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Psychose

 

 

Par Thomas Burnet

 

 

 

« Je lui ai dit à quelle heure je fermais ? Ah oui ! Je lui ai dit… Oh, ça lui laisse tout de même plus de deux heures pour retourner chez lui, prendre sa carte bleue et revenir… Il ne devrait pas trop tarder. »

 

Gisèle pensait à haute voix, seule, dans son bureau de poste de Contres, au cœur du Loir et Cher. Un jeune homme venait de sortir. Il avait souhaité envoyer un paquet dans le nord, mais s’était aperçu, au moment de payer, qu’il avait oublié son portefeuille chez lui. Gisèle n’avait jamais été informée de la procédure à suivre si un client lui demandait de garder son paquet le temps d’aller chercher de quoi payer. Ca lui paraissait être la moindre des choses d’accepter, mais elle savait bien qu’entre le savoir-vivre et les règles de l’entreprise, il y avait tout un monde. Dans le doute, elle avait accepté de le garder ; il devait juste aller chercher sa carte bleue chez lui et revenir.

 

Une demi-heure passa rapidement. Absorbée dans ses tâches – servir les quelques clients présents en ce début d’après-midi, ranger les paquets non-distribués, et afficher les nouveaux carnets de timbres – Gisèle n’y avait plus pensé. Mais lorsque la cloche de l’église sonna trois heures, elle se dit que, décidemment, ce jeune homme mettait du temps à rapporter sa carte bleue.

 

Elle s’interrogea à voix haute : « Avait-il dit où il vivait ? Non. Peut-être qu’il est de Contres même ? Non, il serait déjà revenu. » Elle ne l’avait jamais vu auparavant. « J’espère qu’il ne va pas tarder, ajouta-t-elle comme si elle parlait à un invisible collègue, parce que moi je dois filer rapidement ce soir ! »

 

Mme Duron poussa la lourde porte du bureau. Cette vieille dame venait une fois par semaine pour poster une participation à une énième loterie commerciale. Cette fois-ci, elle jouait pour un ensemble vidéo. « Ca fera tellement plaisir à mon petit-fils pour son anniversaire », déclara-t-elle, le sourire aux lèvres, en confiant sa lettre à Gisèle. Alors qu’elle tamponnait la lettre, la guichetière lui demanda si, au cours de sa ballade quotidienne dans Contres, elle avait croisé un jeune homme brun habillé d’un pantalon gris et d’un T-shirt rouge. Mme Duron ne l’avait pas vu, mais Gisèle lui raconta tout de même son histoire. Mme Duron répondit, philosophe : « Il n’est que trois heures dix, il a bien le temps de revenir. Il avait peut-être d’autres courses à faire. » Gisèle acquiesça.

 

Pendant que Mme Duron tirait avec effort la porte, Gisèle se pencha vers le paquet qu’elle avait posé par terre et le prit. C’était un paquet carré, de taille moyenne, mais assez lourd. Elle le pesa par curiosité, mais un nouveau client arriva et elle eut juste le temps de se demander ce qui pouvait peser neuf kilos trois cent soixante.

 

Les clients se succédèrent jusqu’à trois heures trente-deux. Elle avait reparlé du jeune homme à trois autres habitués, mais aucun d’eux ne l’avait vu, et chacun trouvait étrange qu’il ne soit pas encore revenu. Elle profita de sa solitude pour reprendre l’observation minutieuse du paquet : il était sacrément bien réalisé, le papier d’emballage était soigneusement plié et solidement scotché ; il lui était impossible de voir le contenu, ni même de le deviner. Elle le souleva, hésita une seconde, approcha son oreille puis donna une légère secousse, mais elle n’entendit rien de particulier : un contenu de paquet normal qu’on secoue. Le papier était vierge de toute adresse, car le jeune homme s’était souvenu qu’il avait oublié son portefeuille au moment où elle lui donné le formulaire d’envoi de colis. Elle ne savait donc même pas à qui il était adressé.

 

« Pfffff ! Qu’est-ce qui m’a pris d’accepter ?! Je fais quoi moi s’il n’est pas revenu à cinq heures moins le quart le garçon ? Ca va encore me rapporter des ennuis cette histoire-là ! Comme la fois où j’ai voulu faire crédit à la cousine de Thérèse et l’autre où j’ai fait un prix de gros à une femme qui venait acheter deux cents timbres … Si je dois encore être convoquée à Blois pour me faire sermonner, je vais finir à la porte moi ! » Ses yeux roulèrent, montrant un agacement contenu, et sa bouche dessina une moue dubitative. Elle soupira avant d’ajouter pour elle-même : « Les filles ne vont pas pouvoir m’attendre bien longtemps… Je dois partir à cinq heures ! »

 

A quinze heures trente-cinq, Henri passa pour la levée du courrier. Celle-ci ne devait être faite qu’à quatre heures moins le quart, mais comme souvent, Henri venait en avance pour prendre des nouvelles. Henri était veuf depuis deux ans, et depuis deux ans, il avait ressenti le besoin de passer du temps à parler avec des femmes. Il avait donc son réseau de substituts et dans l’après-midi, il conversait avec les différentes guichetières des bureaux de l’arrondissement. A quinze heures quinze, c’était Monique à Cour-Cheverny, à quinze heures trente-cinq, c’était Gisèle à Contres, et à seize heures, c’était Françoise à Candé-sur-Beuvron. Bien sûr, il y en avait d’autres, mais ces trois-là étaient ses préférées.

 

Gisèle commença bien sûr par lui raconter son histoire et lui montra le paquet orphelin. Henri partagea son inquiétude, mais trouva aussi le moyen de l’amplifier. Il évoqua la possibilité d’un colis piégé.

 

« La dernière fois que je suis allé à l’aéroport, lorsque ma chère Marthe était encore là, il y avait un sac que quelqu’un avait laissé sous un siège. Les policiers l’ont fait exploser de peur que ce ne soit une bombe. Il y a des gens qui font ça : ils déposent des paquets ou des sacs et s’en vont avant qu’ils n’explosent. C’est comme les terroristes du 11 septembre. »

 

Gisèle regarda soudain le colis d’un œil différent, comme si elle avait devant elle une bombe à retardement.

 

 - Oh, tout de même… Ce serait bien étrange que le jeune homme choisisse le bureau de poste de Contres pour faire son attentat. S’ils veulent qu’on parle d’eux, il faut faire ça dans une grande ville, Blois, Orléans, Tours ou même plutôt Paris tiens !

 

- Sauf qu’à Paris, aucune gourde ne leur aurait pris leur paquet !!! Il n’y a que dans les petits villages de province qu’on fait encore confiance aux gens.

 

Henri laissa une pause, avant de reprendre, plus bas : est-ce qu’il était… ? Il finit sa phrase en passant la main devant son visage de bas en haut, plusieurs fois de suite.

 

- Non, il était blanc.

 

- Il n’était pas… de… « là-bas » ?

 

- Non… enfin… je ne sais plus. Il était brun… J’ai un doute tout d’un coup. Pourquoi ? Tu crois que ça pourrait être un des terroristes que tu disais ?

 

- Oui, un de chez Al-Qaïda ! On ne sait jamais. C’est tellement surveillé dans les grandes villes qu’ils pourraient vouloir s’en prendre à nous !

 

La panique grandit dans les yeux de Gisèle.

 

- Que faut-il que je fasse selon toi ?

 

- Appelle la gendarmerie et demande-leur. Ils sauront sûrement mieux que moi te renseigner.

 

- Si la gendarmerie se déplace, je devrais avertir Blois… Ce coup-ci, je vais vraiment perdre mon poste. Crois-moi Henri, c’est bientôt fichu pour moi !!!

 

Elle porta la main à son front et soupira bruyamment, avant de reprendre : mais qu’est-ce qui m’a pris de lui garder son paquet ?! Alala Henri ! Je suis toujours trop gentille : je veux toujours arranger tout le monde et ça me retombe sur le coin du nez…

 

- Ca, je te le dis tous les jours Gisèle : tu dois arrêter de croire que les gens ne peuvent pas mentir… Les gens mentent et sois-en sûre, ils font bien pire !!!

 

L’horloge indiqua quatre heures moins le quart et Henri laissa Gisèle avec une angoisse supplémentaire et deux nouveaux clients. Il ne restait au jeune homme qu’une heure pour arriver et soulager Gisèle de son fardeau. Avant de s’occuper de ses clients, elle s’excusa et passa dans le bureau pour se servir un verre d’eau, et surtout essayer de digérer ce que venait de lui dire Henri.

 

Elle n’en revenait pas : si elle avait eu deux sous de jugeote, elle n’aurait pas accepté de garder le colis et pourrait penser tranquillement à la réunion Tupperware à laquelle elle avait été conviée, chez Myriam, avec Béatrice et Roselyne. Au lieu de ça, elle s’inquiétait pour sa vie et pour son emploi.

Henri avait raison : les gendarmes sauraient quoi faire. Mais n’était-elle pas tenue de signaler au bureau de Blois tous les incidents significatifs ? Et même si elle ne faisait pas de déclaration d’incident, le bureau de Blois finirait par être au courant… Tout se sait ! Elle avala d’un trait son verre d’eau, s’essuya les lèvres avec un mouchoir et revint au guichet.

 

Son inquiétude était devenue telle qu’elle se trompa de timbres pour le premier client et qu’elle oublia la virgule pour le règlement par carte bleue pour le second. Elle s’excusa, essaya de se reprendre, mais le paquet lui revenait toujours à l’esprit. Ce paquet vierge, marron, qui pouvait renfermer la nouvelle arme super destructrice mise au point par les arabes qui veulent détruire le monde. Elle enchaîna d’autres étourderies, et jetait un regard plein d’espoir à chaque fois que quelqu’un poussait la lourde porte de son bureau de province.

 

A seize heures douze, le téléphone sonna. Elle sursauta, avant de décrocher, le cœur battant la chamade. C’était Françoise, du bureau de Candé-sur-Beuvron. Henri l’avait mise au courant de la situation, et elle venait aux nouvelles.

 

- Pour le moment, il n’est toujours pas revenu.

 

- Tu as déjà appelé les gendarmes ?

 

- Non, pas encore.

 

- Il ne faudrait pas que tu tardes. Tu fermes dans peu de temps.

 

- Mais justement, rétorqua Gisèle en haussant la voix, imagine qu’il arrive après les gendarmes et qu’il soit en colère parce que j’ai fait détruire son paquet.

 

- Ca t’apporterait sûrement de nouveaux problèmes avec Blois, mais il n’avait qu’à pas mettre deux heures pour venir s’en occuper de son paquet ! Oh ! Je dois te laisser, quelqu’un vient d’arriver. Tu me tiens au courant ?

 

- Ne t’inquiètes pas, tu en entendras sûrement parler !

 

- Salut !

 

            L’appel de Françoise laissa Gisèle songeuse. Elle reprit ses esprit pour retrouver le paquet qu’un mari venait chercher au nom de sa femme, puis attrapa le téléphone. Comment appeler la gendarmerie ? Fallait-il faire le 17 ? Ce n’était pas vraiment une « urgence vitale », du moins si le paquet n’était pas piégé ; et ce n’était pas le meilleur moyen pour éviter d’attirer les regards sur elle. Elle ne souhaitait ni créer la panique, ni se faire remarquer. Mais elle n’avait pas non plus envie de mourir aujourd’hui ! Il devait sûrement y avoir un numéro pour contacter la gendarmerie, comme un service de renseignement, mais réalisé par les gendarmes. Elle attrapa le bottin dans le tiroir et se mit à la recherche d’un numéro qu’elle trouva assez rapidement, à la page « Commissariat de police ». Elle n’avait pas beaucoup de choix : Blois, Orléans ou Tours… Elle commença à composer le numéro de Blois, et alors que son doigt frôlait la touche du quatre, elle s’immobilisa. Et si tout s’emballait ? Et si les gendarmes débarquaient dans dix minutes pour faire exploser le paquet ? Et s’il fallait qu’ils appellent Chantal à Blois pour lui en parler ? Si l’affaire faisait la Une de la République du Centre jeudi prochain ? Il fallait appeler anonymement, comme pour un renseignement… Dire qu’on avait entendu parler de… Et qu’on voulait savoir quoi faire dans ces cas-là…

 

Le téléphone sonnait maintenant occupé… Elle le posa, le reprit, mais un client entra à cet instant. Elle raccrocha aussitôt, et s’occupa de l’envoi et des chèques à encaisser. Deux autres clients entrèrent à sa suite. Toujours pas le jeune homme.

 

Elle eut ensuite un nouveau répit et jeta un coup d’œil à l’horloge : seize heure vingt-cinq. Plus que vingt minutes. Sans réfléchir, elle décrocha le téléphone, composa le numéro de téléphone du commissariat de Tours – tant qu’à se faire passer pour quelqu’un d’autre, autant appeler dans une grande ville pour être sûre que sa combine fonctionne.

 

- Commissariat de police de Tours, j’écoute ?

 

- Bon… Bonjour. Je vous appelais pour un renseignement.

 

- Je vous écoute madame.

 

- Voilà, je suis guichetière au bureau de Poste de Blois et ma chef de centre m’a demandée de vous appeler car il y a eu le cas à Nantes d’un employé qui avait accepté de garder un paquet en attente de paiement, mais le client n’est jamais venu. Avec toutes ces histoires de colis qu’on fait exploser dans les aéroports, on se demandait s’il fallait contacter la police.

 

- Tout dépend du paquet madame. S’il est suspect, oui, il faut nous appeler de suite, mais si c’est une lettre ou un colis qui ne vous semble pas dangereux, ou quelqu’un que vous connaissez bien, vous pouvez attendre un peu. Toutefois, si jamais la personne ne revenait pas à la fin de la journée, il ne faut surtout pas l’ouvrir et il faut nous appeler.

 

- Pourquoi ne faut-il pas l’ouvrir ?

 

- Une simple lettre peut contenir une poudre hautement dangereuse, comme de l’Anthrax. C’est une arme bactériologique.

 

- Ah très bien. Je… je vais transmettre ces informations à ma chef de centre. Merci beaucoup madame.

 

- Je vous en prie. Bonne fin de journée.

 

- Au revoir.

 

            De la poudre dangereuse… Dans une simple lettre… Si Al-Kebab était capable de piéger de petites lettres avec de l’Entracte, qui sait ce qu’il pouvait mettre dans un colis de neuf kilos et quelques. Il était presque seize heures trente et il ne restait qu’un quart d’heure avant la fermeture du bureau. La policière avait été claire : si jamais il n’était pas là en fin de journée, il fallait les appeler. Mais elle ne pouvait pas appeler la police sans passer par Chantal à Blois. Elle se voyait déjà, le soir même, annoncer à Jacques qu’elle était licenciée. Elle ne gagnait pas gros, mais sans son salaire, ils allaient avoir du mal à payer le studio de Marc à Orléans. Il allait falloir faire une réunion de famille ce week-end, annoncer la triste nouvelle à la famille, que Marc trouve un emploi. Pour la réunion de ce soir, c’était râpé aussi ! Si elle perdait son emploi, ce n’était pas le moment de renouveler son stock de boites. C’est dommage, ils avaient une promotion sur la nouvelle génération de boites, celles faites dans un nouveau matériau révolutionnaire, mis au point par les américains de la NASAL, ceux qui vont dans l’espace.

 

            Elle regardait, morbide, son bureau lorsque la lourde porte bougea. Elle ne leva pas tout de suite les yeux, mais réagit de suite au « Bonjour » que lança l’homme qui venait d’entrer. C’était son Jacques !

 

- Bonjour Madame, je voudrais envoyer une carte pour faire une surprise à ma femme !

 

- Oh ! Jacques, c’est toi. Ca me fait plaisir de te voir.

 

Il déposa une carte en forme de cœur sur le guichet. A la place de l’adresse, il avait écrit :

 

Pour la femme de mon cœur, Gisèle Bordier

Bureau de Poste de Contres

41700 CONTRES

 

Le timbre était lui aussi en forme de cœur, et il y avait une fausse oblitération, provenant du bureau de poste de l’amour, daté du jour de leur anniversaire de mariage, trois semaines plus tard.

 

- C’est un peu en avance, mais tu comprendras lorsque tu l’ouvriras.

 

            Ce Jacques… Toujours si attentionné ! Toujours si romantique ! Ca lui faisait de la peine de devoir lui annoncer qu’il faudrait sûrement rendre ce cadeau en raison de son futur licenciement. Elle ouvrit l’enveloppe et en sortit deux places pour le concert de Franck Mickaël du lendemain soir.

 

- Mais… Je croyais qu’il était complet ?!

 

- Oui, il l’était… mais j’ai trouvé quelqu’un sur Internet qui ne voulait plus y aller… Donc demain soir, nous allons chanter et valser à Tours ma chérie !

 

D’un coup, les larmes vinrent au visage de Gisèle. Jacques vit que ce n’étaient pas des larmes de joie.

 

- Mais... Que se passe-t-il ma chérie ?

 

- On ne va pas pouvoir s’en sortir !!!

 

- Comment ça ?

 

Elle montra le paquet orphelin et expliqua en pleurant : parce que j’ai pris ce paquet au monsieur qui devait aller chercher sa carte bleue pour payer et qu’il n’est pas revenu et que c’est peut-être un terroriste d’Al-Kebab qui veut nous empoissonner avec quelque chose de plus fort que l’Entracte. Je dois appeler la police s’il n’est pas venu dans cinq minutes mais je dois appeler Chantal à Blois avant et je vais sûrement être mise à la porte parce que je ne fais que des bêtises !

 

- Calme-toi ma chérie. C’est ce paquet qui pose problème ?

 

- Oui.

 

- Je suis sûre que Chantal se montrera compréhensive.

 

- Elle m’avait dit la dernière fois qu’il ne fallait pas que je me fasse encore remarquer en faisant d’autres âneries. Elle ne m’aime pas et je suis sûre qu’elle attend que je fasse encore quelque chose de travers pour me renvoyer.

 

Elle renifla un peu, attrapa un mouchoir et se moucha bruyamment, avant de reprendre : On ne pourra plus payer le studio de Marc et on devra prendre dans nos économies de retraites à cause de moi.

 

- Ne t’inquiète pas ma chérie… On se débrouillera. Il se pencha par-dessus le comptoir et la réconforta comme il put.

 

- Ou alors, tu pourrais…

 

- Quoi donc ?

 

- Tu pourrais prendre le paquet et le déposer quelque part dans la campagne.

 

- Et s’il est vraiment dangereux, qu’il explose et qu’il tue des gens ou qu’il empoisonne l’eau ? Et s’il est inoffensif, que le jeune homme revient et qu’il ne trouve plus son paquet ? Tu peux être sûr que Chantal te tombera dessus. Non, chérie, il faut que tu appelles la police à la fermeture. Et puis te licencier parce que tu as accepté un paquet non payé, ce serait vraiment gonflé…

 

- Tu restes là ?

 

- Je dois y aller chérie, j’ai mon rendez-vous chez l’ophtalmo dans vingt minutes à Blois, ça fait six mois que je l’ai pris. Tu me racontes tout ce soir et puis on verra comment aura réagi Chantal. D’abord tu l’appelles et ensuite tu préviendras la police. Je suis sûr que tout se passera bien.

 

Il l’embrassa une dernière fois avant de repasser la porte. Il la tint pour un client qui arrivait. Il interrogea Gisèle du regard, mais elle lui répondit négativement de la tête.

 

            Un colis, un autre ! Qu’il ne me demande pas de le lui garder celui-là, sinon, il va se prendre mon pied au derrière et l’autre colis dans la figure… Quitte à être licenciée, autant bien le mériter.

 

            Le client paya en espèces pour l’envoi de son colis et repartit. Gisèle consulta la pendule : plus que quatre minutes… C’était jeudi. Il n’y avait jamais grand monde le soir, le jeudi. S’il y avait beaucoup de clients, elle aurait eu un prétexte tout trouvé pour rester ouverte plus tard, mais il n’y avait pas un chat. Elle restait là, avec ce paquet empoisonné dans les bras. Ce paquet qui pouvait soit la tuer, soit la mettre au chômage… Parce que réellement, soit elle signalait le paquet au commissariat et ça passait par Chantal, soit elle ne disait rien et c’est cette cruche de Sylviane qui le ferait à l’ouverture, demain matin… soit, enfin, elle ne disait rien, le paquet explosait dans la nuit ou répandait du gaz d’Entracte et là encore, adieu à son poste… Seize heures quarante-quatre…

 

            Quelques secondes la séparaient de ce destin affreux.

 

            « Quelle cruche ! Non mais je te jure, quelle cruche d’avoir dit oui ! Le prochain qui me demande un service peut aller se brosser, ça c’est sûr ! On ne m’y reprendra plus, ah ça non ! »

 

            Seize heures quarante-cinq.

 

            D’un geste là, elle appuya sur le bouton de verrouillage de la porte. Que faire ? Vérifier la caisse d’abord ou se saborder ? Oh ! De toute façon, je vais perdre mon travail, alors ils n’ont qu’à trouver une autre cruche pour faire leur satanée caisse !

 

            Elle prit le téléphone à contrecœur et appuya sur la touche 2. « Ca, c’est sûr ! La gentille Gisèle, elle n’existe plus… La bonne poire, c’est fini ! » Le numéro de la poste de Blois se composa automatiquement et elle entendit la tonalité. C’est alors qu’elle vit une ombre approcher de la porte extérieure. Elle fut terriblement déçue lorsqu’elle vit une jeune femme. Elle vérifiait les horaires, mit sa main sur la vitre pour essayer de voir à l’intérieur, puis se retourna et fit non de la tête à quelqu’un derrière elle.

 

            « Allô, bureau de poste de Blois, Bonjour.

 

- Allô, c’est…

 

C’était lui ! Il venait de rejoindre la jeune femme et collait lui aussi sa main contre la vitre pour voir à l’intérieur. Gisèle comprit alors pourquoi il n’était venu plus tôt…

 

- Qui est à l’appareil ? Allô ?

 

Elle déverrouilla la porte, ce qui fit sursauter le jeune homme. Il la poussa, dubitatif.

 

- Ben, c’est le numéro de Contres qui s’affiche. C’est toi Gisèle ? Gisèle ?

 

Elle raccrocha.

 

- Merci de m’avoir ouvert. Excusez-moi d’avoir mis tant de temps, mais je suis tombé en sortant de chez moi et je me suis cassé le poignet, d’où mon plâtre ! Vous avez toujours mon colis ?

Gisèle rigola malgré elle. Il n’y avait pas plus d’Entracte que d’Al-Kebab ! Il s’était cassé le poignet ! Elle n’allait pas être licenciée, Marc pourrait continuer sa vie insouciante d’étudiant, elle irait voir Franck Michaël le lendemain et elle pourrait aller à sa réunion Tupperware avec les filles !

 

- Votre colis ? Elle fit mine de chercher, puis de se rappeler : Mais oui bien sûr, votre colis. Oh ! Ca m’était complètement sorti de la tête ! Alors, je le pèse… Neuf kilos trois cent soixante, ça nous fera quatorze euros soixante-seize. Par carte bleue, je suppose ?

 

- Oui, en effet.

 

Alors qu’il composait son code rapidement, elle profitait de la vague de joie qui l’avait envahie.

 

- Voilà votre ticket monsieur.

 

- Merci madame, et merci encore de m’avoir encore ouvert.

 

- Oh ce n’est rien. Je venais tout juste de verrouiller la porte. Bon rétablissement.

 

- Merci beaucoup. Bonne fin de journée madame.

 

- Bonne fin de journée à vous aussi monsieur.

 

            Un sourire radieux s’étendit sur son visage. Elle aurait pu sauter de joie la Gisèle. Elle aurait pu grimper sur son guichet et se déhancher comme ces jeunes qu’on voit à la télé. Elle aurait pu hurler de bonheur et lancer en l’air les formulaires de Recommandé, tels des confettis de carnaval. Elle se sentait tellement heureuse. Qu’elle avait été sotte de croire qu’on pouvait la licencier parce qu’elle avait gardé un paquet non payé. Et cette histoire de colis piégé… Alala ! Elle ne devrait pas croire toutes les sornettes qu’on lui raconte…

 

            Le téléphone sonna. Elle était tellement euphorique qu’elle décrocha en lançant un « La vie est belle, bureau de poste de Contres, bonjour. »

 

- Gisèle ? Qu’est-ce qui vous prend de décrocher ainsi ?

 

- Madame Lorignac ? Ah c’est vous ?

 

            Le fait d’entendre la voix grave et froide de Chantal lui plomba sa bonne humeur.

 

- Est-ce vous qui avez appelé à Blois ?

 

- Euh… oui… mais… c’était pour… euh… une erreur. Je devais appeler Françoise à Condé.

 

- Et bien, ma pauvre Gisèle ! Vous appuyez sur le 2 au lieu d’appuyer sur le 9. Vous êtes vraiment tête en l’air quand vous vous y mettez !

 

- Et oui, que voulez-vous madame Lorignac, on ne se refait pas ! Vous vouliez autre chose ?

 

- Non, non, si tout va bien c’est parfait. Vous avez fini votre caisse ?

 

- Presque madame Lorignac, c’est presque fini.

 

- Bon. Et bien ne tardez pas. Bonne fin de journée.

 

- Bonne fin de journée à vous aussi, au revoir.

 

            Gisèle raccrocha le téléphone, puis tira la langue au combiné, enchaîna avec sa plus belle grimace avant d’éclater de rire.

 

            Un quart d’heure plus tard, elle sortait du bureau de poste de Contres, un peu en retard pour sa réunion Tupperware, mais le cœur léger et l’esprit tranquille. Elle se posta devant le passage piéton pour rejoindre sa voiture, garée de l’autre côté de la rue lorsqu’une jeune femme l’apostropha de sa voiture.

 

- Excusez-moi madame, j’aurais besoin de votre aide.

 

Gisèle était tellement heureuse qu’elle ne se soucia ni de l’heure, ni de son expérience de l’après-midi et répondit :

 

- Naturellement, si je peux vous rendre un petit service…

 

 

FIN

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