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La ville python

Par Pierre Burnet

Je reviens d’un voyage bizarre. Une sorte de perte de connaissance virtuelle. Pas longtemps. Mais j’en reviens groggy. Une sorte de plongée dans un passé imaginaire, dans un possible non accompli. J’ai l’impression d’avoir en bouffée revécu des rêves. Une plongée dans mon passé, dans mon imagination, dans mon subconscient.

J’étais à la gare, j’attendais mon train. Mon esprit vaguait comme d’habitude et puis d’un seul coup. Je suis parti. Je ne sais où mais l’univers était familier. J’y retrouvais des couleurs, des odeurs, des sons.

C’est probablement ce voyage à Lille qui m’a troublé. D’un seul coup, je me suis retrouvé face à des bribes de souvenirs, de rêves. J’étais comme shooté, drogué.

Chaque fois que je reviens à Lille, les souvenirs reviennent en bouffée. Cette ville a une emprise sur moi. J’y ai laissé trop de choses. Elle s’en saisit et se venge. Je l’ai abandonnée en croyant qu’on pouvait l’abandonner. On ne peut pas. J’y ai laissé trop de choses. J’y ai laissé trop de vie.

Elle laisse trainer des ramifications qui me réenserre dès que je passe à sa portée. Trop de choses, trop de vie.

J’ai grandi dans ses rues, j’ai respiré son air, je suis tombé sur ses pavés.

J’ai subi un ensorcellement. Pendant un court instant, je n’ai plus été moi. Je ne savais plus où j’étais, qui j’étais. Je me noyais dans un passé mélant réve et réalité . Puis, une partie de moi encore consciente m’a saisi, m’a pris en main, m’a conduit sur le quai de la gare, m’a fait monter dans un train et malgré les brumes qui continuent  à m’obscurcir la tête, je suis en route vers Paris.

Lille, le champ de tous les possibles. J’y ai laissé mes embranchements, ma gare de triage. A Lille, tout a été vrai, tout a été possible. A Lille, j’étais un prince, un elfe, un page. A Lille, j’ai laissé mon enfance, mon adolescence, mes rêves, mes amours, mes gloires.

J’y ai été le maitre du monde. J’y ai été un conquérant. J’y ai été un seigneur.

A Lille, j’aurais pu tout conquérir. Cette ville me rend fou. Dans le train qui m’arrache, j’ai du mal à concilier la réalité et le rêve. Je ne sais plus pourquoi j’en suis parti. Mais je sais que si je n’avais pas trouvé le sursaut du départ, je n’aurais pas pu en partir. Elle m’aurait emprisonné dans mon passé.

Pendant les courts instants qu’ont duré mon envoutement, j’ai eu l’impression de revivre des morceaux d’un jeu. Je ne me souviens plus du nom de ce jeu. Mais je me souviens que c’est Rosemarie, qui nous y faisait jouer et que c’était un jeu dangereux.

Dangereux, parce que je perdais pied dans le rêve et j’ai retrouvé pendant quelques instants les pensées oniriques du jeu et du rêve.

Les brumes m’ensorcellent encore. Dans le train qui m’arrache à ma ville, je continue à avoir des bouffées d’ivresse. Je replonge par brides dans ce trouble passager.

Je comprends maintenant pourquoi j’ai toujours été un piètre écolier et lycéen. Mon imagination, mes rèves m’emportaient loin du réel. C’est cette ville qui les catalyse.

C’est d’ici que je suis. Peu importe le sang, la race, le berceau. C’est de Lille que je vis. C’est de Lille que je respire.

Cette ville a été le témoin de toutes les étapes de ma vie. Je m’y suis éveillé à la conscience, à l’amitié, à l’amour. J’y ai maturé et grandi.

La confrontation n’est plus anodine. J’y reviens mûr et vieilli. Mais j’y ai laissé trop de choses. Trop de bouffées d’un passé à peine enfoui et qui ne demande qu’à revivre.

Est-ce mes nostalgies d’une vie bien remplie, mais qui s’ennuie maintenant ? Est-ce les chemins pas pris qui s’entrecroisent dans le monde des possibles. Et si j’avais pris une autre route, serré d’autres bras, baisé d’autres lèvres ! Et si…

On ne refait pas le chemin, mais diantre, la façon dont cette ville m’a saisi tout à l’heure. Si le soupçon de lucidité ne n’avait pas empoigné, fait descendre sur le quai, jusqu’à la voiture 18. J’y serai encore, emprisonné dans les méandres d’un passé comme dans les anneaux d’un serpent python. Perdu, coincé entre rêve et réalité, entre passé et illusion.

Cinquante ans plus tard, quarante ans plus tard, trente cinq ans plus tard, qu’y serais-je venu chercher ? Des rêves évaporés, des chemins pas pris impossibles à reprendre, une nostalgie qui s’enserre comme les anneaux du serpent.

Je ne sais comment j’ai échappé à cette ville serpent et à ses anneaux. J’y ai laissé trop de rêves, trop d’espoir, trop d’amour. Elle conserve emprisonnée mon empreinte et dès que je pénètre à nouveau dans son périmètre, elle reconnaît la puce dont elle m’a marquée et insidieusement et lascivement recommence une danse de séduction et de reconquête.

Cette ville mère m’a tout appris, tout nourri. Bien que je m’en défende, je n’en suis pas encore sevré. J’y ai laissé trop de marques, trop de repères, trop de sueurs, trop de sangs, trop d’envies, trop d’espoirs. Elle me reconnaît quand je reviens. Elle me laisse déambuler à mon aise, ressentir la nostalgie, imaginer les chemins du possible et au moment où elle sent que je vais la quitter à nouveau, elle me drogue, m’enivre, me séduit.

Elle me redit : « Reviens, mon page, reviens mon elfe, reviens mon prince, je ferais de nouveau de toi un seigneur, un conquérant, un maitre. » Une partie de moi l’écoute, une partie la fuit. Elle appelle à son secours des fantômes familiers qui m’interpellent et me replongent dans un passé qui ne semble pas lointain. C’était hier. Reviens ! Reviens ! Souviens-toi ! Souviens-toi !

Le piège est dans le souvenir. Je ne t’écoute plus. Je n’ai plus de passé. Je ne te connais pas, je ne te reconnais pas. Qui est tu ? Que me veux-tu, inconnue ? Rengaines ta poitrine, Regarde tes appas. Ils sont d’un autre âge. Un chemin pas pris restera toujours un chemin pas pris ! Eternellement !

Un rêve restera un rêve. Mais, y a-t-il tant de différences entre le vécu et l’imaginaire ? Les perceptions sont parfois si fortes qu’elles font vibrer l’émotion. Tentons d’être pragmatiques. S’il y a émotion, c’est qu’il y a implication totale et entière. Que les sens y aient ou non participés, qu’est ce que ça fait ? On s’en fout ! Parfois, je me réveille en nage, d’un rêve trop prenant. Les images sont fortes, mais se dissipent vite. Parfois, j’ai la présence d’esprit de les figer, de me les remémorer immédiatement. Alors, elles demeurent éternellement. Mais sinon, elles se dissipent, elles s’évaporent, brumes évanescentes et elles retombent dans l’oubli d’une mémoire immédiate, mais fugace. Qu’ai-je révé ? Qu’ai-je vécu ? Est-ce si important ? Qu’est ce qui en restera ? Et pour qui ? Qui est ce que ça intéresse ?

Je me souviens maintenant du nom du jeu de Rosemarie : « Le labyrinthe ! ». Je vous l’avais dit. C’est un jeu dangereux.  On s’y perd ….

FIN

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