Personnages en quête d'auteur
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Personnages en quête d’auteur

 

Par Pierre Burnet     

 

Ducey, Rue de l’Abreuvoir, Dimanche 2 mai 2010*

 

Le ciel s’obscurcit et Mylène se dit qu’un vilain orage devait se préparer. C’était quand même surprenant et soudain. Les nuages devaient être très noirs. Cela la mit en joie, Mylène adorait les orages. De la salle à manger, elle s’approcha du grand rideau du salon pour le soulever et voir le ciel, quand elle entendit un léger tocquement à la porte.

 

Elle ouvrit et se figea stupéfaite en découvrant que toute la rue face à la maison était couverte de monde. Plus d’une centaine de personnes. Tous les visages la dévisageaient et souriaient.

 

-          « Euh, bon…, bonjour. » S’adressa t elle à la cantonade. 

 

-          « François, François Morel ! », se présenta un jeune homme avec empressement en lui serrant la main très longuement. « Sophie ! » Annonça-t-il en montrant une jeune femme aux yeux verts et aux cheveux bruns. « Nous sommes les derniers ! »

 

-          « Les derniers ? »

 

-          « Oui, la dernière nouvelle, c’était nous ! » Voyant que Mylène ne comprenait pas. « Le pays des Merveilles ! Non, des Vermeilles ! Je me trompe tout le temps. » Il se mit à rire et à ses côtés, Sophie riait : « Il se trompe tout le temps ». Toute la foule se mit tous à rire.

 

-          « Excusez-moi, excusez-nous. Nous vous embêtons avec nos histoires. Nous voulons voir Thomas, si c’était possible. »

 

-          « Ah, non, ça va pas être possible » Répliqua Mylène. « Là, il donne le bain à la petite et après, c’est le biberon. C’est un moment un peu spécial entre eux deux. »

 

-          « C’est important, c’est très important. Nous devons le voir de toute urgence. » Intervint un homme qui portait une poupée dans ses bras. « Florian ! » se présenta-t-il. « Dark side of the m… » « Ah, comprit Mylène, c’est vous, le …. ». « Oui, oui, c’est moi. » « Désolée, condoléances, je ne sais pas ce qu’on dit dans ces cas là. » « Je vous en prie, je vous en prie. Mais nous devons le voir, c’est très important. »

 

-          « Attendez, si je comprends bien, vous êtes tous…. Vous êtes tous ses personnages. » Devant elle, tout le monde opinait de la tête comme les petits chiens à l’arrière des voitures. « Mais qu’est ce que vous lui voulez ? »

 

-          « On a entendu des bruits. On nous a dit que… »

 

-          « Mais que quoi ? »

 

-          « Que Thomas allait arrêter d’écrire des nouvelles. Qu’il voulait maintenant écrire des livres. » Il prononça « livres » avec beaucoup d’emphase. « D’ailleurs la nouvelle du 1er mai n’a pas paru ! »

 

-          « Ben, oui, il a décidé de faire un break. De se reprendre. Reconnaissez que le feu sacré n’y était plus. Il baissait beaucoup. Ne me dites pas que vous ne l’avez pas remarqué ? Enfin, vous Florian, vous en êtes le symbole. Dark side of the moon, c’est n’importe quoi, c’est totalement glauque. » Tous les personnages reprirent leur mouvement de tête comme si la voiture aux petits chiens à l’arrière venait de freiner brutalement.

 

- « Oui, mais les autres….. » Florian lui montra la foule des personnages et laissa tomber la main de lassitude.

 

Ils passèrent à tour de rôle devant une Mylène abasourdie.  

 

-          « Moi, c’est Gilles, Patricia, Christelle, Jacky et les petits Célia et Kévin, Bonjour. Désolés de vous envahir » « A propos » Intervint Jacky « Vous connaissez celle de la pute qui… » « Jacky ! Tu avais promis ! » « Bon d’accord » et à voix basse « Je vous la raconterai plus tard »

 

-          « Toi, je te connais ! » Mylène montra du doigt une petite fille de 8 ans. « Tu es Thays, plus grande. » La petite fille avec un grand sourire hocha la tête plusieurs fois.

 

-          « Célie et Tim. Ah, et Myriam ! Excusez moi. Est-ce que vous auriez une chaise pour m’asseoir ? Je suis un peu fatiguée. » La jeune femme en effet portait un ventre énorme et semblait sur le point d’accoucher.

 

-          « Audrey et Noémie. Et Valentine, la directrice »

 

-          « Luc, Cynthia, et Sarah » en montrant un bébé qu’il berçait dans les bras

 

-          Un couple de personnes agées flottait bizarrement à 40 cm du sol. « Irène et Gilbert »

 

-          Un homme en chaise roulante poussée par une grande jeune femme aux longs cheveux bruns longs et aux yeux bleus. « Roger et Claire »

 

-          « Edouard Ménard et eux, ce sont les marathoniens ». Un groupe de sportifs sautillait et s’échauffait, s’agitant dans tous les sens.

 

-          « Phil, Monique, Enzo et Alya, du Week-end. »

 

Mylène interrompit le défilé en levant la main. « Bon, attendez. Je vais voir ce que je peux faire. »

 

On entendit un conciliabule et Thomas, un essuie-main encore sur l’épaule s’encadra dans la porte, totalement interloqué. « Mylène m’a dit que vous étiez …. Que vous étiez mes personnages ?

 

-          « Oui, c’est nous ! » entonnèrent tous en chœur tous les personnages.

 

-          « Mais, qu’est-ce que vous me voulez ? »

 

-          « On ne veut pas que vous arrêtiez d’écrire. » Reprirent-ils à l’unisson.

 

-          « Mais, je n’ai pas l’intention d’arrêter. »

 

-          « Si, on nous a dit que vous alliez arrêter les nouvelles. »

 

-          « Oui, c’est vrai, j’avais prévu,….j’ai besoin …. je souhaitais prendre un peu de temps pour écrire un  vrai livre. »

 

-          « Quoi ? » reprirent en chœur tous les personnages en colère. « Nous ne sommes pas des vrais livres. »

 

-          « Ben, heu, si, heu, ce n’est pas de que je voulais dire…..Mais soyons réalistes. Vous n’existez pas. »

 

Il n’aurait pas pu mieux déclencher le tonnerre. Chaque personnage, brusquement très vindicatif hurlait son mécontentement. Roger, du fond de sa chaise roulante, d’une voix plus forte que les autres. « Treize minutes ! Il m’a fait souffrir treize minutes ! Je n’ai plus de jambes et maintenant, c’est pour entendre que je n’existe pas ! » Sa tortionnaire, Claire, acquiesçait bruyamment.

 

Gilles intervient « Si vous n’écrivez plus, plus personne n’ira sur le site. Et nous, nous continuerons à vivre nos morceaux d’histoires, mais plus personne ne nous regardera. Comme des acteurs, condamnés à jouer sans cesse et sans arrêt leur pièce, mais sans spectateurs, sans plus personne pour les regarder. Vous comprenez ? »

 

Valentine s’avança. « Enfin, entre collègues, on doit pouvoir se comprendre. Vous nous avez créé, d’accord, mais maintenant que nous sommes là, vous ne pouvez pas nous gommer et nous supprimer. Ca serait un meurtre, une hécatombe, un génocide….. »

 

Thomas s’énerva.

 

-          « Vous me donnez une idée, là. J’écris une dernière nouvelle, voilà, comme ici, je vous réunis tous et hop, je fais éclater une petite bombe atomique et plus rien. Je vous ai créé, je vous anéantis et plus personne n’y trouve à redire. Alors qu’est ce que vous en dites. Comment ? Je ne vous entends plus ! » Il porte la main à l’oreille pour mieux entendre le silence.

 

Effectivement, tous les personnages, baissaient la tête et ne disaient plus rien.

 

La petite Thays s’avança : « Tu ne peux pas dire ça, Papa. Tu n’as pas le droit. D’accord, tu nous as inventés. D’accord. Mais nos sentiments, nos émotions, nos souffrances, nos joies ? Je ne parle pas que pour moi, mais il a raison, Robert, il a tenu 13 minutes de souffrances horribles. Tu lui dois bien quelque chose. Tu l’as écrit, Robert, mais tu l’as écrit avec tes tripes. Ne me dis pas qu’il te laisse indifférent. Que tu as refermé le livre sans état d’âme. Je te connais, mon petit Papa, ne me le dis pas, je ne te croirais pas ! »

 

 

 

 

-« Bon, on va faire un deal. » Il s’arrêta un moment pour être sûr que tout le monde le suivait et effectivement, il constata que tous les regards étaient pendus à ses lèvres. « J’ai besoin, vraiment besoin de faire un break. C’est vrai que vous m’êtes tous chers, que vous m’avez accompagné pendant un bout de route. Mais je n’ai jamais refermé tous les livres. Je ne fais pas de suite, mais vous vivez éternellement. Vous souffrez éternellement, parfois. Désolé, Robert ». Ledit Robert, d’un geste de la main, sembla dire, pas grave, c’est le jeu ! Et Claire, sa tortionnaire et garde malade, lui posa affectueusement la main sur l’épaule. « J’écrirai de nouveau des nouvelles. Je vous rééditerai, je vous rééditerai tous. Je vous le promets. Mais je ne peux pas tous les mois, recréer encore et encore et encore de nouveaux personnages jusqu’à plus soif. Vous seriez de plus en plus nombreux et aucun d’entre vous ne vivra une vraie vie. Mais que des petits et minuscules bouts de vie. Il faut que je crée de longues histoires. Et vous constaterez qu’à travers mes nouveaux livres, il y aura un peu de chacun d’entre vous et à travers les nouveaux héros, vous reconnaîtrez vos traits. »

 

La tension retombait. Visiblement, même si la décision d’arrêter l’écriture de nouvelles avait du mal à passer, les raisons de Thomas étaient prises en compte et étaient compréhensibles.

 

-« Et j’ai une autre idée. Vous savez, mon Papa écrit aussi sur le site Trente jours pour écrire. Tous les personnages agitèrent la tête. Ils le savaient. « Eh bien, pendant que je vais me consacrer à d’autres formes d’écritures, je vais vous confier à lui. Il va bien s’occuper de vous et il fera vivre le site et vous avec. »

 

Des petites conversations spontanées animaient les petits groupes. On sentait bien que la solution ne semblait qu’un pis aller, mais globalement, elle satisfaisait la plupart des personnages. Et puis, tous avaient en eux la certitude que Thomas reviendrait bientôt à l’écriture de nouvelles. Parce que la nouvelle, hein, quand ça vous tient !

 

Luc sembla résumer le sentiment général en concluant « Bon, d’accord, on vous laisse le temps d’écrire. Mais vous promettez que vous nous garderez une petite place dans votre cœur. »

 

Thomas confirma « Mais bien sûr. Vous en venez de mon cœur. Vous y êtes pour toujours. Comment pourrais-je vous en chasser ? »

 

Les personnages, soulagés, allaient se mettre en route pour quitter le 5 rue de l’Abreuvoir* quand à la grande frayeur de tout le monde, Jacky leva la main pour prendre la parole : «  Heu, pour la bombe atomique, c’est définitivement abandonné, ou est-ce qu’on peut en reparler ? »

 

* Les adresses ont été changées

 

 

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