La terrible histoire de l'arbre et du chien /// La nouvelle en PDF !
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La terrible histoire de l'arbre et du ch
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No Future

 

La terrible histoire de l’arbre et du chien

 

Par Pierre Burnet

 

« Regardez bien la caméra en face. »

 

« Cette caméra là ? »

 

« Oui, oui. Attention, cinq, quatre, trois, deux, un, c’est à vous ! »

 

« Bastien Thibaud, bonjour. Dans le cadre de notre émission « Les enjeux de demain » vous êtes venu nous parler de votre métier. Alors de quoi s’agit il ? »

 

« Heuhem ! » Il toussa. « J’suis v’nu pour expliquer c’que j’fais. »

 

« Nos visioteurs vous regardent et vous écoutent.. »

 

« J’suis l’cantonnier d’Marsinsaut. J’ai été engagé, y a maintenant deux ans pour m’occuper des arbres. »

 

« Des arbres ? »

 

« Oui ! A Marsinsaut, nous avons la chance d’être (il lit son papier) région pilote poumon vert du programme d’écologie active et nous avons une plantation dont j’m’occupe. » Il se redressa un peu en jugeant l’effet sur les deux journalistes qui l’interrogeaient.

 

« Une plantation assez importante, je crois ! »

 

« Sûr ! La plus importante du département ! Sur les 27 568 arbres que compte.. »

 

« 27 568 arbres ? Dans Marsinsaut ? »

 

« Non, vous êtes cinglé ! Il est cinglé ! » Il fait le geste avec son doigt sur le front et il se mit à rire. « Ca, c’est le nombre total d’arbres du pays. A Marsinsaut, nous avons la chance d’avoir 4 arbres. »

 

« Ah, je comprend mieux. Donc 4 arbres, c’est déjà une forêt. Et votre mission, c’est de les faire se développer. »

 

« Pas au début. Actuellement, c’est plutôt d’les empêcher de mourir. La pho…., la photo…. (il reprend son papier) la photosynthèse qui est l’échange lumière – oxygène ne se fait plus, la terre est reconstituée chimiquement, l’eau a été remplacée par des sub.. subs…substrats de synthèse. L’arbre a du mal à s’habituer à cette nourriture. »

 

« Mais je crois que cela va mieux, maintenant. »

 

«  Oui, on a injecté de la sève génétiquement modifiée et depuis que je suis en poste, les taux de développement de la végétation sont positifs. Cette année, nous avons eu 9 feuilles de plus ! » Il regarda une nouvelle fois ses interlocuteurs pour observer l’effet.

 

« 9 feuilles. Effectivement, c’est un très beau résultat. Sur un seul arbre ou sur la totalité ? »

 

« Non, sur la totalité. En fait, deux arbres ont perdu 4 et 6 feuilles et un en a gagné 5 et l’autre 14 ! »

 

« 14 ! Dites donc, c’est un véritable succès. Et c’est ce qui vous a valu la médaille écologique de l’année ? »

 

« Oui, la ville a été primée village vert à la suite de cette fantastique réussite. Je voudrais en profiter pour remercier m‘sieur Mouchon, l’maire et l’ensemble du conseil municipal pour m’avoir donné cette chance de participer à ce fantastique challenge. »

 

« Dont acte ! Mais, je crois que cette victoire acquise de haute lutte doit maintenant être transformée et que d’après ce que vous nous en avez dit, ce n’est pas si simple. »

 

« Non, c’t’à cause du chien ! »

 

« Vous avez un chien ? »

 

« Oui, à Marsinsaut on cumule, nous avons aussi dans la ville l’un des deux chiens du département. »

 

« Et ce double avantage vous crée des problèmes ? »

 

« Oui, passque le chien veut marquer son territoire. »

 

« Je ne comprends pas ? »

 

« Le chien, y veut pisser sur les arbres ! »

 

« Comme c’est curieux. »

 

« Non, c’est comme ça, les chiens, ça fait ça, ça pisse sur les arbres pour dire que c’territoire est à eux et que les autres chiens, y z’ont pas intérêt à s’approcher. »

 

« Mais, il n’y en a pas, d’autres chiens. »

 

« Non, y en a pas, mais le chien l’sait pas. Alors, y pisse. »

 

« Vous avez essayé de lui expliquer. »

 

« Oui, on lui parle, on dirait qu’il écoute, mais y comprends pas c’qu’on dit et on dirait qu’y n’a qu’une idée en tête quand y s’lève, c’est d’aller pisser sur les arbres. »

 

« Mais comment les arbres réagissent ils ? »

 

« Très mal, m’sieur, très mal. C’est pour cela que nous avons perdu des feuilles sur deux arbres. »

 

«  Mais comment faites vous pour l’empêcher de s’approcher des arbres. Vous avez mis des barrières ? »

 

« Le département et la région ont financé des barrières en résine, mais la fermeture n’est pas parfaite. Nous devons les enlever plusieurs fois par jour pour les prélèvements et le chien arrive à s’faufiler. Et y pisse ! »

 

« Il est en liberté ? Pourquoi est ce que vous ne l’attachez pas ? Et est ce qu’il ne pourrait pas pisser sur autre chose ? »

 

« Mais on l’attache, mais y n’arrête pas de se sauver. C’est comme une idée fixe chez lui, dès qu’y est sorti, y veut aller pisser sur les arbres. On lui a proposé des tas de trucs sur quoi pisser, mais on dirait qu’y s’retient. Il a envie, mais y pisse pas. Y veut pisser seulement sur les arbres. Alors dès qu’il se sauve, on fait retentir la sirène de la ville. »

 

« Comme pour les incendies ? »

 

« Oui, c’est la même et quand ils entendent la sirène, les volontaires vont se poster autour des arbres pour essayer d’empêcher l’chien d’pisser. »

 

« Et ils réussissent ? »

 

« Rarement, rarement. Le chien est malin et rapide, vous pouvez pas savoir à quel point et comme y’a plusieurs arbres, vous ne savez jamais sur quel arbre y va pisser….. »

 

« Donc il pisse ! »

 

« Eh oui, y pisse quand même. » Il baisse les épaules en signe de lassitude.

 

« Vous avez essayé de le faire aller sur une autre ville ? »

 

« Une autre ville que Marsinsaut ? » Le cantonnier regarda le journaliste comme s’il avait proféré une incongruité.

 

« Ah, je crois que vous nous avez apporté des photos »

 

« Oui, j’ai apporté des photos, peut être on peut les passer ! » Il tend au journaliste une pochette qu’il vient d’extraire de son sac

 

« Passez les moi. Fabuleux. Je n’en avais jamais vu. Des photos d’arbres, je veux dire. Alors on va les passer à l’antenne. Chers visioteurs, vous avez maintenant la photo sur votre lecteur. Il regarde la photo et s’arrête : « Whaou ! C’est donc ça, un arbre. Et tous ces bras… »

 

« On dit des branches »

 

« Des branches. AhAh. En tout cas, c’est une fantastique émission, aujourd’hui, on apprend beaucoup de choses. » Les deux journalistes se congratulent.

 

« Ah, nous avons un appel du standard. Il écoute le message. Et c’est un appel de Marsinsaut, en direct. Fantastique ! De Marsinsaut ! Est-ce que nous le prenons ? »

 

« Allez, prenons. »

 

« Allo, allo, est ce que vous m’entendez ? »

 

« Oui, oui, nous vous entendons et nous vous voyons très bien, posez votre question. »

 

« Je voudrais parler à m’sieur Thibaud »

 

« Bastien Thibaud vous écoute, posez votre question. »

 

« M’sieur Thibaud, c’est Julien. »

 

« Julien ! C’est l’Julien » Il se tourne vers les journalistes en montrant l’écran. C’est mon p’tit assistant. »

 

« Kes’tu veux, mon gars ! »

 

« C’est à propos du chien, M’sieur Thibaut. Je crois qu’on a un problème, un gros problème. »

 

« Comment ça, un problème. Il a pissé sur un arbre ? »

 

« Non, m’sieur, on a réussi à l’empêcher. »

 

« Très bien, très bien. Alors c’est quoi le problème ? »

 

« Ben, y voulait pisser sur l’arbe et nous on devait l’empêcher, s’pa ? »

 

« Oui, c’est vot’ boulot et celui de tous les volontaires. Il faut à tout prix l’empêcher d’pisser sur les arbres. Utilisez tous les moyens.»

 

« Ben, on les a utilisés, les moyens, c’est pour ça. »

 

« Comment ça, je ne comprends pas. »

 

« Ben, pour empêcher le chien, avec l’Benoit, on a pris la fourche de démonstration, celle qui sert pour montrer comment c’était quand y avait du foin et tout ça et le chien, il a voulu passer quand même, alors l’Benoit a essayé de l’attraper pendant que j’tenais la fourche et on l’a un tout petit peu planté. »

 

« Planté ! Vous ne voulez pas dire que vous … que vous….. » Il fait le geste d’enfoncer quelque chose. »

 

« Ben, ça s’est fait tout seul. On tenait la fourche pour l’empêcher d’aller pisser et il a avancé et maintenant, il est tout raide par terre et y bouge plus ! »

 

« Mais, c’est une catastrophe ! Le chien ! Pas le chien ! Il faut appeler les secours, les écolos, les pompiers, la présidence. Est-ce que vous avez prévenu m’sieur Mouchon, au moins ? »

 

« Oui, mais, devant la nouvelle, y vient d’se suicider ! Il faudrait que vous veniez m’sieur. On sait pas quoi faire !»

 

« Bon, j’arrive. C’est une catastrophe nationale, c’est terrible. » Il se lève, arrache le micro et s’en va. Pendant ce temps, les journalistes sont partagés entre la compassion et l’irrésistible envie de se congratuler devant ce qui vient d’arriver en direct. Les autres vidéastes vont s’arracher les moments de l’émission qui va devenir cultissime.

 

C’est à ce moment que le standard intervient : « On peut passer une question Sms ? »

 

« Mais, bien sûr, bien sûr. Chers visioteurs, vous avez assisté à une émission d’anthologie. Nous la repasserons surement en différé pour ceux qui souhaiteraient la revoir. Alors, ce SMS. »

 

Dans le silence du studio, la question s’étale sur l’écran.

 

« SVP KSKC 1 CHI1 »

 

 

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