Je suis de la mauvaise herbe //// La nouvelle en PDF !
Pour imprimer la nouvelle (et éviter de lire la fin en allant voir en bas de la page), téléchargez la nouvelle en version PDF !
Future - Je suis de la mauvaise herbe.pd
Document Adobe Acrobat 19.2 KB

FUTURE

 

Je suis la mauvaise herbe, ……

 

Par Pierre Burnet

 

Lorsqu’il m’arrive de flâner dans les rues d’une ville, je suis éponge. Je passe devant la boutique de madame Chalangrin, charcutière et pendant quelques instants, je rêve à être madame Chalangrin, commerçante de sa ville, membre de son association de commerçants, qui se bat au quotidien pour « faire son chiffre d’affaires, sa marge », pester contre l’hypermarché du coin qui lui suce le sang, contre la municipalité qui laisse les commerces importants disparaître au profit de banques ou d’agences immobilières, contre son fournisseur qui livre des denrées de moins en moins bonnes qualité pour des prix de plus en plus cher, contre ses vendeurs derrière le dos desquels il faut être constamment, contre ses clients, jamais contents, toujours à râler. Et qui le soir, le devoir accompli s’endort du sommeil du juste, prompte à recharger ses batteries pour pouvoir à nouveau le lendemain vitupérer contre la terre entière. Madame Chalangrin versus le reste du monde. Et pour vous qu’est-ce que sera ? Et avec ceci ? Non, je n’en ai plus, il fallait venir plus tôt. Je le dirai à monsieur Chalangrin. Si ça ne vous convient pas, allez voir ailleurs ! Depuis 1936, vous pensez !

 

J’envie parfois madame Chalangrin et ses certitudes. Un passé solide, bâti sur des générations de Chalangrin. Un présent tangible, fait des petits combats et des petites mesquineries du quotidien et un futur assuré construit sur des chiffres d’affaires et des points retraite. Devant sa charcuterie, dans la famille depuis 1936 avec toujours la même qualité, « Oui, madame, depuis 1936 ! », un arbre pousse. Il n’est pas très fringant le pauvre arbre, mais il survit. Enserré dans le béton. Je m’interroge souvent sur cet arbre : la terre serait-elle devenu une boule de béton avec par-ci par-là quelques poches de terre pour faire vivre l’arbre de la boutique de madame Chalangrin ?

 

Je quitte alors les habits et la vie de madame Chalangrin et j’ai une pensée pour la Terre….

 

Pauvre terre. Trahie comme une mère qui a tout donné à son enfant et s’aperçoit un peu tardivement et un peu nostalgiquement que celui-ci en veut toujours plus, qu’il n’est ni repu, ni sevré et qu’il exige encore et encore et qu’elle ne pense plus qu’à ça : comment lui donner encore plus alors qu’elle lui a déjà tout donné et qu’il ne reste presque plus rien à donner. Cet enfant est en train de lui sucer le sang.  

 

Elle a engendré un boulimique, un obèse. Il est gros et gras et il ne pense qu’à s’empiffrer encore. Elle a engendré des Chalangrin qui amassent, thésaurisent, vivent égoïstement, polluent sans vergogne et comble du malheur, se reproduisent. 

 

Patience, terre, patience. Une mauvaise herbe t’a envahi au point de te faire basculer. Mais comme elle a poussé anarchiquement, elle est en train de s’auto-étouffer. Elle croit être pleine force et puissance. Elle est au bord du précipice et continue à avancer. Elle ne le sait pas encore, mais des stigmates commencent à marquer ses feuilles.

 

Patience. Il n’y a plus longtemps à tenir. Je sais, ces dernières années ne vont pas être agréable à vivre. L’agonie de cette espèce va te marquer dans ta chair. Mais, ça y est, sois rassurée, elle a enclenché le mécanisme d’autodestruction. Elle a trouvé le bouton rouge et elle a appuyé dessus. Ce n’est plus qu’une question de temps.

 

Quand l’air sera enfin devenu irrespirable, l’eau imbuvable, la chaleur suffocante, l’alimentation inexistante, quand cette espèce aura pollué, spolié, pourri tout ce qui restait encore de vivant, elle disparaitra et tu respireras.

 

Enfin !

 

Mille ou deux mille ans plus tard, tu te seras déjà refait une santé. Dix mille ans après, les traces seront érodées. Les plastiques dont on ne sait pas se débarrasser, le carbone qui ne peut plus être résorbé, les couches de bébé…. Ces fameuses couches de bébé, dont on disait que longtemps après la mort du vieillard qui aurait porté ces couches, elles ne seraient toujours pas assimilées. Mais dix mille ans, vingt mille ans auront raison de ces déchets irréductibles.

 

Penses-y, Terre, penses-y. Une eau pure coulant de nouveau dans tous les fleuves, une végétation luxuriante ayant reconquis tous les territoires désherbés, un air riche d’oxygène. Le froid à nouveau faisant redescendre les glaciers dans les plaines.

 

Débarrassée de tous les Chalangrin qui ont construit une existence précaire sur un bout de terre en équilibre, luttant avec énergie contre la terre, l’eau, le vent, pour immortaliser des biens futiles.

 

Il doit rire dans sa barbe et dans sa tombe, le chef indien qui fustigeait l’appropriation de terres par l’homme. « L’homme ne peut pas acheter la terre, c’est lui qui appartient à la terre. ». Tu la tiens, ta revanche, Terre, le champignon parasite va enfin être éradiqué.

 

Quelle folie nous a pris !

 

On nous a donné un paradis. Nous nous sommes tout d’abord entretués pour lui. Puis comme cela ne suffisait pas et que nous cohabitions encore à plusieurs, au lieu de vivre en bonne intelligence, nous nous sommes mutuellement volés, trahis, assassinés. La soi-disant civilisation prenant comme une mayonnaise, nous avons acheté et revendu le paradis, nous nous sommes transformés en marchands du temple, épuisant la terre de ses ressources. Nous avons construit des ersatz de l’immortalité en nous appropriant tout ce qui pouvait s’acheter et se vendre, jusqu’à l’inachetable et l’invendable. Nous avons créé de multiples dieux. Le dieu argent et le dieu du temps qui passe, divinités suprêmes auxquelles nous vouons un culte empressé, surtout ne pas se mettre mal avec ces dieux-là. Amasser le plus possible, durer le plus longtemps, comme si la quantité primait la qualité. Les demi-dieux : lois, sociétés, qui nous ont permis de clôturer nos jardins de barbelés et d’empêcher les autres êtres humains d’y accéder. Etre humain, je rêve ! Etre humain ! Animal humain serait probablement plus réaliste. Intelligence limitée, ambition démesurée. Nous ririons d’une fourmi qui construirait un gratte-ciel sur sa fourmilière, nous la dépassons allégrement dans la folie. Nous ne voulons pas vivre sur notre fourmilière, nous voulons nous l’approprier et la dominer. A ma botte, la terre !

 

Consommer vient de la racine latine de consumere, c’est à dire détruire. Je m’en souviens maintenant. Nous consommons la terre à petit feu.

 

Nous sommes des fous ! Des schizophrènes compulsifs !

 

Nous aurions dû chaque matin, nous réveiller et nous réjouir. Remercier d’une journée de vie, nous émerveiller de la beauté. Regarder. Se rassasier. S’asseoir. Rire. Jouer. Chanter. Courir. Danser. Sauter. Donner. Partager. Aimer. Vivre !

 

Nous crevons de nos égoïsmes. De nos minables possessions. De notre incapacité à vivre ensemble. De notre inaptitude au partage. De notre incompétence à la générosité. L’homme est son propre prédateur et il arrive enfin à ses fins : l’éradication de la race humaine.

 

Réjouis-toi, Terre, le parasite s’autodétruit.

 

Dans dix ou vingt mille ans, il y aura de nouveau un matin du monde et un homme et une femme se prendront par la main.

 

Seront-ils plus sages, plus prudents, plus avisés ? Rien n’est moins sûr. Peut être un jour, dans vingt mille ans, une madame Chalangrin ouvrira sa charcuterie le matin, méprisant l’arbre qui se meurt et accueillant ses clientes : « Et pour madame, qu’est-ce que ce sera ? Et avec ceci ? Excellent, mon jambon ! Vous pensez, monsieur Chalangrin le fait avec la même recette que nos parents.

 

L’inconvénient avec les champignons parasites, c’est qu’ils sont difficiles à éradiquer. Mais on pourrait rêver.

 

Le premier homme et la première femme… Et il n’y aurait pas de pommier, ni de serpent et ils seraient heureux et ils ne voudraient pas absolument tout posséder et par la suite, ils partageraient et ils accueilleraient ceux qui n’ont pas de toit et nourriraient ceux qui n’ont pas de pain.

 

On pourrait rêver……

 

 

 

Vous venez de lire Je suis de la mauvaise herbe. Donnez-moi votre avis sur le livre d'or !

 

===>  Livre d'or  <====