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Golden Rice 3 – Chaos

 

Par Pierre Burnet

 

Résumé rapide de GOLDEN RICE 1

Un couple de médecins aidé d’un biologiste et d’un homme d’affaires chinois réussissent à mettre au point un riz transgénique capable de vaincre une certaine cécité. Ce riz, le Golden Rice est demandé partout dans le monde, mais lorsqu’il est absorbé par des populations qui ne souffrent pas de carences en vitamine A, il conduit à de graves dérèglements du foie. L’équipe décide alors de continuer à le commercialiser en supprimant les apports en vitamine, ce qui en annule tous les effets curateurs. Mais en omettant d’en informer l’un des membres de l’équipe.

 

Résumé rapide de GOLDEN RICE 2

Isabelle, par des fuites internes, est mise au courant de la modification des plans de riz et quitte Patrick en emmenant leurs deux filles. Avec l’aide de Mister Wong, elle travaille maintenant dans un dispensaire thaïlandais.

 

A six heures du matin, c’était à six heures, je m’en souviens bien. Je venais de jeter un œil sur le réveil à diodes luminescentes et constaté que je pouvais encore m’offrir une heure de sommeil quand le téléphone à sonné. Dans ma chambre je n’utilise que ce genre de réveil. Ceux avec les gros chiffres rouges qui se détachent dans le noir et se lisent parfaitement dans l’état comateux d’un réveil nocturne.

 

La voix angoissée de Didier qui appelle à l’aide. « Viens vite, y a une merde ». Comme il raccroche tout de suite, pas d’autres solutions que de ramasser le jean qui traine par terre, d’enfiler un slip, de récupérer un tee-shirt et de descendre embrumé faire démarrer le moteur. « J’espère qu’il aura fait du café. »

 

Il en avait fait. Je crois même qu’il en a bu toute la nuit, le Didier. Echevelé, pâle, les yeux explosés. Dès que je suis arrivé, il m’a fait rentrer dans le bureau et m’a répété. « Patrick, y a une merde ».

 

Je lui ai demandé de préciser sa pensée et là, il a cru bon de recommencer toute l’histoire : « Bon, après les problèmes du Golden Rice dans les pays civilisés, on a décidé de retirer la vitamine A du riz. Et on a envoyé les nouveaux plans sans vitamine A. »

 

Comme il s’est arrêté à ce moment-là, j’ai ressenti le besoin de lui exprimer que j’étais au courant de cette phase de l’histoire et lui ai demandé d’aller un peu plus loin.

 

« J’ai contrôlé les premiers échantillons de paddy, le grain de riz avec sa gangue brune ; il y a toujours de la vitamine A ! »

 

Je lui ai rappelé que nous avions décidé de laisser une dose homéopathique dans le Golden Rice.

 

« Non, ce n’est pas une dose homéopathique, il y a de la vitamine A comme avant. »

 

« Mais ce n’est pas possible ! »

 

« Si malgré les nouveaux plans, il y a toujours autant de vitamine A. Le riz a muté, maintenant, il porte naturellement la vitamine. Au début, on en met une infime dose et quand il arrive à maturité, on s’aperçoit qu’elle s’est développée et que le riz en contient comme avant ! »

 

« Mais c’est une histoire de fous ! Comment est ce que c’est possible ? »

 

« C’est dans la gangue du riz brut, du paddy, que se développe le treillis qui va servir à intégrer la vitamine et je crois que les molécules se propagent par l’eau. On ne maitrise pas tout, tu sais. Il y a un échange entre les racines, les feuilles et l’eau. L’eau, par la suite colporte l’apport en vitamine de plans en plans. »

 

« Change de riz ! Trouve de nouveaux plans! »

 

« J’ai changé. Avec l’équipe, on a fait de multiples essais. Mais tous les riz de la région, même ceux sur lesquels on n’est pas intervenus, portent maintenant la vitamine A. Je pense que l’eau transporte les supports de la vitamine, mais chaque intervenant a sa part de responsabilité : les sols, les insectes, le vent, la pluie. Quelque chose doit jouer le rôle de catalyseur. On a changé quelque chose dans la construction du riz, on a fait muter le génome. Maintenant, dans tous les riz que nous utilisons, on trouve naturellement la vitamine A. On a joué aux apprentis sorciers. »

 

Ca doit être « apprenti sorcier » qui m’a amené cette image. Mais maintenant je voyais distinctement le petit Mickey de Fantasia après avoir jeté un sort au balai pour qu’il transporte les seaux d’eau à sa place ne plus réussir à l’arrêter. Tenter de le couper en deux, en quatre, en huit à la hache de voir tous les petits morceaux coupés reconstituer des balais et se mettre aussitôt à transporter les seaux d’eau.

 

J’ai tenté des alternatives. Arrêtons le Golden Rice. Travaillons d’autres variétés, abandonnons le riz long, évitons de commercialiser le paddy, limitons nous au riz cargo ; essayons le basmati, ….Mais Didier a été péremptoire et m’en a remis une couche. Ce n’est plus seulement le Golden Rice. Tous les riz thaïs produisent maintenant de la vitamine A. Pour l’instant les autres pays sont épargnés, mais toutes nos plantations sont infestées de cette saleté.

 

« C’est l’eau, je te dis, c’est l’eau. Cette saleté a tout infesté ! »

 

Il y avait maintenant, tout à fait naturellement de la vitamine A dans le riz. Nous avions modifié une donnée biologique. Je réfléchissais rapidement : le riz thaïlandais pourrait continuer à constituer l’alimentation de base de tous les peuples en voie de développement, mais il ne pourrait plus être consommé dans tout le monde civilisé. Nous avons détruit une partie de l’activité d’exportation d’un pays avec nos manipulations génétiques.

 

« Qu’en pense Mister Wong ? »

 

« Pas pu le joindre, laissé des messages. »

 

« On va le rappeler. De mémoire, il doit être près de seize heures en Thaïlande. »

 

Effectivement, après être passé de secrétaires en secrétaires, de numéro en numéro, j’ai réussi à joindre un mister Wong pressé et un peu agacé. Une fois la nouvelle assénée, il s’est soudainement calmé et j’ai senti qu’il tirait une chaise à lui pour s’asseoir. Ce genre de chose s’entend au téléphone. Il a eu les mêmes protestations que moi pendant que je lui déroulais l’étendue de la situation. Par contre, il a été beaucoup plus pragmatique. En quelques phrases, il nous a schématisé les conséquences et les pistes d’actions.

 

« Premièrement, scinder les productions thaïlandaises des autres. »

 

 « Il n’y a en a pas, d’autres. » Ai-je cru bon de souligner. « Tout le Golden Rice vient de Thaïlande ! ».

 

Il me cloua le bec : « Il va y en avoir. Il est essentiel que nous continuions à distribuer dans les pays civilisés des riz dont nous sommes sûrs qu’ils sont exempts de vitamine A. Donc enclencher des contrats de licence avec des riziculteurs d’autres pays. Juste faire attention qu’ils cultivent bio. Tenir les accords secrets. Pas la peine que ça s’ébruite.»

 

Il était dans son élément, diagnostic rapide, actions claires et phrases courtes.

 

-« Ensuite amplifier l’exportation des riz thaïs vers les pays en voie de développement. On gagnera beaucoup moins, mais on couvrira les coûts. »

 

Logique, pensais-je.

 

« Enfin, séparer les deux structures en leur créant un lien de subordination. Deux structures juridiques distinctes liées par un contrat de licence facile à dénoncer si la situation empire. Ainsi, la société luxembourgeoise pourra se dégager rapidement.»

 

Il a proposé que nos avocats verrouillent le juridique. Quand à lui, il abandonnera ses fonctions à la Golden Rice Inc. pour assumer la société thaïlandaise et moi je m’occuperais de trouver les nouveaux approvisionnements du riz à distribuer dans le monde civilisé.

 

On se demandait qui était le président de la Golden Rice Inc. Il me donnait littéralement ses directives, pour ne pas dire ses ordres. Mais je n’avais pas le choix. Le plan de mister Wong avait l’avantage de la logique, de la simplicité et de la sécurité. En outre, depuis le départ d’Isabelle, ma tête était désespérément vide et je n’arrivais pas à aligner deux idées.

 

On a fait comme il a dit. J’ai pris des contacts avec des riziculteurs indiens qui me paraissaient présenter des gages de qualité en matière de culture équitable – s’il n’y avait plus de vitamine A, il fallait au moins s’assurer du respect d’une forme de culture bio - et nous avons modifié nos plateformes pour continuer à assurer la distribution du Golden Rice en Europe et aux USA. Pendant ce temps, mister Wong, à la tête de la société que nous venions de lui créer pour gérer la production de riz thaïlandaise, commençait la diversification et diminuait lentement la part cultivable consacrée au riz pour développer d’autres cultures vivrières.

 

Grâce à notre ancien associé, nous avions avec beaucoup de rapidité séparé les deux activités : production et distribution et nos problèmes s’éloignaient.

 

Je n’ai plus beaucoup de souvenirs de cette période. Une fois les riziculteurs indiens sélectionnés, je n’avais plus beaucoup de travail. L’organisation était bien rodée. Des petites mains s’occupaient de tout. Tout le monde me témoignait beaucoup de sympathie et ne me sollicitait pas beaucoup. Après le départ d’Isabelle, on me considérait comme en veuvage. Je me rappelle des gueules de bois mémorables, une vie nocturne dense, des filles qui se succédaient et dont je n’arrive plus à me rappeler les noms. Une suédoise et une allemande qui sortaient du lot. Ingrid, l’allemande, enfin, je crois……

 

Je traversais cette  période de relative oisiveté quand quelques mois plus tard, Didier me rappela avec un air catastrophé : « Patrick, le riz indien aussi. » Dans ma tête, je me mettais déjà en chasse d’autres pays qui pourrait nous procurer du riz sans vitamine. Je réconfortais Didier, mais celui-ci me découragea totalement : Tous les riz du monde sont en train de muter. Il avait fait des prélèvements sur des riz provenant de divers pays du monde. Tous montraient qu’ils portaient en eux de la vitamine A en diverses quantité, parfois embryonnaires. Et toutes les gangues développaient le fameux treillis qui servait d’ancrage aux molécules de vitamine. « C’est fini, me dit il, nous sommes foutu et le Golden Rice aussi ! ».

 

Là, c’est sûr, nous avions joué aux apprentis sorciers. Tous les riz avaient muté. Leur génome intégrait maintenant naturellement la vitamine A. Je restais tout simplement extrêmement surpris que la trainée de poudre ait été aussi rapide. La modification génétique avait été fulgurante.

 

C’est dans ces circonstances que les premiers décès de cancers du foie survinrent aux Etats-Unis.

 

Ma période noire qui avait commencé avec le départ d’Isabelle, s’amplifiait et  je n’étais pas prêt de voir le bout du tunnel. On a stoppé la commercialisation du Golden Rice et licencié les trois quarts des employés de la société luxembourgeoise. Nous avons rompu, comme c’était prévu les liens qui existaient entre Golden Rice Inc. et la société thaïlandaise dirigée par mister Wong. Nous n’avions plus du tout de ressources et nous continuions à avoir des frais. J’envisageais la mise en liquidation de la société luxembourgeoise quand on a vu débarquer les spécialistes d’Interpol à la fois dans nos bureaux et dans le laboratoire de Didier.

 

Si je reconnais être assez bordélique, le moins qu’on puisse dire de Didier, c’est qu’il était méticuleux à l’extrême. En quelques heures, les superpoliciers mettaient la main sur tout le processus de fabrication du Golden Rice. Didier avait raconté dans un livre de bord tous les tâtonnements, toutes les phases, toutes les expérimentations. Nous étions vraiment, mais vraiment dans la merde !

 

Il a été immédiatement placé en garde à vue. Ce jour là, j’étais au Luxembourg. Par des indiscrétions, j’ai appris qu’un mandat d’amener avait été délivré à mon encontre. Il ne me restait que peu de temps pour faire mon choix. Agonir lentement avec la Golden Rice Inc., la voir se déliter, dissoudre, démanteler, les derniers employés remerciés et tous ses biens vendus aux enchères. Quand à moi, passer des nuits au poste, d’interrogatoire en interrogatoire pour finir cassé à la fin d’interminables gardes à vue et préventives.

 

Cela ne me remplit pas de joie de l’avouer, je n’ai pas choisi la solution la plus honorable. Après avoir vidé mes comptes, je suis rentré furtivement en France et j’ai repris mon carnet d’adresses pour nouer contact avec mes anciens patrons de Médecins pour le Monde, l’OMS pour laquelle nous travaillions Isabelle et moi. Avant toute cette aventure.

 

Malgré la panade noire dans laquelle je me trouvais, l’entrevue a été très chaleureuse, mais infructueuse. Les nouvelles vont vite. Ils étaient au courant de tout. Ils avaient beaucoup apprécié la tentative d’introduire la vitamine A dans le Golden Rice, mais ils ne pouvaient rien pour moi. J’étais grillé partout. Pas question d’obtenir un visa, ni un contrat de travail. Il fallait que je quitte la France et que je me débrouille ailleurs. Si je pouvais trouver une OMS moins regardante qui ait son siège social à l’étranger, si possible dans un pays qui n’ait pas de convention d’extradition avec la France. Est-ce que j’avais essayé du côté du réseau Mai-Ling ? Un gars qui avait monté une structure d’assistance au Myanmar. Ils se souvenaient que j’y avais effectué une mission pour eux. Je n’y serais pas dépaysé et mes compétences lui seraient utiles.

 

En témoignage du passé, ils me proposaient un acheminement vers l’Inde par bateau en même temps que du matériel médical et après à moi de débrouiller.  

 

Muni de l’adresse de correspondants à Bombay et des recommandations de  l’ONG, j’ai transporté le peu d’affaires qui me restaient dans une petite cabine du cargo. Nous prenions nos repas en commun. La vie à bord est sommaire. J’en ai profité pour relire « Le seigneur des anneaux », ce qui m’a permis de tenir tout le voyage. J’ai fait une analogie entre notre petit groupe de pionniers et la communauté de l’anneau. La même fougue et l’exaltation du départ et la même explosion et le démantèlement par la suite.

 

Une nuit, on est venu me réveiller. Nous abordions les côtes indiennes et je devais quitter le bord avant l’inspection des douanes. Un canot est venu s’amarrer, je suis monté à bord accompagné de quelques caisses douteuses. Je pense que le capitaine faisait un peu de trafic pour son compte.  Je n’ai pas été inquiété malgré cette entrée illégale sur le territoire indien.

 

J’ai été débarqué sur la côte à proximité de Bombay et j’ai fait du stop pour arriver au centre de la ville.

 

Ils ont été très chouettes. Les filières locales m’ont hébergé pendant 3 jours. Nous avons parlé un peu du fameux Mai-Ling. Une sorte de Robin des Bois qui jouait sans cesse à cache-cache avec les autorités. Sa tête était mise à prix pour un bon paquet. De toute façon, je n’allais pas tarder à le rencontrer : il recevait personnellement toutes les personnes qui postulaient pour travailler avec lui.

 

Le train Bombay Calcutta était bondé. Je n’ai pas pu avoir de couchette. Les trente heures de voyage ont été extrêmement pénibles. Mal assis sur des sièges défoncés. Le wagon infesté d’une populace bruyante avec animaux et enfants. La chaleur étouffante, L’humidité éprouvante. Impossible de dormir. Impossible de se concentrer. Heureusement, l’arrêt de Nagpur, pratiquement au milieu du trajet m’a permis de me dégourdir les jambes. Puis, le voyage infernal a repris.

 

Calcutta, ville tumultueuse. Je ne me ferais jamais à l’Inde. Trop de monde, trop de crasse, trop de bruit.

 

Les contacts à Calcutta m’ont proposé deux alternatives : remonter au Nord et passer entre le Bhoutan et le Bangladesh, jusqu’à Guwahati. Ensuite, les passeurs jusqu’au campement de Mai-Ling. Le trajet indien serait long, mais j’arriverai tout de suite dans la jungle birmane. L’autre voie d’accès impliquait la traversée du Bangladesh par la mer jusqu’au Myanmar. Je débarquerai à l’autre bout de la Birmanie. Si la navigation ne présentait que peu de risques, le périple de Sittwe jusqu’à Myitkyine risquait d’être très dangereux.

 

 La sécurité imposait de passer par le Nord. J’ai pu embarquer dans un camion de riz – quelle ironie ! – à destination du Bhoutan. Puis, j’ai rejoint la frontière avec la Birmanie par le Brahmapoutre. Sur le porte-container qui remontait le fleuve majestueux, enfin le calme, le silence. J’oubliais toute fatigue, tout stress. Je me retrouvais enfin face à moi-même. Le temps devenait immobile. Je passais de longs moments assis à la proue en contemplant les paysages de la plaine de l’Assam qui contrastaient au loin avec les contreforts de l’Himalaya. Moi qui ne croyais ni en Dieu, ni au diable, je passais mes soirées à échanger avec un groupe de moines tibétains. Ils m’ont appris ce qu’était le bouddhisme. Je compris enfin les débats entre Isabelle et mister Wong. Je perçus ce qu’était la tradition Theravada, ses exigences et la façon dont les birmans et les thaïlandais  mêlaient subtilement un bouddhisme rigoureux et des croyances populaires animistes relatives aux esprits.

 

Au moment où j’ai quitté le bateau pour reprendre la route, j’ai pleuré comme si je quittais pour toujours de vieux amis. 

 

Nous avions prévu de rentrer au Myanmar par le col de Pangsau. Mes guides m’ont fait passer de l’Inde au Myanmar comme si j’étais de l’opium de contrebande. La nuit, avec des équipes qui se relayaient. Balloté, chahuté, bousculé, pressé, poussé, tiré. J’avais à peine le temps de retenir leur nom que mes passeurs changeaient en me transférant comme un vulgaire balluchon. La marche éprouvante, l’humidité, les moustiques, le manque de sommeil, tout cela me faisait marcher comme un zombie. Je mettais un pied devant l’autre machinalement. Je m’arrêtais quand on me disait de m’arrêter. Je mangeais comme eux, un peu de riz debout, en vitesse. Je dormais enroulé en chien de fusil comme eux quelques heures. Puis, une autre équipe venait me prendre et tout recommençait. J’avais beau savoir que tous ces gens risquaient leur vie pour moi, je leur en voulais du  peu de considération qu’ils avaient de moi. Je ne l’ai compris qu’un matin, quand après m’avoir murmuré quelque chose que je n’ai pas compris, l’un d’entre eux s’est jeté sur moi en m’aplatissant dans une flaque de boue et en me mettant une main sur la bouche. Sans le savoir, nous nous étions approchés trop près d’une patrouille. J’étais couvert de boue, mais c’est là que j’ai compris qu’ils se mettaient tous en danger pour m’acheminer à bon port.

 

Nous rejoignions lentement le district de Kachin. Avec les quelques mots de dialecte que je connaissais, nous tentions de communiquer. Ils avaient tous  un énorme respect pour Mai-Ling qui incarnait à leurs yeux, bien plus que le simple responsable d’une cellule humanitaire. Pour tous ceux qui aspiraient à la fin de la junte militaire du Myanmar, Mai-Ling représentait l’espoir, l’alternative, le combat, la révolte. Il redonnait à ce peuple sa fierté. Pour lui, ils se seraient fait hacher menu et c’est pour lui qu’ils prenaient tous ces risques.

 

C’est un soir que nous sommes enfin arrivé au campement de Mai Ling. Mais dans quel état, trempés, harassés, affamés. Des codes échangés avec quelques guetteurs, une grande tape dans le dos qui me fait trébucher de la part de l’un de mes accompagnateurs du moment et un gars qui m’accueille et me tire par la main en me faisant perdre l’équilibre. Il m’indique une case du doigt : « Mai-Ling » et me pousse dans le dos.

 

En le suivant, je souffle enfin. Ma quête est finie. Le voyage long, fatiguant, initiatique s’achève. Je vais pouvoir dormir. C’est peu de dire que je suis épuisé, autant moralement que physiquement. Depuis que j’ai quitté le confort douillet du Luxembourg, j’erre, sans but et sans pouvoir tourner la page. Je vais enfin pouvoir faire le deuil de toute cette aventure et me consacrer de nouveau à ma passion : rencontrer, aider, soigner. Mes rangers sont lourdes de boue, mes jambes n’avancent plus, et je peine derrière mon guide. Quelques falots renvoient une pauvre lumière. Nous arrivons enfin devant une porte sur laquelle il cogne en criant des mots que je ne comprends pas. La porte s’entrouvre sur une petite birmane qui me fait entrer. Avant de partir, l’homme me désigne une silhouette au centre de la pièce : « Mai-Ling ». La pièce est sombre, je n’arrive pas à accommoder et j’ai du mal à percevoir les contours du personnage.

 

Petit à petit, les yeux se font à l’obscurité et je perçois mieux les dimensions de la pièce, son mobilier rustique. C’est à ce moment que j’entends la voix de Mai-Ling. Je connais bien cette voix. Elle ne s’adresse pas à moi, mais à la petite fille : « Sharam, tu peux embrasser ton père. »

 

 

 

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