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On repart à zéro

Par Thomas Burnet.

 

« - Isigaël… Isigaël… Ton unité de repos est terminée. Réveille-toi Isigaël…

- Elemana… ma chérie… J’ai bien travaillé cette année. Je peux bien profiter d’un peu de bonus, non ? Viens contre moi, j’ai envie de sentir ta peau. »

Isigaël était allongé dans sa couche monoplace et parlait, seul, les yeux fermés.

« - Isigaël… Isigaël… Ton unité de repos est terminée. Réveille-toi Isigaël…

- Thémo ? Arrête d’embêter Pa, et va te recoucher ! Laisse-moi me reposer un peu. »

            Il se tourna sur le dos, les yeux clos, chassant, de son bras, l’air près de son lit. Son drap thermique tomba à ses pieds.

« - Isigaël… Isigaël… Ton unité de repos est terminée. Réveille-toi Isigaël… 

- Professeur Dingah ! »

            Le jeune homme s’assit en sursaut sur son lit, cherchant de la main son drap thermique pour cacher sa nudité. Il regarda autour de lui, mais se rendit aussitôt compte de sa solitude.

« Maudit réveil ! A chaque fois, je me fais avoir ! »

Le réveil contre lequel Isigaël pestait était la nouvelle fonctionnalité qu’il avait installée sur sa puce deux semaines plus tôt : il synthétisait la voix d’individus proches et répétait la même phrase, partant d’une personne intime pour s’acheminer vers des supérieurs hiérarchiques. La puce qui était dans le cerveau d’Isigaël lui avait été implantée, comme pour tous les êtres humains depuis un siècle et demi, à sa naissance. Elle était fixée à la jonction des deux hémisphères du cerveau. Depuis sa création, elle était sans cesse améliorée, et il suffisait à tout individu de venir se placer devant une Borne de Progrès, pour que la puce charge les dernières améliorations et les nouvelles fonctionnalités.

            Isigaël se leva de sa couche, et partit directement vers le sas de décontamination. Là, des milliers de rayons stériles parcoururent son corps pour détruire impuretés, bactéries, salissures, et déchets organiques. A la fin de ce programme de décontamination usuelle, des bandelettes jaillirent des murs pour venir recouvrir toute sa peau, à l’exception de son visage. Il était prêt à revêtir sa combinaison à thermicité variable. En se dirigeant vers son compartiment d’habillement, il pensa à consulter le degré d’écoulement de son unité de préparation. A l’instant même où il eut cette pensée, apparut, devant ses yeux, en haut à droite, l’indication suivante : «15ème Venday de l’année 4000. Il est 2,3 unités. Il vous reste 0,3 unités de préparation.». Isigaël pouvait voir les informations de sa puce grâce aux lenticrans présentes en permanence sur ses yeux. Les lenticrans étaient reliées par transmission nerveuse à la puce. Depuis une soixantaine d’années, elle permettaient aux hommes de lire le contenu de leur puce, d’avoir accès à des informations aussi diverses que le degré d’écoulement de leur unité temporelle, la liste des tâches qu’ils avaient à accomplir, ou le plan du lieu où ils se trouvaient. Grâce aux lenticrans, lors d’une rencontre entre deux personnes, il était possible d’obtenir des informations sur la personne rencontrée en interrogeant sa puce. Les données apparaissaient sur les lenticrans. Les technologies de la puce et des lenticrans, initiées au quatrième millénaire, avaient permis d’améliorer les interactions entre les êtres humains. Les gens se sentaient en sécurité, unis et en confiance.

            Isigaël revêtit sa combinaison d’Intemporel. Cette tenue lui valait les plus grands honneurs… elle lui valait aussi les plus grandes jalousies. Le métier de cet homme de 31 ans était, en langage populaire, « voyageur dans le temps professionnel ». La fameuse machine à voyager dans le temps, qui avait mis en ébullition toutes les imaginations depuis la fin du deuxième millénaire, avait enfin été construite. C’est un savant du nom de Valerjab qui trouva, en 3882, la formule capable de réaliser l’exploit de voyager dans le passé. Depuis, les expériences s’étaient multipliées. Une poignée d’hommes et de femmes volontaires et honnêtes se prêtèrent aux expérimentations de la machine. Ils s’étaient engagés à voyager dans le temps, mais à ne jamais chercher à intervenir, de peur de modifier le cours des événements et de mettre en péril leur propre existence. On leur avait donné le nom d’« Intemporels ». Après des décennies d’expériences, les hommes voulurent trouver une façon d’utiliser intelligemment la machine. Il fut décidé qu’il n’y aurait, au monde, que sept machines à voyager dans le temps, une par continent. Sept individus furent donc désignés pour faire régulièrement des voyages à travers le temps. Ils gardèrent le nom d’Intemporels. Ils avaient tous les sept une mission judiciaire : ils se rendaient sur le lieu de crimes où la puce des victimes s’était révélée insuffisante et devaient filmer la scène au moyen de la leur. A partir de ce document sonore et visuel, le coupable était rapidement retrouvé, et les erreurs judiciaires évitées. La combinaison d’Isigaël était bordeaux, avec au niveau du ventre, l’insigne des Intemporels : un I entrelaçant la machine à voyager dans le temps. Cet insigne était un colorogramme, il changeait perpétuellement de couleur.

Isigaël se rapprocha de son compartiment alimentaire. Par une simple pensée, il mit en marche son condensateur d’énergie nutritive. Toujours grâce à une connexion établie entre la machine et sa puce, il programma sa dose quotidienne de nutriments essentiels au corps humain, tels que le calcium ou les protéines. Les hommes se nourrissaient de cette façon depuis les années 2900, depuis que les ressources du sous-sol s’étaient épuisées et que les rayons du soleil s’étaient fait trop agressifs pour permettre à la moindre culture de se développer à l’air libre. Cet arrêt des cultures avait permis une plus grande occupation de l’espace. Lorsque tous les éléments nutritifs furent rassemblés, la machine se mit à vibrer doucement, puis une ampoule apparut, remplie d’un liquide transparent. Isigaël prit l’ampoule, dégagea la plaque qui protégeait son avant-bras, inséra l’ampoule dans le cathéter permanent qui s’y trouvait depuis qu’il avait quinze ans. L’ampoule commença dès lors à se vider doucement comme elle allait continuer à le faire tout au long de la nuit, pour fournir au jeune homme l’énergie dont il avait besoin.

Isigaël interrogea sa puce sur l’avancée de son unité de préparation.

« 15ème Venday de l’année 4000. Il est 2,5 unités. Il vous reste 0,1 unités de préparation. Vous devez avoir quitté votre appartement pour le début de votre unité de déplacement.»

« Bon, quand faut y’aller, faut y’aller ! » Il vérifia à l’aide de sa puce qu’il n’avait rien oublié, prit sa carte de mémorisation de travaux, et commanda par la pensée à la porte de son Espace Privé de s’ouvrir. Il sortit.

Dehors, c’était la nuit. Le soleil était devenu depuis longtemps nocif aux êtres humains. Il fallait accepter de vivre sous Scaphandre Solaire pour se déplacer le jour et vivre sur des continents polaires, à ensoleillement permanent six mois par an.

Isigaël, lui, était habitant européen ; il vivait dans une ville sub-marine. Depuis le milieu de l’année 2824, l’occupation du territoire terrestre s’était totalement modifiée. La fonte des glaces avait obligé les habitants des anciens Japon, Indonésie, Nouvelle Calédonie, Amérique Centrale, Royaume Uni, et de nombreux archipels et îles à venir se réfugier sur les cinq continents. La surpopulation fut évitée grâce à de nouvelles structures permettant aux êtres humains de pouvoir vivre dans les massifs montagneux et dans le désert, transformant le Sahara et l’Australie centrale en de véritables métropoles. Dans le même temps, la fonte des glaces avait mis à jour les continents polaires. Les spécialistes du monde entier avaient fait part de leur surprise de voir révélées des terres habitables qui avaient été, pendant des milliers d’années, ignorées par tant de générations. Le taux d’occupation des terres était monté à 89%. Le quatrième millénaire s’était occupé à peupler les mers et les fonds sous-marins. Sur et sous la mer, de nombreuses villes s’étaient développées. Isigaël habitait dans la ville sub-marine nommée « Atlantide » en raison de sa localisation, que l’on présumait être celle de l’île mythique de l’Antiquité. Cette ville était commune du Bloc Européen.

Isigaël passa près d’une Borne Informative, et pensa à charger les dernières « Nouvelles de la Terre ». Il choisit le mode Auditif, et écouta la voix grave du journaliste.

 

                                                           ¤

 

Germana Elinor était la doyenne des Intemporels. Elle avait participé aux premiers essais, avait été la première femme à voyager dans le temps. Elle était maintenant la Présidente du Conseil Planétaire des Intemporels. En ce 15ème Venday de l’année 4000, elle marchait vers son quartier de travail, là où se situait la machine à voyager dans le temps du continent européen. Quand soudain…

« Hé ! La vieille ! Donne-moi ton code de transmission de Données Personnelles, et je te laisse la vie. »

Germana pensa très fort qu’elle avait besoin d’aide, et décrivit mentalement son agresseur. Celui-ci avait sous-estimé cette femme de 122 ans, qui, malgré une peau distendue et un air perdu, avait encore tout son esprit, et n’avait pas peur d’un jeune voyou. Elle avait vu son couteau aiguisé, elle savait la douleur qu’il procurait… Les personnes de « jeunesse relative », comme elle, étaient souvent victimes d’agressions, car elles étaient moins vives d’esprit et leur puce avait quelque fois des défaillances, qui permettaient de leur voler leur code de transmission de Données Personnelles sans se faire arrêter. Ce code permettait d’accéder à leur réserve monétaire, et de leur voler leur synthétiseur vocal, pour pouvoir entrer dans la vie de leurs proches. L’année dernière, un marday, elle avait été victime d’une jeune impatiente qui, affolée par l’arrivée de la Brigade de Répression des Violences Humaines, lui avait enfoncé son couteau dans la hanche. De santé solide, le jeuday suivant, elle était guérie.

Cette fois-ci, on ne l’aurait pas. Elle demanda un contact de puce, et vit apparaître sur ses lenticrans les informations suivantes:

 « * Cet homme se nomme Arthos Grubano, il porte des lenticrans.

            * Il est sans unité de travail depuis le dernier Lunday – penser 1 pour détails.

            * Il porte une arme sur lui – penser 2 pour détails.

            * Il est âgé de 18 ans. Il a une fille, Glana, et a divorcé une fois – penser 3 pour détails.

            * Il a une souris qui se nomme Clétab – penser 4 pour détails.

            * penser 5 pour plus de détails. »

« - Vous voulez perdre votre souris, ou peut-être votre fille, Arthos ?

- Qu’est-ce que tu racontes la vieille ?

- Je ne suis pas encore un déchet l’ami. J’ai appelé la brigade, vous êtes mal parti. »

Le jeune homme pâlit. Il commença à trembler. Quatre hommes en combinaison vert clair, avec un colorogramme dessinant un B associé à un faucon, descendirent du ciel au moyen d’une plateforme, et l’immobilisèrent. Il ne chercha pas à se défendre, comme tétanisé sur place. Les hommes de la brigade le firent s’agenouiller. Un homme arriva d’une autre plateforme habillé d’une combinaison vert sombre, avec comme colorogramme un J, entrelacé d’une balance ; il était juge. Il s’arrêta devant le jeune homme, qui le regarda d’un air horrifié. Le juge sembla lire des informations sur ses lenticrans, puis prit la parole :

«  Arthos Grubano ! Vous êtes accusé d’avoir attenté à l’existence d’un être humain, en place d’Atlantide. Votre degré de repentance réel est de 5 sur 6, sur l’échelle de Thircer. Vous êtes donc condamné à une peine d’oubliance de niveau faible. Monsieur Grubano, en ce 15ème Venday de l’année 4000, vous allez perdre le souvenir des sept derniers jours. » Le jeune homme eut les larmes aux yeux. Le juge plaça un petit boîtier près du crâne de l’agresseur. Ce boîtier, par une connexion avec la puce du condamné, effaçait de sa mémoire les souvenirs désignés. Après quelques secondes, une lumière orange apparut sur le boîtier. Le juge rangea son boîtier, salua Germana d’un signe de tête et repartit avec les quatre hommes par les plateformes encore au sol. Le jeune homme se releva, comme sonné. Il vit apparaître sur ses lenticrans le message suivant : « Vous avez subit, le 15ème Venday de l’année 4000, une peine d’oubliance de niveau faible ». Il sembla découvrir ce message avec stupeur, et, en agrippant Germana, lui demanda :

« - Dites-moi madame, qu’est-ce qu’ils m’ont fait oublier ? 

- Ce que vous avez mérité d’oublier monsieur. » Elle se dégagea du jeune homme et le laissa hagard sur le trottoir.

 

                                                                       ¤

 

« - Madame Elinor ! Vous êtes en retard ! 

- Pardonnez-moi professeur Dingah. Encore une agression.

- Ce n’est pas vrai ? Comment allez-vous ?

- Ne vous inquiétez pas… Tout va bien… Est-ce que notre petit protégé est arrivé ?

- Oui… je ne lui ai encore rien dit. Je vous attendais…

- Vous imaginez-vous ce que nous nous apprêtons à faire ?

- Une chose passionnante madame !

- Une chose passionnante, mais une chose qui peut changer la vie de milliards de personnes. Une chose qui peut remettre en question de nombreuses choses.

- Que voulez-vous dire Madame ?

- Vous connaissez mes craintes sur le sujet, Professeur… Et si tout est faux ? Et si tout a été inventé ? Nous aurons des preuves réelles… N’est-ce pas douter ?

- Non, nous recherchons juste la vérité.

- Au fond… vous avez peut-être raison... Il est temps d’informer notre voyageur de sa nouvelle mission. »

            Germana et le professeur Dingah se placèrent sur une plateforme qui les mena, par une simple pensée, cinq étages plus bas, dans la salle de préparation aux voyages dans le temps. Isigaël les attendait là, en train relire sur ses lenticrans quelques pages de son roman préféré. Quand il vit ses supérieurs arriver dans la salle, il effaça l’image de ses lenticrans, et se mit au garde à vous.

« - Bonjour Intemporel Isigaël !

- Mes respects, Madame. Professeur. » Il se sentit rougir en voyant le professeur et en pensant à son réveil, le matin même.

- Repos Intemporel Isigaël. » Germana s’éclaircit la voix. « Savez-vous pourquoi le professeur et moi-même vous avons fait attendre, Isigaël ?

- Non, Madame.

- Le Conseil a décidé d’ouvrir une nouvelle section de voyage dans le temps.

- Une nouvelle section ? Avec un autre but que de résoudre des affaires judiciaires ?

- Exactement. Une nouvelle section qui poursuit d’autres buts. Vous êtes, à partir de ce jour, le premier membre de la section d’Élucidation de Mystères.

- D’Élucidation de Mystères ? Et quels vont être ces mystères ? » demanda Isigaël, curieux.

- Votre première mission… » dit Germana, les yeux dans le vague. Elle semblait douter de ses propres paroles. Elle secoua la tête et reprit : « Votre première mission, Isigaël, sera de prouver l’existence de Jésus de Nazareth. 

- De Jésus Christ ???

- Oui. »

 

¤

 

Alors qu’il prenait place dans la machine à voyager dans le temps, Isigaël se souvint des dernières paroles de Germana Elinor : « Nous vous enverrons en l’an 0 pour que vous vous fondiez dans le décor. Vous devrez nous faire un rapport complet sur la vie de Jésus de Nazareth et de ses onze apôtres… »

Isigaël partit, mais ne revint jamais.

 

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