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Anna Gavalda et moi

 

 

Par Pierre Burnet

 

 

Dans la petite salle, je la regardais. Elle avait choisi la table près de la fenêtre et sa silhouette se découpait dans le soleil de cette matinée. Le soleil accentuait ses reflets blonds.  Elle jouait avec son crayon. Elle penchait la tête en arrière plongeant les yeux au plafond pour rechercher l’inspiration. Je ne m’étais pas rendu compte à quel point elle était mignonne. Elle repenchait la tête en avant. Elle mordillait son crayon. Ah, être le crayon d’Anna Gavalda !

 

C’était difficile de se concentrer.

 

Quand est ce que ça avait commencé ? Il y a longtemps, sûrement…

 

J’ai toujours aimé écrire. Des bouts de texte, des émotions, des histoires et puis doucement, après deux ou trois livres qui n’ont pas trouvé d’éditeurs, des nouvelles.

 

La nouvelle, c’est tellement bien. Ca ne te prend pas la tête plus d’une journée. Une idée, courte, un personnage, attachant et hop, emballé, c’est pesé. L’idée, je la trouve le matin en promenant mon chien. Ou alors, elle traînait déjà dans un coin de ma tête et c’est pendant la promenade que je la ressors, que je la déplie. Elle prend forme doucement, elle se ramifie et puis, sitôt rentré, juste le temps de faire chauffer l’eau pour un café, je me mets à l’ordinateur et j’écris. Je retranscris plutôt. Les idées sont déjà là, elles se bousculent un peu. Il suffit de dévider la pelote et les mots se posent sur l’écran, avec simplicité.

 

Enfin, pour le début, parce qu’une fois que tout est retranscrit, il faut ciseler. C’est plus long, c’est plus lent.

 

Retoucher une virgule, rajouter un adverbe, un adjectif, enlever un adverbe, un adjectif, ôter un mot, le remettre, l’ôter de nouveau, le remettre de nouveau. Faut surtout faire attention avec les adverbes. On dirait que c’est la génération spontanée. Je passe mon temps à les retirer et il y en a toujours autant. Comme vous voyez, c’est très lent la ciselure.

 

A un endroit, pour ne pas me trouver bloqué, j’avais mis des points de suspension, il faut maintenant trouver le mot juste, le mot vrai. Parfois, je le cherche pendant des jours, ça m’obsède et plus je cherche, moins je trouve. C’est souvent dans ces moments là que je supprime nerveusement des morceaux entiers de texte pour les réécrire de façon identique quelques instants plus tard. Et puis, brusquement, en prenant ma douche, en sortant les poubelles, le mot passe la tête. Il faut vite le noter, l’épingler, sinon, il va recommencer à jouer à cache cache. Et tant qu’on ne l’a pas fixé, on ne peut rien entreprendre d’autre.

 

Je vous disais que la nouvelle, ça coulait, c’était fluide. Le livre, non ! Dans le livre, il y a des personnages et c’est casse pied, un personnage. Ca prend de la place, ça a ses états d’âme, ses sautes d’humeur. Ca met du temps à occuper l’espace et donc, tout doucement ça s’attache, ça se lie. Et après quand il est fini le livre, tu crois qu’il n’y a qu’à le refermer. Tintin ! Tu ne refermes rien du tout. Ils sont toujours là, les personnages, ils insistent, ils ne veulent pas être rangés sagement dans le livre. Ils veulent continuer à être dans ta tête. Ils veulent que tu réécrives une suite au livre. Comment ça, c’est fini ? Il n’en est pas question. C’est pas fini du tout. Un peu délaissé, mais pas fini. Alors pour leur faire plaisir, tu bricoles une suite. Tu en fais une cinquantaine de pages, puis tu ralentis et tu ouvres de moins en moins ce dossier là. Sûrement, les personnages ne sont pas dupes. Ils voient bien que tu n’écris plus sur eux, pour eux. Mais ils se font discrets, ils attendent. Ils sont aussi attentifs à ne pas trop énerver l’écrivain. Parce qu’un écrivain énervé, ça peut faire faire un accident à un personnage, ça peut lui poser des problèmes, ça pourrait même le faire mourir. Oh c’est si vite arrivé. Un personnage qui la ramène un peu trop, qui a un égo un peu surdimensionné, forcément, l’auteur, à un moment, il va en prendre ombrage. Forcément…

 

Je ne dis pas trop fort, mais si mes personnages pouvaient en prendre un peu de la graine et qu’ils ne soient pas trop sur mon dos, ça serait super bien. Surtout pour eux, s’ils voient ce que je veux dire.

 

Par contre, la nouvelle, ça va vite. On n’a pas le temps de s’attacher. Et puis le personnage de nouvelle, il sait ce qui l’attend. Il sait qu’il n’est pas là pour une partie de plaisir. Il sait qu’il va lui arriver une tuile. C’est même l’intérêt de la nouvelle. On pose la situation, on présente les personnages, jamais plus d’un ou deux. Et blang, il leur arrive la tuile et hop, on termine. C’est fini, effe i enne i.  On referme. Le personnage, s’il est toujours vivant, ce qui n’est pas toujours le cas, ne la ramène pas. Il sait que ce n’est pas une sinécure d’être personnage de nouvelle et il se dit que la prochaine, si on peut l’écrire sans lui, c’est aussi bien !

 

Alors je me suis mis à écrire des nouvelles. De plus en plus. Bon ça ne s’édite pas, des nouvelles, c’est pour le plaisir. Mais c’est un peu frustrant d’écrire juste pour soi. Oh, on trouve bien par-ci par-là quelques amis sincères qui les lisent. Mais on ne sait jamais s’ils les lisent par plaisir ou par obligation.  Par plaisir pour eux ou par plaisir pour nous. Ca, on ne le sait jamais. Ce n’est pas facile de trouver quelqu’un qui les lit avec un sens critique et qui vous dit : « Là, ça va. Mais ici, ça ne va pas du tout ! »

 

On a envie de se confronter au lecteur. Mais y en a pas des lecteurs de nouvelles. Il n’y a pas de marché ! Ca ne s’édite pas. Ou alors, il faut coucher. Je ne sais pas si Anna Gavalda a couché. Mais moi, je ne peux pas. Je ne vois pas qui coucherait avec moi pour ça. Surtout qu’en plus, après avoir couché, il devrait se taper mes nouvelles à éditer. Non, il fallait trouver autre  chose.

 

Alors, j’ai trouvé une idée toute simple, les concours de nouvelles. Dans tous les petits bleds, il y a une association culturelle. Elle s’ennuie, cette association. Elle a plein d’idées, mais absolument pas d’argent. Alors au moment de la fête paroissiale ou du vide grenier, elle propose à la municipalité de faire un concours de nouvelles. On fixera un thème, on réunira un jury des sommités locales, on offrira un week-end à l’hôtel de la poste comme premier prix et on publiera la nouvelle primée dans le bulletin municipal. Et voilà, une belle action culturelle, pas chère et qui va tout à fait remplir son rôle : flatter les élus et les personnalités, trouver un texte tout écrit pour la gazette et remplir une chambre de l’hôtel de la poste. Tout le monde sera content !

 

Alors, j’ai écumé les concours de nouvelles. Et c’est comme ça que ça a commencé. A ce moment là.

 

Parce que j’écris bien, je suis extrêmement talentueux pour les nouvelles. D’ailleurs, celle que vous êtes en train de lire. Pardon, c’est un super travail ! Hein, qu’en pensez vous ? Ca tient bien la route. Enlevé, original, drôle. Ca c’est de la nouvelle !

 

Alors, j’ai gagné des concours. Je me suis fait une flopée de week-end dans des hôtels de la poste de trous perdus. Un paquet !

 

Et puis, un jour, j’ai gagné un concours un peu plus reluisant. Je suis venu chercher mon lot. C’était un filet garni. J’ai du dire quelques mots au micro. Vous savez comment c’est. On a beau avoir préparé. On a beau avoir son antisèche. On remercie son papa et sa maman, on dit qu’on est très heureux, qu’on ne n’y attendait pas. On répond à quelques questions et puis, l’ego reprend le dessus, la vanité et l’orgueil ne sont pas enfouis très profond. On dit qu’on le savait qu’on allait gagner. Qu’on s’était défoncé pour gagner, qu’on avait tout fait pour et qu’on était de toutes façons le meilleur. Qu’on est prêt à se mesurer à n’importe qui. Somerset Maughan ! Isaac Asimov ! Dino Buzzati ! Les meilleurs ! Le meilleur ! La meilleure ! On se pavane un peu, on se vante un peu. On dit qu’on n’est prêt à défier même Anna Gavalda en combat singulier.

 

Et puis, on oublie. Il y a toujours un petit pot au moment de la remise. Une coupe de champagne par-ci, une coupe de champagne par-là. L’idée disparaît de la tête et on oublie même qu’on l’a évoqué.

 

Mais l’idée n’est pas perdue pour tout le monde. On a de bons amis. Ils ont entendu. Malgré le champagne, ils ont retenu. Ils l’ont répété. Ils ont tout magouillé derrière ton dos. Et un beau jour, on t’annonce la gueule enfarinée qu’un duel est prévu entre Anna Gavalda et toi. Quatre heures, sujet libre ! 

 

Alors là, ça fout un peu les miquettes ! Parce que même si on très fort, Anna Gavalda, c’est quand même la classe au dessus. Tiens, rien que dans « Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part », la façon dont elle te plonge dans l’intrigue est magistrale. A un moment dans « Catgut », une fille se fait violer et elle dit « Ca m’a fait atrocement mal ! ». Elle sait bien Anna Gavalda comment les gens lisent. Ils survolent : surtout les nouvelles. On fait une lecture rapide. On avale les mots. Atrocement, c’est comme atroce. Ca n’est pas joli, joli, on sent bien que ça n’a pas été une partie de plaisir pour la fille. Mais, bon ! En plus, la nouvelle, nous les lecteurs, on la lit, on n’est pas dedans. Alors, atrocement, ça nous fait ni chaud, ni froid. Mais, elle ne l’entend pas de cette oreille, Anna Gavalda. Elle a mit atrocement, alors elle veut que tu lises atrocement et que tu comprennes bien : « atrocement, c’est atroce ! ». Alors elle insiste : elle lui fait répéter à la fille : « j’ai dit atrocement, vous avez bien compris ». Alors, toi le lecteur, tu fais profil bas et tu la ramènes pas. Non, c’est la grande classe.

 

Alors c’est pour ça que par une belle matinée d’automne ensoleillée, la belle Anna Gavalda mordille son crayon et que moi, je cherche une idée pour lui river son clou.

 

C’est pas gagné !

 

 

 

 

 

 

 

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