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Journée de la femme

 

Par Pierre Burnet

 

Kat, la fougue 

 

Avec Josette et Véro, on s’était dit, cette année, la journée de la femme, ça sera notre journée à nous. On ne la manquera pas. Parce qu’on est caissières, qu’on bosse dans une supérette du coin à la con et que c’est pas rose tous les jours la vie de gonzesses dans ce trou.

 

Moi, c’est Kat. Enfin Catherine, mais Catherine, c’est trop long et c’est trop ringue. Pendant un moment, ça a été Kathy, Cathy, Katy. Y a eu des modes. Mais maintenant, c’est Kat. Ca claque bien. Kat ! Kat !

 

Comme cette année, la journée de la femme, c’est Dimanche, j’ai du les pousser au cul pour qu’elles tiennent leur engagement. Pour Josette, le Dimanche c’est sacré. Mais comme j’y ai dit : Dimanche, mon cul, on l’a dit, on l’a dit !

 

J’ai du les tenir serrées parce que normalement on était de service dimanche matin. Alors je me suis pointé tôt chez Véro et ensemble on a été chercher Josette. Elle voulait pas venir à cause de ses deux chiares. Et elles avaient toutes les deux les boules à cause du boss qu’on n’avait pas prévenu et qui allait nous faire la vie. Alors j’ai dit : « Le boss, mon cul. Tu parles du salaud qui nous coince dans le couloir pour nous tâter les fesses. Et qu’on est obligé d’aller dans son bureau quand on a un peu de retard et qui en profite pour nous malaxer ! », et j’ai été parlementer avec la voisine pour qu’elle garde les mouflets et on est parties en virée avec sa tire.

 

Pour sortir de Dijon, on a un peu galéré à cause de la manif’ pour la journée de la femme. J’avais sorti le corps par la vitre ouverte et une fesse sur l’appuie fenêtre et la main cramponnée au toit, je gueulais les slogans « Nous aussi, les femmes, nous pouvons. Yes, we can ! Yes, we can ! » pendant que Josette râlait et tapait du poing sur la portière : « Mais tu vas rentrer dis, tu vas rentrer. »

 

Il faisait beau, on avait l’impression d’être en vacances. On s’est arrêté au marché de Marsaussais pour acheter le pique nique : un sauce, une baguette, du from’ et du pinard.

 

Ensuite on est allé sur le bord de l’étang. L’eau faisait un joli bruit et il y avait le vent dans les feuilles. Y’avait un pécheur qui jetait sa canne et ça faisait un flac à chaque fois qu’il la relançait. On s’est allongées sous un saule et on était bien. Véro nous a un peu cassé les pieds en nous parlant de son mec, celui qui s’est tiré il y a trois mois. J’lui ai dit, « Ton mec, mon cul ! C’est la journée de la femme, merde ! Lâche-nous les baskets avec les mecs pour aujourd’hui !»

 

C’était pas trop difficile pour moi parce qu’en ce moment, j’en ai pas de mec. Largué, balancé, nettoyé. Je sais pas pourquoi, je me ramasse tous les tricards du coin, tous les bancals, tous les véreux. Je suis pourtant pas mal balancée. Un peu large des épaules peut être et des mollets de cycliste. Mais si j’avais 5 cm de plus, j’aurais pu faire mannequin. Enfin c’est ce que disent les copines. J’en avais un bien, un sérieux, mais c’était trop pépère. Il nous voyait déjà mariés avec trois gosses. Moi, le ventre ballon, pas tout de suite. Et les morveux, pas pour l’instant.

 

En plus pas d’imagination. Tous les samedis soirs, tu passes à la casserole. Monsieur t’écrase de tout ton poids et s’active pendant que tu comptes les mouches. Au bout d’un moment, comme ça s’éternise et que tu as envie de dormir, tu fais des petits cris et des gémissements : des « Oh oui ! Encore ! Plus vite ! Oui ! Ouiiiiiiiii ! ». Alors il se redresse, fait gonfler tous ses muscles et brusquement, il se raidit, il vide ses petites burettes et il retombe endormi en te coupant la respiration. Et t’es obligée de te finir à la main si tu veux vraiment participer un peu à la fête.

 

Non, moi, j’aurais voulu un mec, un vrai, un dur. Un qui te fait vibrer, qui te rend chose. Qui te parle de sa voix grave et que tu fonds. Qui arbore ses muscles et que tu en es fière. Qui a envie de faire du sexe et que tu te soumets. Qui s’occupe de ton plaisir et qui t’envoie au ciel.  Qui te prend dans ses bras et t’as l’impression d’être une reine. Mais tout ce que je suis pour l’instant, c’est la reine des pommes, la reine des connes ! Alors les mecs, ça va bien un moment, mais aujourd’hui, ça nous les brise ! Menu !

 

Alors, la Véro, on l’a un peu calmé et on a refait le monde qu’on aurait si y avait plus de mecs ! Plus de boss, plus de macs. Plus personne pour te commander. Plus de repas à préparer. Plus de passage à la casserole quand t’as pas envie ! Plus de chaussettes à laver. Plus de maillots de corps à laver. Et de slips. On s’est raconté des histoires des slips des mecs. De ceux qui ont une réserve beaucoup plus grande que l’appareil qu’ils mettent dedans ou alors avec le truc tout rabougri et tout replié dedans. Moi, j’ai dit que je préférais le caleçon. Ca moule mieux les petits culs. Et Josette que j’aurais pas cru comme ça, disait que le slip classique, quand ton mec à la trique, ça a quand même de l’allure.

 

Véro nous l’a joué un peu mélancolique en disant qu’elle s’était aperçu que son mec allait voir ailleurs quand elle a trouvé des traces dans son slip. Nous, on s’est offusqué. Tu contrôles quand même pas. Et ben si ! Elle sentait le soir les sous vêtements pour vérifier. N’empêche que j’ai eu raison. Qu’elle disait. C’est comme ça que j’ai su qu’il fricotait ailleurs. J’étais outrée !

 

Les trucs de mecs, c’est des trucs de mecs que j’dis ! Moi, je farfouille pas dans leurs affaires. Ils farfouillent pas dans les miennes. Oh mais pardon, a dit la Josette. Y’en a qui gardent les culottes des filles pour les renifler. J’ai fait la mijaurée comme ça, mais je l’savais déjà. C’est quand même sacrément vicieux les mecs. A part la Véro, aucune gonzesse se baladerait avec un slip de mec dans son sac à main. J’ai dit. La Véro a râlé bien sûr et elle a dit : « Plus souvent que tu crois ! » 

 

On a déblatéré jusqu’à plus soif sur les mecs et sur la vie. On a décidé qu’on finirait la journée en boite. Qu’on s’habillerait comme des pétasses. J’ai dit que je mettrais mon pull moulant avec rien dessous. Véro, sa mini jupe que tu vois le slip dépasser. Josette disait rien et rigolait. On disait qu’on allumerait tous les mecs. Qu’on les frôlerait pour sentir la trique monter. Et qu’une fois qu’on les aurait bien excités, on les laisserait tomber en les regardant de haut. Hop ! Va te finir à la maison, mon p’tit gars ! Ah moins que bobonne accepte de te palucher ! Ca existe sûrement encore les femmes soumises.

 

A parler, on a eu envie d’un gorgeon. On avait mis la bouteille dans l’eau pour qu’elle refroidisse et c’est quand on l’a sorti qu’on s’est aperçu qu’on avait oublié le tire-bouchon. Le pêcheur nous a un peu chambrées, mais il a débouché le pinard.

 

C’est pour ça qu’on l’a accepté et qu’on a partagé nos provisions avec les siennes. Malgré que ce soit un mec. On est parfois obligé de pactiser avec l’ennemi.

 

Après avoir mangé, on s’est rallongé et je me suis endormie sous l’arbre. Le soleil était assez fort pour un mois de mars.

 

Véro fricotait avec le pécheur. Enfin, je ne la voyais pas et je ne voyais pas le pécheur non plus, alors j’ai conclu !

 

On est rentré en se rappelant notre promesse d’aller finir la soirée en boite. J’avais envie de terminer la journée en beauté. Je voulais voir les yeux des hommes s’allumer. J’ai mis ma petite jupe de pétasse, le pull moulant sans soutif, le maquillage qui tue. Mais quand j’ai retrouvé les filles. Véro a entrebâillé la porte en disant qu’elle avait sommeil. Tu parles, Charles, j’suis pas plus conne qu’une autre, j’ai vu les bottes du pécheur dans l’entrée et la Josette avait retrouvé ses mioches.

 

Elles m’ont laissé devant la porte. Je ne me suis pas dégonflée.  J’me suis pointée au Loly’s toute seule comme une grande.

 

Je me suis hissé sur un tabouret de comptoir et j’ai tiré sur ma jupe pour la rallonger un peu. J’ai commandé un gin tonic pour me donner de l’assurance J’avais quand même un peu les miquettes. C’t’un plan qu’on avait fait à trois. C’est vrai, une fille toute seule, sapée comme une pute, ça craint. On raconte parfois de ces histoires.

 

Je me suis fait draguer par une douzaine de ploucs. Et l’autre douzaine me reluquait.

 

Un gars un peu fort et un peu parti m’a pris le menton en me demandant comment je m’appelais. Il avait une sacrée paluche et j’ai eu du mal à articuler « Kat ». Il avait une belle voix grave, une voix qui te fait venir la peau d’orange. Il m’a commandé d’autorité une tequila. On l’a frappé avant de la boire et on en a aligné deux, trois. J’ai plus bien la mémoire des chiffres.

 

Un petit attroupement s’est formé autour de nous et le gars, ça l’a un peu énervé.

 

Y’a eu deux, trois plaisanteries salaces. J’vous ai déjà dit. Ce soir, j’ai plus bien la mémoire des chiffres. Le gars, ça l’a énervé. Une main a tenté un  pelotage en douce. J’ai vu partir un coup de boule.

 

Ca tournait vinaigre et j’ai pas trop résisté quand il m’a embarqué par le coude, fait sortir du Loly’s et qu’il m’a fait monter dans la voiture.

 

J’ai accompagné le mouvement quand il m’a extirpé du siège pour me porter à l’intérieur de l’appartement.

 

Je me suis laissé faire quand il m’a porté dans la pièce.

 

Au moment où il m’a basculé sur le lit et m’arrachait ma jupe, j’ai pensé : C’est pas que ta journée, ma fille, ça va être aussi ta fête. »

 

Et environ 5 minutes après, pendant qu’il ronflait sur mon épaule et que je lui caressais les cheveux. Je soupirais.

 

« Eh ben même pas. En plus, ce salaud est éjaculateur précoce ! 


Quitterie, la leçon

 

Anne-Elisabeth, venez tout de suite, je vous interdis d’aller par là.

 

Une manifestation bon enfant bloquait la rue principale. Des femmes criaient des slogans pour la journée de la femme. « Nous aussi, les femmes, nous pouvons ! Yes, we can ! Yes, we can ! »

 

Ces femmes ! Ces tenues indécentes ! Ces bras nus ! Des dépravées ! Anne-Elisabeth ! Revenez tout de suite ! Je vous l’ordonne !

 

Anne-Elisabeth, baissez les yeux quand vous me regardez !

 

La petite fille, du haut de ses onze ans, baissa les yeux.

 

C’est bien, ma fille ! C’est bien ! Réfrénez vos émotions. Ne les laissez pas paraître.

 

Je vous veux obéissante, soumise. Vous êtes la fille de la famille. J’ai besoin de votre aide pour tenir ce ménage et ainsi vous apprendrez le rôle qui deviendra le vôtre.

 

Vous aussi plus tard, dans une soirée, dans un rallye, dans un diner, vous rencontrerez un jeune homme. Nous prendrons contact avec sa famille et si nous nous convenons, nous organiserons vos fiançailles, puis votre mariage. Vous devrez alors porter les valeurs et le nom de cette famille par alliance et je l’espère, comme moi, porter ses fils et perpétuer le nom et leur généalogie. Je veux pouvoir être fière de vous et être sûre que vous assumerez avec force et droiture ce rôle essentiel.

 

Regardez-moi ! Malgré mon nom illustre, j’ai accepté de lier ma destinée à celle de mon époux et comme je m’y suis engagée, je me suis soumise et j’ai promis obéissance. Et c’est moi aujourd’hui qui porte les valeurs de cette famille. D’épouse, rôle subalterne, je suis devenue mère, le plus beau rôle.

 

Mais oui, Anne-Elisabeth, nous sommes là pour glorifier notre époux, pour le mettre en lumière. Regardez les animaux les plus nobles : Le Lion, par exemple, c’est le lion dont la crinière fait qu’il est animal royal. La lionne est effacée, elle chasse, elle s’occupe de l’intendance, elle porte et met au monde les lionceaux, les élève et l’homme parade. Je suis la lionne de mon lion. Et cela existe aussi des animaux les plus courants. Tenez, vous vous souvenez des faisans que Hubert a ramenés de la chasse du comte de Fels. Mais si, souvenez-vous, vous en vouliez les plumes pour orner votre chapeau. C’est le coq dont la parure vous avait fait envie, pas la poule faisane dont le pelage est plus terne. Et pourtant le rôle de la poule est essentiel pour que le coq triomphe. Voilà, c’est toute notre façon d’être qui est dépeinte ici. A l’affut de tout pour que tout se passe bien et restant dans l’ombre pour que notre époux rayonne sans avoir à gérer les soucis du quotidien. Il sait bien ce qu’il nous doit et pour lui, nous sommes une reine.

 

Bien sûr, au début, on fait quelques petites concessions. J’ai mis un terme à mes études de droit. Mais est-ce réellement une perte ? Est-ce que je voulais vraiment être avocate ? Non, bien sûr, je voulais avoir une grande culture générale et une ouverture d’esprit large. C’est important en société de pouvoir facilement s’intégrer à toutes les conversations. C’est chose faite. Vous avez souvent entendu votre père vanter mes qualités littéraires. J’écris un peu, des poèmes, quelques histoires, le saviez-vous ? Je vous permettrai peut être de les lire, un jour.

 

Je ne dis pas que quelques menus détails peuvent dans un premier temps gêner. Mais comme je vous le dis, ce ne sont que des petits détails et ils ne sont que quotités négligeables par rapport à l’essentiel. Il ne faut pas se tromper. Ma vie est loin d’être creuse. Elle est riche : j’écris, je vous l’ai dit, je lis beaucoup. Nous allons au théâtre, à la Comédie Française, tous les mois. Nous recevons beaucoup et nous sommes également appréciés et souvent invités. Nous faisons partie du tout Dijon raffiné. Et c’est ensemble que nous avons forgé cette réussite.

 

Vos frères occupent beaucoup de mon temps. Nous leur voulons de belles études, des réussites éclatantes. Rien ne doit être négligé pour assurer leur position et leur futur rôle.

 

Quoi, que dites-vous ? Vos études à vous ! Mais regardez-vous ma pauvre fille. Encore heureux que les sœurs vous tolèrent dans la pension où nous vous avons placée. Vos résultats sont excessivement médiocres et j’espère que vous aurez à cœur de redoubler d’efforts pour donner enfin satisfaction à vos professeurs. Vous n’étiez que 6e lors du

 

dernier  bulletin. Je vous attends plus haut. Vous le devez à votre nom et vous le devez aux efforts importants et aux sacrifices que nous faisons pour vous.

 

Que croyez-vous donc, Anne-Elisabeth ? Croyez-vous que les gens vous regardent quand nous passons en famille. Ils regardent vos frères, leur prestance et ils envient notre famille.

 

C’est comme cela. Vous suivrez l’exemple et l’enseignement de nos mères et vous le transmettrez. Que cela vous plaise ou non ? Vous aurez du plaisir quand on vous l’autorisera. Nous n’en sommes pas mortes ! Vous n’en mourrez pas !

 

Vous vous soumettrez comme moi ! D’abord à votre famille et ensuite à votre mari, quand on vous en aura trouvé un. Vous apprendrez à réfréner vos émotions, à faire vôtre une famille hautaine et méprisante, à n’exister qu’à travers vos enfants mâles, à vous soumettre à l’homme, à ses désirs, à ses ambitions. Pire, à s’approprier ses désirs et ses ambitions. A gommer les vôtres, à copier-coller dessus ceux de l’homme. Vous allez apprendre la domination du masculin, subir l’homme, subir la loi de l’homme, sentir son odeur. Son odeur ! La vôtre disparaîtra, s’estompera, se dissipera pour prendre les senteurs acides, fortes, viriles. Vous n’existerez qu’à travers lui, que par lui.

 

J’ai épousé Hubert. Je l’ai fidèlement servi. Je l’ai accepté en moi chaque fois qu’il m’en pressait. J’ai toujours fait passer son bonheur avant le mien. J’ai abandonné ma carrière pour qu’il puisse s’épanouir dans la sienne. J’ai été épouse fidèle, maitresse dévouée, esclave docile.

 

J’ai engendré deux garçons qui font notre fierté. Surtout la sienne et celle de sa famille. Le nom, le sacré nom de famille est préservé !

 

Regardez-moi, Anne-Elisabeth ! Regardez-moi en face ! Je n’ai pas de compassion pour vous. Vous vivrez une vie de femme comme des générations de femmes, avant vous. Arrêtez de me regarder en face, effrontée,  baissez les yeux !

 

Anne-Elisabeth, vous m’emmerdez !


Maud, la passion

 

« Nous aussi les femmes, nous pouvons. Yes, we can ! Yes, we can ! » La manifestation avançait lentement et à tue tête, nous hurlions les slogans.

 

Le grand jour est là. Olympe de Gouge réhabilitée. Ce soir, je veux finir en beauté cette journée.

 

La femme, maîtresse de son avenir, de son présent et même capable de revisiter son passé.

 

Une lignée de femmes d’exception a tracé la route. Chaque femme qui s’est rebellée contre la fatalité. Chaque femme qui a contesté la domination. Chaque femme qui a tracé, parfois de son sang le sillon de l’émancipation. Chaque femme, chacune de celles qui m’ont précédée,  ont construit avec leur chair les jalons de la liberté. « Yes, we can ! Yes, we can ! »

 

Celle qui a refusé de servir l’homme, celle qui s’est refusée à lui, celle qui a exigé les mêmes droits que l’autre sexe, celle qui a osé retirer son soutien gorge, celle qui a rejeté l’exclusion.

 

Simone de Beauvoir, Elisabeth Badinter, Gisèle Halimi, mes sœurs. Je m’inscris dans vos gènes. « Yes, we can ! Yes, we can ! »

 

Ce soir, pour fêter cette journée, je m’envoie en l’air.

 

Je laisserai le désir monter lentement. J’attendrai avec patience et j’écouterai tout mon corps pour ressentir les premiers frémissements, les balbutiements annonciateurs de la vibration. Un tempo lent à peine perceptible qui lancera le vibrato. Puis, un à un, toutes les parties de moi qui se mettront en résonnance, amplifiant, allegretto la sensation. Je sentirai la respiration monter, l’ivresse me saturer. Fortissimo, fortissimo, le paroxysme grandira, grandira. J’aurais l’impression d’exploser de l’intérieur. J’halèterai, je suffoquerai. L’orgasme  m’emplira. Ca y est, je laisserai monter la jouissance. Je la dégusterai pendant qu’elle inondera mon être. Je la ferai durer, durer, durer, le plus longtemps que je pourrai. Enfin, j’essaierai de retrouver ma respiration en faisant ronronner cette joie intense, ce plaisir inouï.

 

Ce soir, je m’envoie en l’air.  

 

Bien que ce soit Dimanche, j’ai des choses à faire. J’ai acquis chèrement mon indépendance, je sais ce que je lui dois. La manif terminée, je passe par le bureau, lire mes mails, terminer un rapport, revoir une présentation. Je m’applique, je peaufine, je soigne, je prends mon temps, mais je n’oublie pas : ce soir, je m’envoie en l’air.

 

Le travail est complexe et j’essaie de ne rien oublier. L’excitation me gagne et je voudrais bâcler, aller vite, survoler. Je voudrais déjà avoir fini, rentrer, me jeter dans les bras de mon amour et le faire, l’amour.  Mais, je suis une professionnelle. Mon travail doit être parfait. Je me mors les lèvres et je relis, je précise, je refais, je rature, je recommence. Mes idées se troublent, ma respiration s’accélère. J’ai du mal à me concentrer. Ma voix devient rauque. Je ne pense qu’à ça. Ce soir, je m’envoie en l’air.

 

Jouir et faire jouir. Prendre son pied et faire prendre le sien à son amour.  Être à l’écoute de l’autre, de son désir. Le prendre en main, le piloter dans les méandres de la fête. Avec autorité, prendre le commandement et diriger avec comme sonar et instruments, le pouls, les inspirs, les soupirs, les gémissements. En jouer, lâcher du lest, le reprendre, se désintéresser, être nonchalante, se captiver à nouveau, laisser tomber la tension, la faire remonter, retomber, remonter, retomber, remonter. Et d’un geste sûr, maitriser la situation. Voir le paroxysme monter. Se prendre au jeu, être heureuse des frémissements fébriles, les canaliser, les densifier, les maintenir et puis au moment opportun, faire jaillir la jouissance, l’irradier et dans une communion parfaite, la partager.

 

L’heure tourne, ce travail est infernal. Il ne finit pas, il est lent, il est besogneux. Je devrai appeler mon amour, le faire patienter, le calmer. Je ne le ferai pas. Mon amour me prendra comme je serai. Il comprendra, sinon, ce ne serait pas mon amour.

 

Il est plus tard que je pensai. Mon amour doit être enragé. Je termine, j’éteins, je verrouille et je me dépêche de rentrer. Je bombe sur la route, je n’ai jamais roulé aussi vite. Je brûle les stops, je brûle les feux, je prends un rond point trop rapidement et je manque de m’envoyer dans le décor. Je veux m’envoyer en l’air, mais pas comme ça. La sueur froide qui me coule le long du dos donne un coup de fouet et me remets les idées en place.

 

Je termine la route plus sereinement. Je gare, j’éteins, je ferme. Je monte silencieusement. Je tourne doucement la clé. Tout est éteint, tout dort. Dans la lueur de la lune, je perçois une table de fête intacte et désolée. Je me déshabille. Je voulais me doucher, me laver, me débarrasser de toutes mes pollutions. Mais j’ai changé d’avis. Je veux que mon amour sente ma sueur, la lèche. Je veux m’abreuver de la sienne.

 

Je suis nue et je m’approche sans bruit du lit. Je tire doucement les couvertures, je découvre le corps nu de mon amour. Avec tendresse, je dénoue mes cheveux et de la tête j’en caresse les épaules, le dos et les fesses. Je caresse lentement, je monte, je descends, je ne suis plus qu’une tête qui ondoie et qui traine sa chevelure comme un léger plumeau. Danseuse docile, j’ondule et tourne. Je perçois insensiblement la respiration changer. J’entends faiblement un ronronnement de contentement. J’approche ma bouche de la peau et je souffle tout le long de la colonne vertébrale.

 

Le corps se met à bouger et se retourne. Isabelle se réveille enfin.

 

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