en œuvre de son vaisseau, ils s'engageaient à construire une station spatiale à mi-chemin entre les deux planètes.

 

En suivant les plans communiqués, les scientifiques créèrent un vaisseau gigantesque, assemblage d'un alliage de titane carboné qui alliait légèreté et résistance. Le combustible était à base d'antimatière, cet élément tellement instable qui n'avait été identifié que pendant quelques centièmes de seconde dans le surgénérateur du CERN. L'inconvénient de l'antimatière, c'était qu'à l'instant où on la mettait en évidence, elle disparaissait en s'agglomérant à de la matière.

 

Patiemment, les scientifiques réussirent à isoler l'antimatière, quelques dixièmes de seconde, puis quelques secondes et enfin sur les conseils des extraterrestres à trouver un récipient capable de la stocker. Nous ne pouvons pas revenir sur les lents processus d'élaboration, mais un mélange de céramiques dont la composition était très complexe résistait à l'antimatière. On construisit de longues amphores capables de la contenir. La forme de ces réceptacles était d'ailleurs tellement semblable à ces vases qu'on ne les a plus appelés que selon cette terminologie. L'expérimentation avançait. Les amphores conservaient parfaitement l'antimatière, mais la céramique était cassante comme du verre. Le malheureux qui en laissa un jour échapper une n'est plus là pour s'en souvenir : l'antimatière qui s'était échappée avait absorbé toute la matière présente dans un rayon de plus de dix kilomètres.

 

Le principe de propulsion était d'ailleurs plus un principe de traction : on libérerait tour à tour chaque amphore en la perçant d'un minuscule trou, ce qui projetterait l'antimatière en un jet fin et très puissant. Au fur et à mesure de sa progression, ce jet absorberait toute matière le long de sa course et l'appareil volant serait littéralement aspiré par le vide ainsi créé. Pour le vulgum pecus qui croyait naïvement que le vide intégral régnait dans l'espace, il fallut expliquer que ce n'était qu'un vide partiel et que l'antimatière à la recherche de la moindre parcelle de gaz filerait dans la direction propulsée à une vitesse plus de dix fois supérieure à la vitesse de la lumière entraînant à sa suite le vaisseau. Dans l'atmosphère raréfiée, il foncerait à une vitesse vertigineuse, puis quand toute l'antimatière serait consommée, l'inertie le porterait sur une distance quasiment identique. Chaque amphore permettrait de franchir une année-lumière. Cinquante années-lumière, cinquante amphores et autant pour le retour, soit une centaine d'amphores au total. Les amphores seraient disposées sur tout le pourtour du vaisseau, ce qui présenterait un autre intérêt : le vaisseau serait ainsi équipé d'un dispositif d'autodéfense. Lorsqu'il rencontrerait un obstacle qui pourrait être qualifié de dangereux ou d'agressif, l'amphore la plus proche se propulserait automatiquement en direction du danger. Elle exploserait à son contact, éliminant du même coup l'agresseur. Bien sûr à l'arrivée, quelques amphores pourraient manquer pour le voyage de retour, mais tout le monde comptait sur l'obligeance de nos amis extraterriens pour remplacer les amphores consommées.

 

La construction du vaisseau mit plus de quatre ans et pendant ce temps, l'équipage s'est formé. Une équipe des meilleurs scientifiques mondiaux s'est initiée à la gymnastique et a subi des rudiments de l'entraînement des spationautes.

 

Le véhicule devrait être en autosuffisance alimentaire : une partie de l'aile gauche abriterait les serres ; la ménagerie se tiendrait dans le bout de l'aile droite. Ce n'était pas l'arche de Noé, mais on regrouperait les animaux par couple. Il était prévu qu'ils se reproduiraient et assureraient une partie de l'alimentation. La problématique de l'eau était plus complexe. Une station d'épuration se trouverait sous la coupole centrale. Tous les fluides y arriveraient, seraient épurés, les dépôts évacués et l'eau après contrôle serait recyclée soit sur le circuit d'eau potable, soit sur le circuit des eaux de nettoyage.

 

Le pilotage était assuré par un ordinateur central. Mais que se passerait-il si celui-ci tombait en panne ? Tous les postes avaient été doublés pour être pilotés manuellement. Le seul qui posait problème était le positionnement des amphores. La direction dans laquelle elles devaient être placées était essentielle. Un infime degré de différence et le vaisseau se perdait dans l'univers. On testa des géographes, des pilotes, des navigateurs, le seul qui passa avec succès tous les tests était un artilleur bourru, l'adjudant Bezut. Cet homme avait un sens inné de la trajectoire. Il s'aidait de calculs savants, mais au moment du positionnement final, il ajustait avec une précision extrêmement fine. Lors de la centaine de tests réalisés, cent cœurs de cibles furent atteints avec zéro échec.

 

Le voyage commençait à prendre forme : les scientifiques prendraient place dans les couchettes de la nacelle, un gaz soporifique les endormirait. Puis l'adjudant Bezut contrôlerait le processus de la première amphore et y suppléerait le cas échéant. Le vaisseau se précipiterait dans sa course folle jusqu'à ce que toute l'antimatière du récipient soit consommée. A ce moment, le vaisseau commencerait sa décélération et l'équipe de scientifiques se réveillerait. Puis, une fois le vaisseau en fin de course, après un moment passé à faire le point, passer des messages, se sustenter, faire des expériences, le processus recommencerait avec la mise en place de l'amphore suivante.

 

Les scientifiques alterneraient durant tout le trajet des phases de sommeil et de réveil. L'adjudant Bezut, quant à lui, inverserait les périodes, il veillerait pendant que les autres dormiraient et se reposerait dès leur réveil.

 

C'est à ce moment précis que se produisit le problème. Un des scientifiques déclara que pour faciliter le réveil, il aurait été opportun que l'adjudant puisse leur préparer un petit-déjeuner avec du pain grillé. Mais comme au moment du réveil, ce dernier avait énormément de travail, à chaque fois, le pain grillait, grillait et au lieu de l'odeur de pain grillé, il régnait alors une forte odeur de pain brûlé. Ce qui pour certains scientifiques était proprement inacceptable. Ils méprisaient ce militaire borné et regrettaient qu'il soit le seul à pouvoir suppléer le système de guidage. Celui-ci souffrait de ces quolibets et encore plus lorsque pratiquement au trois-quarts du voyage, le chef des physiciens marmonna entre ses dents : «Incapable ! »

 

Il fallut toute la diplomatie du chef de l'expédition pour calmer l'adjudant et ramener le physicien à la raison. Celui-ci grommelait : « Il n'a que ça à faire et il le fait mal ! »

 

L'adjudant prévint qu'il n'était pas le domestique de ces messieurs et que s'il devait encore subir une insulte, il rendrait son tablier. Il faut dire que le voyage était très éprouvant pour lui. Alors que tous les autres dormaient, il restait seul à se morfondre, triste et solitaire et à arpenter le vaisseau. Et lorsque tout le monde se réveillait, il était tellement fatigué qu'il s'écroulait. Il prenait sur lui, mais supportait mal cette situation et sortait de ses gonds à chaque réflexion.

 

Tout rentra pourtant dans l'ordre jusqu'à la dernière amphore. Au moment de la décélération finale, l'adjudant Bezut ayant remarquablement aligné son objectif, le vaisseau terrien se présenta devant la gigantesque station spatiale qui grossissait à vue d'œil. La mission d'acheminement avait été parfaitement remplie. Il enclencha la phase de réveil et bien sûr, avec toutes ces péripéties, oublia le pain dont l'odeur carbonisée envahit tout l'astronef.

 

Le mot « incapable » résonna une nouvelle fois.

 

L'adjudant Bezut déclara que trop, c'est trop et se réfugia dans sa carrée.

 

Le chef de l'expédition tenta de le faire revenir à de meilleurs sentiments. Il utilisa tous les arguments « fierté mondiale, sort de l'humanité, reconnaissance éternelle, prestige de la nation », mais la coupe était pleine. Le mépris et les insultes avaient blessé cet homme fier et solitaire. L'adjudant boudait et il était le seul à savoir maîtriser le processus d'approche et d'arrimage. En vain chacun essaya de le raisonner. L'équipage se trouvait devant un scénario catastrophique : la rencontre avec les extraterrestres était à portée de main et l'homme capable de faire franchir ces derniers mètres, retranché dans sa chambre, refusait cet ultime effort.

 

Après réflexion, le chef jugea que l'objectif était malgré tout atteint et qu'il fallait simplement ancrer le vaisseau à la station spatiale. Avec toutes les compétences présentes et le soutien de l'ordinateur central, ce serait le diable si l'on ne parvenait pas à venir à bout d'une manipulation somme toute simpliste. On pourrait se passer de cet adjudant borné. Il appela près de lui quelques physiciens et deux astronautes pour l'aider à manœuvrer l'astronef. La fine fleur de la science terrienne était réunie sur la plate-forme pour assister à la jonction. Le moment tant attendu de la rencontre n'avait jamais été aussi proche et chacun était fébrile. L'humanité allait faire des pas de géant grâce à l'apport de ces nouveaux amis. Chacun mesurait l'insigne honneur de participer à la rencontre de ces deux mondes qui n'auraient jamais dû se croiser.

 

Au milieu de la procédure, un bref flash lui traversa l'esprit et il s'interrogea « Est-ce que quelqu'un a pensé à désact... » quand il entendit une série de petits ploc ploc. Avec stupéfaction, il s'aperçut que les amphores prévues pour le retour se détachaient les unes après les autres pour se précipiter en direction de la station spatiale qui était apparue à l'ordinateur central comme un danger potentiel. Bouche bée, il suivit avec horreur le cheminement des capsules qui frappèrent les unes après les autres les éléments de la station en faisant exploser la totalité de la structure.

 

Contemplant alors le désastre, le chef de l'expédition comprit que cette catastrophe serait sûrement perçue comme un acte de piraterie totalement inqualifiable et qu'il n'était probablement pas de bon augure de l'accomplir face à une civilisation beaucoup plus avancée technologiquement que la civilisation terrienne.

 

Enfin, il constata qu'il n'y avait plus une seule amphore d'antimatière disponible. Il songea alors que le seul moyen de regagner la terre serait probablement de le faire en stop. Mais qu'il était peu probable que sur ce secteur de l'univers, il y ait énormément de véhicules. Le retour allait mettre beaucoup plus de temps que prévu.

 

 

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