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Vacances de rêve

Par Pierre Burnet

 

Elle traversait la rue et je la suivais du regard. Démarche féline, balancée, j’appréciais en connaisseur la bascule des fesses. Il n’y a pas à dire, j’aime cette mode des strings qui font de belles fesses rebondies. On a envie d’y mettre la main. Les cheveux blonds voletaient au vent. La poitrine se soulevait régulièrement. Elle était sobrement vêtue d’une robe noire qui lui laissait les bras nus. La petite robe noire, c’est quand même un must. Raffinée, élégante et à la fois, simple et passe-partout, à la fois prude et garce. Elle avait nonchalamment laissé deux boutons du col ouverts et cet interstice semblait laisser entrevoir tout un univers mystérieux.

«  Tu m’écoutes ? »

« Hein ! Bien sûr que je t’écoute. » Je redescendis sur terre. J’étais assis à une terrasse de café et je faisais face à Isabelle. Je la regardais effrontément droit dans les yeux comme pour affirmer mon propos. La silhouette de ma belle passante se dissipait.

« Je ne sais pas. Tu as l’air d’être tout le temps dans la lune. Bon, alors qu’est ce qu’on décide ? C’est oui ou non ? »

J’hésitais. Quelle pouvait bien être la question ? C’était agaçant. Je ne pouvais quand même pas lui avouer que je n’avais pas prêté attention à ce qu’elle me disait parce que je regardais une fille traverser la rue. Je me jetais à l’eau. Au moins cette hésitation aura montré que je pesais ma décision. 

« C’est… C’est oui ! »

Et là, j’ai senti que j’avais dû faire une erreur. Parce que sa réaction a été totalement disproportionnée par rapport à mon attente. Elle s’est brusquement levée et m’a dit « C’est pas vrai, tu acceptes ! C’est trop gentil. Oh, merci beaucoup. Ecoutes, tu n’auras à t’occuper de rien. Je vais tout gérer. Tu es formidable. Je vais tout de suite le dire à maman. Je-m’o-ccu-pe-de-tout.»

Elle en avait les larmes aux yeux. Elle se leva et m’embrassa langoureusement : « J’y vais ! J’ai tellement de choses à préparer. »

Elle s’éloignait. Je pensais que je lui avais fait sacrément plaisir. Mais l’idée me perturbait. Qu’est ce que j’avais pu aussi inconsidérément accepter ?

Toute l’après-midi, pendant que je m’escrimais sur des courbes de vente de produits ménagers, j’échafaudais des supputations. Qu’avais-je accepté ? Avais-je finalement accepté l’idée du mariage ? Cela ne m’emballait pas. Je m’étais fait à cette vie de concubin. A un moment il faut bien régulariser. Cela aura été le moyen de me mettre le pied à l’étrier. Peut être avais-je accepté l’idée d’un bébé ? Cela me réjouissait nettement moins. Cela signifiait la fin de l’indépendance, des voyages, des week-ends impromptus, des beuveries mémorables. Un bébé, ça crie, ça pleure, ça pue. Je soupirais. Il faut bien malgré tout se reproduire un jour. C’est vrai que si c’avait été autre chose, je pense que j’aurais préféré. Une adoption, peut être… J’ai peut-être accepté d’adopter des petits haïtiens. Si seulement, je me souvenais de notre conversation, cela m’aurait mis sur la voie….

Le soir, j’essayais d’en savoir un peu plus. « Tu sais, ma chérie, pour le truc où je t’ai dit d’accord… Heu… ».

« Oh, mon amour, tu as été si adorable. Mais je t’ai dit que je m’occupais de tout. Par contre, petit coquin, tu as bien mérité une récompense. » Et dans la chambre, elle commença un striptease langoureux qui décrivait autour de moi des cercles concentriques de plus en plus petits. Je pense posséder une certaine dose de lâcheté, parce que je crois avoir assez bassement profité de la situation et lui avoir totalement laissé l’initiative pour une nuit que je qualifierai après coup, d’inoubliable.

Dès le réveil, je repensais à mon problème. Qu’avais-je pu accepter ? Le mariage ? Le  bébé ? Je me souvenais. Elle avait dit « Je vais tout de suite le dire à maman ! ». Et si c’était…Oh, je n’osais l’imaginer, mais plus j’y pensais, plus c’était certainement cela. Oui, tout collait. Il ne pouvait pas y avoir d’erreur. J’avais du accepter de passer nos vacances d’été avec ses parents. Oh, l’horreur… C’était terrible… Je ne pouvais pas supporter ses parents. Encore, son père, j’y arrivais. Si nous nous évitions constamment du matin jusqu’au soir, et que nous ne discutions jamais ensemble, je pouvais me débrouiller pour survivre. Je fis un rapide calcul. Ils se levaient à 7h du matin. Si je faisais une grasse matinée jusqu’à midi, et que le soir, nous finissions en boite, c’était jouable. Mais par contre, sa mère… Déjà au bout de deux heures, j’avais envie de la fracasser contre un mur, alors un mois entier ! Un mois ! Il y aura un meurtre au bout de trois jours.

J’en eus la quasi confirmation dans la journée, pendant que je m’apprêtais à assister à la troisième réunion de la journée, celle-ci portant sur le taux de renouvellement des lave-linge dans la cible des CSP+ 30 à 50 ans. Je me pressais dans les couloirs, pour ne pas arriver en retard, quand j’ai entendu crier mon nom : « Bernard !». Le chef du personnel m’avait aperçu au passage et me cueillait au vol. «J’ai eu votre compagne au téléphone ce matin. Cela ne nous arrange pas, mais c’est d’accord pour vos congés. Je viens de les faire valider par la direction». J’aurais bien aimé trouver une ouverture pour m’attarder un peu et en savoir un peu plus, mais il y avait la réunion qui commençait et je n’arrivais pas à trouver la façon d’expliquer que j’ignorais ce que j’avais été supposé solliciter. Je remerciais donc sobrement : « Super gentil, merci beaucoup, monsieur Michaud ».

Donc, cela portait bien sur les vacances. Mes soupçons se confirmaient.

La situation se compliqua en fin d’après midi avec le coup de fil de mon banquier. Je ne sais pas vous, mais moi, quand mon banquier m’appelle, c’est rarement pour parler du temps qu’il fait. Un découvert qui s’éternise. Un virement qui devait arriver et qui a du retard. Donc au moment où le gars a dit : « Monsieur Pichon, c’est Joel Pedretti de la Banque Régionale de l’Essonne. » J’ai bredouillé et fait celui qui courbait le dos devant l’orage. Si bien qu’il m’a cueilli à froid quand il m’a demandé : « J’ai eu mademoiselle Grandin, au téléphone pour la modification. Nous avons bien votre aval ? ». Et bien que satisfait de ne pas me faire relancer sur la couleur rouge de mon découvert, j’ai bredouillé un « Bien sûr, bien sûr. » Sur quoi, il raccrocha en m’assurant que le nécessaire serait fait dans les meilleurs délais.

Quel nécessaire ? La plaisanterie commençait à devenir lourde. Visiblement, nous allions passer nos vacances avec mes beaux parents, sur une durée qui frisait l’indécence et en mettant à sec tous nos comptes bancaires. Il fallait que je mette les pieds dans le plat. Je décidais de cuisiner la meilleure amie d’Isabelle, Marie-Jo. Il n’était pas pensable que ces deux-là qui passaient de longues heures au téléphone tous les jours n’aient pas communiqué sur ce point précis. J’appelais Marie-Jo et je lui proposais de prendre un verre à la sortie du boulot. Nous travaillions tous deux à La Défense et nos horaires n’étaient pas si distants.

Lorsque nous fûmes attablés devant une bière et un diabolo fraise, j’abordais le problème avec beaucoup d’aplomb. « Voilà, Marie Jo, j’ai accepté un truc avec Isabelle et je ne me souviens pas de quoi. Je fais appel à la bonne amie, pour que tu me rafraîchisses la mémoire.» C’était clair, sobre et j’étais content de ma mise en situation. Marie Jo se redressa, me regarda comme si j’étais un débile profond, puis dit « Bien, c’est évident, vous allez…» Elle me regarda de nouveau et éclata de rire. « Oh toi alors ! Dire que j’ai failli marcher. Et tu m’as demandé tout ça avec un tel sérieux. J’ai failli m’y laisser prendre. Tu es vraiment impayable. Tu me demandes ça comme ça. Ecoutes, pendant quelques instants, j’y ai vraiment cru. Tu es trop fort. » Elle riait, riait et moi, je reprenais une contenance. C’était raté. Et c’était bigrement dommage, parce qu’en partant, elle m’a avoué : « Ecoute, tu es vraiment quelqu’un d’exceptionnel. Moi, je n’aurais jamais pu convaincre Robert. Ja-mais ! Tu es vraiment super ! » Je pris la tête de quelqu’un de super, mais je repris le RER avec un mal de crâne qui montait.

Impossible d’aborder à nouveau le problème avec Isabelle. Chaque fois que je faisais une tentative, comme par exemple : « Surtout, pour le truc que tu sais, si tu as besoin d’aide, que je fasse quelque chose…», elle battait en brèche. « Non, mon amour, je t’ai dit que je prenais tout en main. Tu es trop chou, tu sais ! » J’ai tenté plusieurs pistes. « Monsieur Michaud, le chef du personnel m’a dit que pour les congés, c’était d’accord. Qu’est ce qu’on avait décidé, déjà ? » Au lieu de me répondre, elle a eu l’air de cocher mentalement une croix sur une liste. « Bon, c’est bien, il a confirmé. De toutes façons, déjà au téléphone, il m’avait laissé entendre que comme ça avait vraiment une grande importance pour nous deux, la réponse serait probablement positive. » Ou quand j’ai tenté un « Pedretti, tu sais le banquier, il m’a demandé confirmation pour le truc… ». Elle a rétorqué sèchement : « Il faut vraiment que tu changes de banque, il est d’un pénible, celui-là. » Et elle changea de sujet : « Marie-Jo m’a dit que tu l’avais mise en boite. Pendant un moment, elle t’a cru, tu sais. Elle m’a raconté la tête que tu avais faite, pince sans rire, c’était d’un drôle ! Impayable ! ». J’ai eu un peu l’air fuyant pendant quelques instants.

Le lendemain, j’avais une journée chargée. J’accompagnais un commercial lors d’une réunion d’achat d’hypermarché. J’avais horreur de ces négociations. Il fallait évaluer combien l’hypermarché était susceptible de vendre de réfrigérateurs, de lave linge, de cuisinières. Puis à la fois s’extasier devant l’importance des chiffres et se battre pied à pied pour accorder le moins de remises possibles, de participation aux catalogues, de soutien logistique, de délai de règlement. Je préférais beaucoup plus les négociations avec les autres centrales d’achat. D’habitude, c’était Morin, qui s’occupait des hypermarchés, mais il était souffrant, ce jour-là.

Souffrant… La voilà, la solution. Souffrant. Il fallait que je tombe malade. Plus de belle mère, plus de beau père et si je m’y prenais bien, avec une bonne maladie, le remboursement de tous les frais de voyage par l’assurance assistance de la boite. Je n’avais plus à me faire de soucis. Il fallait juste que je me trouve une bonne petite maladie de derrière les fagots et mon problème était réglé.

Je devais connaître la date exacte du départ. Je me payais de culot et j’appelais les parents d’Isabelle. Je tombais sur la belle-doche : « Madame Grandin, c’est Bernard, j’ai un problème avec mon agenda, je ne le retrouve plus. Quand est-ce que vous partez en vacances, déjà ? ». Dans la graduation, « monsieur, madame », puis « Marguerite et Pierre », puis « Comment vas-tu ? », je n’en étais resté qu’au premier stade et cela m’allait très bien. Elle me répondit assez sèchement. « Enfin, Bernard, vous le savez bien, nous partons le 1er juin, comme vous d’ailleurs ! » Je remerciais. J’avais le renseignement et la confirmation. Je restais sidéré que ma boite ait pu m’accorder de telles dates de vacances. La période des soldes démarrait à la fin du mois et notre activité restait très soutenue jusqu’à fin juin. Ensuite, cela devenait plus calme, car c’est chez nos distributeurs qu’était l’affluence. Isabelle avait du déployer des trésors d’ingéniosité pour me faire accorder un départ le 1er juin. J’étais d’ailleurs assez bon juge de sa formidable capacité à convaincre.

 Nous étions début mai, il me restait 4 petites semaines pour trouver une maladie crédible. En effet, je ne pouvais pas me permettre une petite gripette, une angine qui ne m’aurait retiré de la circulation que quelques jours et qui m’aurait précipité ensuite pour ma convalescence auprès de mes beaux parents. Non, il fallait une maladie de premier plan, qui exige la quarantaine et qui laisse planer des risques de contagion.

La grippe aviaire sévissait encore. A mes moments perdus, je ralliais Roissy et je portais toute mon attention aux vols en provenance d’Asie. Dès qu’un vol apparaissait de Thaïlande, du Laos, d’Indonésie, je me précipitais aux arrivées et j’observais les passagers. Si l’un d’entre eux portait un petit masque blanc, je bondissais sur lui : « Mon oncle », « Ma tante » selon le cas et je l’embrassais, puis après avoir soulevé le petit masque blanc et prétexté une confusion, je retournais attendre sagement le prochain voyageur alité. Après une dizaine de jours, une cinquantaine de vols attendus et plus d’une centaine d’asiatiques maladifs embrassés, je me portais toujours comme un charme. Je crus plus sage d’abandonner cette piste, d’autant plus que j’avais vraisemblablement attiré sur moi l’attention des services de sécurité de l’aéroport avec mes agissements, car ils me suivaient maintenant assez ostensiblement. Avant d’abandonner totalement la possibilité de contracter la grippe aviaire, je visitais les deux élevages de volatiles de la région parisienne, mais les normes sanitaires étaient tellement strictes qu’il n’y avait aucune chance que j’attrape quoi que ce soit.

Si seulement, il pouvait y avoir une petite épidémie. Je traînais quelques jours près des grands hôpitaux et dès que j’en avais l’occasion, je me précipitais sur les poubelles qui contenaient les déchets médicaux. Je soulevais le couvercle et je respirais à pleins poumons. Mais, malgré tous mes efforts, je n’arrivais pas à tomber malade. Le temps passait et mon angoisse montait.

Le départ avait lieu dans deux jours. Deux jours ! Le compte à rebours arrivait à son terme. Aucune maladie n’avait pu se profiler à l’horizon. Il fallait maintenant passer la vitesse au dessus : l’accident. Un accident assez grave pour m’empêcher de partir.

Si je me faisais une entorse, une luxation, je resterais bandé ou plâtré et Isabelle n’accepterait pas de surseoir aux vacances. Il fallait du sérieux.

Je décidai d’opter pour un accident de la circulation. Si je me faisais renverser, une jambe ou un bras cassé pourrait probablement me retirer du circuit une bonne semaine, puis, avec la rééducation, cela ferait au total 3 ou 4 semaines. C’était jouable.

Je portai mon dévolu sur un morceau de la rue Etienne Marcel qui avait l’avantage d’être à sens unique avec un contresens pour les autobus. Je prétexterai par la suite n’avoir pas fait attention à ce contresens. Je choisis soigneusement mon autobus, puis au moment opportun, je traversai juste devant.

J’eus juste le temps d’entendre : « Attention, l’autob… », puis un grand vacarme et puis plus rien. J’avais dû perdre connaissance.

Je me réveillais le lendemain, plâtré sur toute la surface du corps avec une Isabelle en larmes à mes côtés. Je n’éprouvais aucune douleur. Je pense que l’on m’administrait de la morphine. J’arrivais à bouger la tête de gauche à droite et de droite à gauche. J’avais un bras et une jambe également plâtrés. J’entendais Isabelle et Marie Jo : « Il s’en faisait une telle joie. J’ai été obligée de tout annuler.» Je pensais en moi-même que j’étais très loin de m’en faire une « telle joie ».

Elle posa les documents qu’elle tenait sur le plâtre de mon torse et m’embrassa. « Mon chéri, comme tu m’as fait peur. Est-ce que tu as mal ? Ne t’inquiète pas. Nous allons te tenir compagnie tous les jours. Maman et Papa ont promis qu’ils viendraient tous les après-midi pendant que je travaille.

En louchant et en tirant sur le cou, je réussis à lire les papiers qu’elle avait oubliés sur ma poitrine. Je m’étais trompé sur toute la ligne.

Cloué sur mon lit d’hôpital, je constatais avec effarement que je venais de mettre un terme à un périple amoureux de trois mois dans les îles polynésiennes. Je me rappelais soudain et un peu tardivement que l’un des cousins d’Isabelle avait ouvert une agence touristique et qu’il cherchait des couples pour tester une nouvelle formule paradisiaque pour une clientèle très fortunée et qui ne nous aurait exceptionnellement coûté que le prix des deux billets d’avion. Foutues vacances !

FIN

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