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HAÏTI, HAÏTI, MON AMOUR …

Par Pierre Burnet

Je crois que c’est le silence. J’aurais pensé que les vibrations, le sol qui bouge viendraient avant, mais c’est le silence qui m’a d’abord surpris. Les oiseaux qui font habituellement un tumulte assourdissant se sont arrêtés de piailler. La volière s’est soudainement tue. Le temps que l’information arrive au cerveau, le vacarme la rejoignait et seulement ensuite, la terre se mit à trembler.

Longuement, elle a secoué sa carcasse, longuement, elle a secoué nos oripeaux. Cinq ou six secondes. Une éternité. 

Le bruit se répercutait encore dans la caisse de résonnance de mon crane. Je pris conscience que j’étais couché. J’étais debout et l’instant d’après, j’étais couché. Je ne sais pas comment. 

La douleur est venue après.  Je toussais dans la poussière grise. J’essayais de comprendre. Je dégageais un bras, puis l’autre de dessous la poussière et les gravats, Chaque mouvement faisait naitre un nuage blanc.  Je touchais ma tête, mon torse, mes cuisses. J’essayais de bouger. J’ai tiré sur les épaules, remué les fesses et j’ai compris rapidement que le corps ne pourrait pas s’extraire parce qu’il coinçait du côté d’un  pied. Et c’est à ce moment que la douleur est venue. Un mal intense qui venait du pied gauche, de la cheville. En tentant de me dégager, j’avais enclenché la douleur. 

J’avais peu de place pour bouger. Je tâtonnais. Le plafond était bas et s’inclinait vers les pieds. C’est au moment où il rejoignait le plancher qu’il devait me coincer.

La pièce s’était écrasée, tassée, aplatie comme un château de cartes et miraculeusement, elle m’avait en partie épargné en créant une poche. Et les autres, où étaient-ils ?...

J’appelais, j’appelais, mais personne ne répondait.

Par moment, je somnolais, réveillé par moment par le corps qui remue et qui tire sur le pied. Je n’avais plus aucune notion du temps. En touchant mon pantalon, mouillé, je m’aperçus que j’avais uriné sur moi. Quelle pitié ! Allongé, immobile, humilié,  j’essayais, désespéré, de comprendre  ce qui m’était arrivé. 

Je me remémorais, je reconnectais les fils de ma mémoire.  Quelle heure était-il ? Depuis combien de temps étais-je étendu là ?

La première chose qui me vint à l’esprit a été de prier. De tenter de prier, plutôt, parce que curieusement je n’arrivais pas. Je commençais ma prière, mais ne je ne rappelais plus les paroles. Notre Père qui êtes aux cieux. Notre Père qui êtes au cieux… J’angoissais plus de ne plus me souvenir de la suite que de la situation difficile dans laquelle je me trouvais. Je n’avais jamais été confronté à un tel oubli et malgré ma situation peu enviable, cela me préoccupait.

Je me souvenais lentement. Je rassemblais les morceaux, petit à petit. Je me rappelais que j’avais réussi à trouver des légumes sur le marché. Je les épluchais et les jetais dans la grosse bassine remplie d’eau qui chauffait lentement. Les deux filles jouaient dans la chambre commune. Ma  compagne devait être avec elles ….Et les oiseaux se sont arrêtés de chanter.

Mes filles, ma femme. Que sont elles devenues ? Que reste t il de la maison ?

De repenser au repas que je préparais avait réveillé ma faim. J’avais aussi la gorge sèche. J’avais dû beaucoup respirer de poussières. J’appelais.

A un moment, j’ai entendu un gémissement. J’ai appelé de nouveau. La voix s’est raffermie : « Papa ? Papa ? C’est toi ? Qu’est il arrivé ? Où sommes-nous ? »

-          Miriam, c’est toi ? Comment vas-tu ? As-tu mal ? Où est ta sœur ?

-          Je crois qu’elle dort.

-          Est-ce que ta mère est avec toi ?

-          Non !

J’ai passé la main dans un interstice. « Est-ce que tu vois ma main ? »

-          Non !

-          Parle moi, parle moi, Miriam !

-          Papa, j’ai peur.

-          N’aie pas peur, mon ange, mon amour. Tiens bon. Est-ce que tu as mal ?

-          Non !

-          Tiens bon, tiens bon. Essaie de dormir. Papa viendra te chercher.

J’aurais du être paniqué et je m’étonnais de mon calme et de ma lucidité. Je repris ma prière. Les mots et la mémoire revenaient lentement. Que ton nom soit sanctifié. Que ton règne arrive. Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Elle était dure à prononcer cette phrase. Une fille était vivante, l’autre peut être morte. Je ne me faisais pas d’illusion sur les chances de ma Samia, mais j’espérais et je priais.

J’enrageais d’être si impuissant bloqué là par ce pied engoncé dans la roche.  

Il fallait que je le dégage. Chaque fois que je tentais de tirer dessus, la douleur lançait. Je réussis à me tordre pour amener une main jusqu’à ce pied. La plaque de béton coinçait la cheville qu’elle avait du briser. La main revint poisseuse de sang. Il fallait que je le sorte. Il fallait que je le libère. J’abandonnais vite l’idée de soulever la plaque de béton. Pour sortir le pied, il faudrait probablement le déchirer. J’empoignais le talon et j’essayais de  tirer.

Je pense que la douleur m’a fait perdre connaissance.  Quand je revins à moi, au bout de ma jambe, il y avait cette petite chose sanguinolante et douloureuse.

 Je pris soin de l’emmailloter soigneusement. Mes gestes étaient toujours lents. J’étais réaliste. Je savais pas si je sortirais de cette aventure, mais je savais maintenant que si c’était le cas, j’en sortirais infirme. Plus que jamais, la phrase prenait son sens : Que ta volonté soit faite, que ta volonté soit faite……

Je suis croyant comme la plupart des haïtiens. Quand un peuple a été autant balloté, trompé,  maltraité, trahi, il espère que toutes ces souffrances auront un sens. Qu’il sera vrai une fois au moins que les derniers seront les premiers et que les tout premiers seront les plus petits. Que les nantis perdront tout. Que le règne de l’argent roi finira pour le règne du partage, de la générosité…. C’est pour cela qu’il croit en Dieu. Pour garder l’espoir.

Après avoir bandé ce qui restait du pied. Je me suis mis à pleurer. La douleur, la tension, la fatigue, l’angoisse et la faim, sans doute. Des larmes de désespoir, des larmes de tristesse, des larmes d’abattement.

Puis, je me repris. Miriam, je dois aller la chercher. Je lui ai promis.

 Enfin libre de bouger, dégagé de ce lien de béton,  je réussis à me retourner et à envisager ma cellule. A l’endroit où je me trouvais, la poche s’affinait. Sur la droite, il me semblait qu’il y avait plus de hauteur. Il faisait sombre. Mais quelle heure pouvait-il bien être ?

Je trainais mon corps. J’appelais aussi par moment, mais je ne percevais qu’un long gémissement presque inaudible. Je me dirigeais en explorant vers cette poche plus vaste.

Je reconstituais la pièce. Le centre de la salle commune avait été écrasé et le long du mur latéral subsistait cette poche qui m’avait préservé. Si je continuais, je devais logiquement arriver à la terrasse.  En espérant que je ne me sois pas trompé.

En rampant, Je tombais sur un paquet de biscuits écrasés et je me rappelais que j’avais faim. Je déchirais l’emballage et je remplis ma bouche de morceaux de biscuits. La phrase me revint à l’esprit. « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ». Nous n’avons jamais été ambitieux. Juste donne-nous le pain du jour. Pour demain, nous verrons bien. Nous avons confiance. Demain sera un autre jour avec d’autres besoins.

J’avais soif. La prière ne disait rien sur l’eau. J’avais trop englouti de gâteaux. La gorge était asséchée.

Est-ce qu’il y avait de l’eau de ce côté du mur ? Il fallait que je me souvienne. J’arrivais au bout de la pièce. Je me mis à genoux et j’explorai le mur. Je cherchais un jour, un interstice, une faille. En pesant de mon poids, sur la paroi, je fis s’écrouler un peu plus le toit et je me retrouvais plaqué au sol sous une pluie de moellons. L’épaule endolorie, je tentais de me redresser, mais tout le corps faisait mal. Je pleurais de rage, Je répétais à l’envie ma prière. Mon Dieu, mon Dieu, sauve ma famille. Mon Dieu. Prends-moi et rends-les !

Je promets, je pardonnerai à mes ennemis, je pardonnerai à mes amis. Pardonne-moi mes offenses. Pardonne-moi.

Allongé, couvert de gravats, perdant petit à petit la lucidité. Je psalmodiais les versets du Notre Père. Sauve-les, Mon Dieu, sauve-les ! Je pleurais ces maux.

En répétant sans arrêt « Donne-nous notre pain de ce jour », je me faisais humble. Je promettais de me contenter de pain et d’eau. Je ne revendiquais plus rien que la vie. Je disais que comme les hébreux, j’attendrais la manne quotidienne et j’avancerai vers la terre promise. Je ne m’embarrasserai plus de possessions dérisoires et ridicules, je m’enrichirai de vrais trésors.  Je ne céderai plus aux mirages futiles.

Puis, je répétais en boucle « Pardonne-nous nos offenses, pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » A force de redire cette phrase que je n’avais jamais bien comprise, j’ai eu une illumination. Ce que Dieu me demandait, c’était de me pardonner à moi-même, revivre une à une toutes les offenses que j’avais commises et que je les expie. Le chemin sera dur et douloureux pour qu’à travers mon pardon, j’obtienne le sien.

J’irai Mon Dieu à la rencontre de mes fautes, de mes bassesses. J’irai.

Mais, Il fallait d’abord que je sorte d’ici. Mon Dieu, j’ai besoin de ton aide.  J’avisais une barre de fer et je me redressais. Je tapais sans cesse sur le pan de mur et je me protégeais comme je pouvais des cascades de pierres

A un moment, j’ai vu le jour et j’ai lâché la barre pour creuser en m’arrachant les ongles. J’ai agrandi le trou et j’ai rampé au travers pour l’air libre. Une fois extrait, je me mis à genoux et je répétais en remerciement ma prière. Je n’aurais plus ni orgueil, ni vanité puisque c’est à Toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire.

Avec l’aide de passants et d’étrangers, j’ai dégagé la petite Miriam et pendant qu’on la soignait,  avec leur aide, nous avons désenseveli les corps sans vie de Samia et de la petite Avenice. Je n’avais plus de forces pour creuser. Je n’avais plus de larmes pour pleurer. J’ai enveloppé les corps dans des draps récupérés dans la fosse et je les ai disposés du mieux que j’ai pu sur les décombres de notre maison.

D’une planche de bois, j’ai bricolé une  béquille et clopin-clopant, nous nous sommes dirigés vers un dispensaire.

Nous reconstruirons notre vie. Peu importe ce qu’il adviendra de nous. Il ne peut rien nous arriver.

Nous sommes dans la main de Dieu !

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