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Le Bois aux Hêtres

 

– 1er prix des lecteurs de la bibliothèque de Viroflay –

– Concours Envie de Vous Lire 2012 (thème : train de nuit) –

 

Par Pierre Burnet.

 

Je dors toujours mal en train. L'inconfort. Les cahots. La proximité des autres. On a peu de place. J'ai du mal à trouver ma position. Je me retourne. Je somnole, réveillé par les incessants arrêts, les cris des porteurs le long des quais, les cris des chefs de gares, les coups de sifflets. Et le train repart. Les bruits prennent de l'importance dans l'obscurité de la nuit, quand on n'arrive pas à dormir. Les crissements, les sifflements, les craquements. Tout l'être est aux aguets de ces bruits qui sont les seules choses qui le rattachent au monde extérieur. Les bruits et les cahots. L'odeur, aussi. Je ne suis pas habitué à une telle promiscuité. Je prends soin le matin à me pomponner. C'est mon petit plaisir matinal. Après ma toilette, je me fais raser avec soin, puis parfumer. J'aime sentir bon. Mais mes compagnons de voyage n'ont olfactivement pas la même préoccupation ; le voyage avançant, les odeurs corporelles prennent le dessus. Je pense narquoisement que la nature reprend ses droits. Les bruits, les cahots et les odeurs. Et ma tête, pleine et qui n'arrive pas à se vider. J'espère que Joanna aura pu monter dans le train. Je ne l'ai pas vue au départ. Elle aura aussi pu prendre un autre train. Je repense aux heures qui ont précédé le départ. L'empressement. Se dépêcher. Partir vite. Une pauvre valise dans laquelle on entasse pêle-mêle et rapidement de quoi se changer, un vêtement plus chaud. Tout l'argent liquide glissé dans mon portefeuille plat et quelques billets dissimulés sur moi. Une dernière hésitation. On ne peut pas tout prendre. Quelques photos. Un livre. De quoi maigrement empaqueter tout un passé et redémarrer une nouvelle vie. Là-bas, au Bois aux Hêtres, cette nouvelle terre où il faudra recommencer. Qui sait ? J'y serai peut-être bûcheron. La rudesse du travail ne me fait pas peur. Ce sera une vie saine. Joanna pourrait être cuisinière. Elle qui adore mitonner. Ce trajet est long. Il n'en finit pas. Dans un éclair de lune qui filtre, je tente de lire le cadran de ma montre. En vain. C'est Joseph qui me l'avait offerte, cette montre. Par réflexe, je la remonte dans l'obscurité et j'entends le cliquetis de l'engrenage accompagner mon geste. Je la porte à l'oreille, elle ticquetaque vaillamment. Une fidèle alliée. Joseph m'avait fait un précieux cadeau. Joseph ... C'est maintenant si loin, tout cela. Je me rendors et je me réveille. A côté de moi, cela bouge aussi, cela se retourne, cela a visiblement les mêmes somnolences hachées que moi. Auparavant, je voyageais en première classe, on me saluait, on me donnait du Monsieur. Autrefois, on me respectait. Les temps ont bien changé. De toute façon, ce n'était plus possible de continuer ainsi. Ce nouveau départ est une nouvelle chance. Malgré la rapidité du départ, l'inconfort, l'incertitude. Il fallait que cela cesse. Vivre ainsi n'était plus possible. Vivre ! Si on peut appeler cela vivre ! J'espère que Joanna réussira à dormir. Ce trajet n'en finit pas. Et cette promiscuité. Il faudra m'y faire. La vie sera plus humble. Plus simple. J'aspire à cette simplicité. Le Bois aux Hêtres, c'est ce qu'ils ont dit. Ou alors la Forêt aux Hêtres. J'ai peut-être mal traduit. En tout cas, cela respire la vie saine de la campagne, le rythme lent, la sueur de la tâche quotidienne. Le repas frugal et chaud bien mérité. L'idéal serait une petite maison à l'orée. J'aimerais bien être garde forestier. Ce sera peut-être possible. Je suis dur à la tâche et j'aime marcher. Quel changement cela nous fera. Moi, l'homme des bureaux, l'homme des affaires, finir ma vie pratiquement comme un paysan. Eh bien, cela me fait plaisir. J'ai besoin de retrouver le rythme des saisons. Revoir le jour se lever et s'en réjouir. Revoir la nature s'éveiller et s'en émerveiller. Après tant d'appréhension, j'ai hâte maintenant d'y être. Je me redresse soudain en faisant l'analogie : Êtres et Hêtres. Je ne m'en étais pas rendu compte, mais phonétiquement, c'est le même son, c'est la même chose. Le Bois aux Hêtres, c'est le Bois aux Êtres ! Stupéfiant ! J'y vois un remarquable auspice d'un nouveau redémarrage. Une promesse de bonheur ! C'est sûr, tous les signes d'une nouvelle vie sont là. Je suis tout ragaillardi de cette découverte. Ce trajet est interminable. Quand est-ce qu'on arrive ? J'essaie de dormir. C'est devenu impossible. Je suis trop énervé par l'imminence de cette arrivée. À de petites lueurs, je sais maintenant que le jour vient de se lever. Cette dernière heure est la plus pénible. Je ne suis pas le seul à m'agiter comme un cheval à l'approche de l'écurie. Tous, dans le wagon, nous sommes réveillés. Tous, nous savons que la nuit est finie et que l'arrivée est proche. Aucun d'entre nous n'ose se lever pour ne pas déranger. Pourtant, plus personne ne dort. Nous sommes tous attentifs aux bruits, aux tressautements causés par les aiguillages. Il y en a de plus en plus. Nous nous approchons sûrement d'une gare. L'arrivée est proche. Encore des cahots, des crissements, puis dans un dernier sifflement long comme une agonie, le train qui s'immobilise et c'est le silence. Il ne dure probablement qu'une fraction de seconde, mais après tout le trajet, c'est comme si nous étions tous devenus soudainement sourds. Puis les bruits familiers des quais, les cris, les sifflets nous ramènent au monde extérieur. Nous sommes maintenant tous debout et pleins d'espoir. Nous avons hâte de sortir et de découvrir ce nouveau lieu de vie. À l'ouverture des portes, nous nous précipitons dehors, tout éblouis d'un beau soleil de printemps qui nous accueille. Une vraie odeur d'herbe fraîche emplit nos narines. J'aperçois le long du quai des bandes d'herbe sur lesquelles quelques marguerites pointent à peine. Je voudrais en cueillir une pour la fixer à ma boutonnière. Ils m'en empêchent. Dans la bousculade qui s'ensuit, je trébuche. Pour m'aider à me relever, j'agrippe le pilier qui tient la plaque annonçant le nom de la gare. Le Bois aux Hêtres. En allemand, c'est plus guttural : Buchenwald, le Bois aux Hêtres, le Bois aux Êtres...

 

 

 

 

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